Philippe Lançon nous l’assure, le livre que l’historienne britannique Andrea Wulf consacre aux romantiques du cercle d’Iéna se lit comme un roman ou se suit comme une série. Il raconte la vie intellectuelle et les liens amoureux qui unissent les participants (, à cette effervescence intellectuelle unique en Allemagne et en Europe, tandis que la Révolution française met à bas le vieux monde. Schiller, Goethe, les frères , Humboldt et Schlegel sont les principaux protagonistes, jusqu’à l’entrée en scène d’Hegel qui referme cette époque de l’histoire des idées qui vit l’avènement de la sensibilité, l’émergence du Moi et l’apparition de l’idéalisme allemand : « La jeunesse veut se débarrasser des normes et des perruques, Fichte, puis Schelling ouvrent portes et fenêtres. » Le livre est également traversé par des figures féminines comme Caroline Böhmer qui vécut avec Schlegel, Schelling qui survécut grâce à eux et qui fut « l’un des plus brillants esprits de son époque » et Fichte, présenté comme une sorte d’idéaliste total.

Anatole France fut, lui aussi considéré comme tel mais sa postérité a été de courte durée. Dans un article complet et grâce à quelques contributeurs, Benoît Duteurtre dresse le portrait et rappelle la carrière de cet écrivain, né dans une librairie, dont le style alerte et l’ironie ont irrigué ses romans, puis après sa mort, agressé par les surréalistes et méprisé par Paul Valéry. Dreyfusard, proche de Jaurès, il est accusé par ceux qui auraient dû être de son côté en dehors des surréalistes et c’est ce qui rend l’article si intéressant. Mais le critique, tout en soulignant que « les meilleurs romans d’Anatole France voient le jour au milieu du XXe siècle » et qu’« il montre aussi son art d’écrivain dans les registres les plus divers », doit reconnaître cependant « que ce « génie français », célébré par Guitry, soit une des clés rejet brutal après sa mort. La concision, la clarté, l’ironie, le rationalisme caractérisaient son art ». Cette perfection est celle d’un monde littéraire d’avant-guerre, peut-être même du XIXe siècle finissant, il est temps de passer à autre chose.

Jon Fosse ouvre Livres et Idées le cahier de La Croix. Et les thèmes qu’il aborde, la conversion, la foi, trouvent toute leur place ici. Marianne Meunier justifie le titre qu’elle lui emprunte pour son article Le son du silence. « A force d’ânonnement, les paroles semblent se taire pour faire place à quelque chose qui ne s’écrit pas sur la page mais s’y fait entendre. » On y apprend que Fosse se dit guidé par la figure de Maître Eckart , qu’il a connu une expérience de mort imminente et qu’il a guéri son alcoolisme, par la religion notamment. Expérience vitale individuelle et écriture semblent se mêler intimement ici.

Citant à son propos l’Aurélia de Nerval et la Gradiva de Jensen, Juliette Einhorn rend hommage à La chouette aveugle de Sâdeq Hedâyat . Ce roman perse met en scène un jeune homme poursuivi par une figure féminine qu’il retrouvera dans de multiples histoires vécues dans un demi-sommeil, souvent dû à l’opium : « La voix d’où jaillit ce roman-labyrinthe dépossède le passé de son antériorité pour le transfuser dans le présent de ce narrateur ventriloquie qui fait remonter en lui des histoires vécues par d’autres. » Signalons que ce livre a déjà été publié chez Corti dans une version plus courte.

Portraits, rencontres, télescopages : dans le pêle-mêle.

Télescopage entre Marie Modiano et Erri de Luca. La première écrit sur Capri ; « amateur de romans naturalistes, passez votre chemin. Ici, tout est calme et volupté, tout est songe, surtout. » nous dit Etienne de Monteti dans sa chronique. Un couple de musiciens se réfugie à Capri et s’abandonne à l’île. Fête nocturne digne du Songe de Shakespeare entretient le mystère de l’intrigue. Le second évoque une rencontre entre un homme âgé, horloger et une jeune femme tzigane qui vient lui demander l’asile pendant une nuit dans sa tente.

Dans le même n° du Figlitt, télescopage entre Edith Wharton, la réédition en Quarto de ses romans new-yorkais, installée en France vers 1913 et, actualité plus mince, Ry Cooder et sa Los Angeles Nostalgie, suite de « chroniques décontractées baign dans des odeurs de tamales et des relents de bourbon » nous dit Eric Neuhoff. Comme le souligne, toujours dans le Figlitt, Christophe Mercier, insiste « La géographie new-yorkaise est essentielle chez Wharton : on ne la lit bien, avec ses nuances, qu’un plan de Manhattan à la main. »

C’est tout pour cette semaine !

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)