Chronique 12 – du 24 mars au 12 avril2024

Les Unes

Entre polar et dystopie Hervé Le Corre voit son roman racontant les aventures d’une dynastie de femmes sur toute la longueur du XXI siècle rencontrer un franc succès ; question de Muriel Steinmetz : « Comment expliquer l’engouement des romans fondés sur la dystopie ? S’agit-il d’exorcisme, d’une préparation au pire, d’un besoin d’avoir peur dans le noir ? » réponse : « – Je n’ai pas de réponse. Un peu des trois à la fois. Il y a des gens qui adorent avoir peur et d’autres qui pensent qu’à partir du moment où c’est écrit dans un livre de littérature, preuve est faite que cela risque vraiment de vous arriver. » Pour info dans le livre, une panne géante d’électricité en 2050, un virus monstre, tout ce qui contribue à transformer le monde en « une terre de western parcourue de hordes sauvages. »

Et donc, en une du Figaro on retrouve Hervé Le Corre, lequel ouvre le dossier apocalypse avec son roman Qui après nous vivrez et aussi Sophie Loubière qui fait redescendre la population mondiale à 900 millions d’habitants en 2224. Les femmes ne sont tolérée qu’en situation de procréer. L’hypothèse de l’effondrement brutal de la civilisation est aussi à l’œuvre dans le roman de Christopher M. Hood ; cette fois c’est le requin qui est porteur du virus, et donc là encore la question de la survie est centrale avec les aventures et les rencontres inventives et dangereuses. Le dossier est complété par l’adaptation en BD de La Route, le roman de Cormack Mc Carthy et la réédition de Nous, bonne vieille critique du totalitarisme soviétique qui en deviendrait presque soulageante.

Florent Georgesco ouvre pour sa part dans le Monde des Livres la page rwandaise de l’actualité morbide et, en choisissant de mettre en avant le livre de Violaine Baraduc, Tout les oblige à mourir, soit l‘histoire des infanticides génocidaires qui n’avait « donné lieu jusque-là à aucune étude systématique ». Il s’agit de l’histoire de ces mères Hutus qui ont tenté (ou réussi) à tuer leurs enfants de père Tutsi, pour échapper à l’appartenance ethnique maudite. « Un grand livre sur le mal absolu est toujours un livre ouvert, qui cerne avec exactitude la place du mystère sans prétendre le lever. » souligne le critique. Le reste du cahier est consacré aux livres qui commémorent les trente ans du génocide, récits de rescapés, d’historiens, de journalistes qui se croisent pour établir les mêmes faits sous différents éclairages.

Héritage contrarié en une de La Croix avec le roman germano turc de Fatma Aydemar. Le père meurt, la femme et les enfants doivent se retrouver à Istanbul pour régler les questions d’héritage. L’occasion, nous dit Antoine Perraud, de parcourir des thèmes contemporains, patriarcat, famille, exil, difficultés « d’intégration ». « Suffocantes et pourtant lumineuses, l’architecture et l’écriture de Fatma Aydemir ne cessent d’établir des passerelles entre les blessures du présent et ce qui a pu fermenter dans un passé révolu mais radioactif » souligne Perraud qui loue également la traduction de l’allemand par Olivier Mannoni.

On ne s’étonnera donc pas que Robert Maggiori fasse la une du LibéJ avec le livre du philosophe Jacob Rogozinski consacré à…l’inhospitalité. Robert Maggiori souligne que l’hospitalité a longtemps été à la base des échanges entre civilisations ; on accueillait l’étranger, l’inconnu, avec méfiance certes mais sans conditions, il n’y a pas d’hospitalité « partielle ». Ce que montre Rogozinski c’est la manière dont nous nous sommes progressivement défaits de cette vertu, et avant même de parler d’agressivité ou de défiance nationaliste, il existe aujourd’hui une indifférence tragique face au sort de « ces migrants tenus pour « des hommes en trop », des vies superflues dont la disparition serait dans l’ordre des choses. » Partant, il examine les voies qui permettraient de dépasser un débat opposant des points de vue radicalement opposés.

Reste Terry Hayes qui écrit peu mais à bon escient. Des romans essentiellement tournés vers l’espionnage mais avec l’idée d’en démonter les mécanismes et les responsabilités réelles. Dans l’entretien qu’il accorde à Alexandra Scwartzbrod, il insiste sur le fait que son précédent livre a eu son utilité : « J’ai été frappé par le nombre de gens qui m’ont dit qu’après avoir lu Je suis Pilgrim ils avaient changé de point de vue, surtout aux Etats-Unis. Pour la première fois ils avaient compris qu’il y avait des motivations au terrorisme. Toute ma colère, toute ma frustration, je les mets dans mes romans. » Cette fois, il suit un tueur à gage.

Dans le pêle-mêle

Nous gardons le pêle-mêle consacré au salon livre paris qui constitue l’essentiel de l’actu du 11 au 18 avril, même si La Croix a choisi de publier un dossier sur la littérature du génocide rwandais ; titre La France face au génocide, anatomie d’un naufrage. L’huma préfère attaquer l’actu du salon par la critique du duopole Bolloré/Kretinsky ou si l’on préfère Hachette/Editis et leur mainmise sur l’édition en France : l’éditrice Sabine Wespieser rappelle son combat avec quelques autres auprès des instances de Bruxelles pour contrer l’hégémonie de l’ogre Bolloré.

Venons-en au Québec lequel semble devoir s’éloigner un peu des clichés habituels, accent, Caribous et le juron Calice ! Les auteurs canadiens ne se distinguent plus par leur exotisme, ils ont intégré la littérature publiée et diffusée en France. Des maisons qui publient « sous leurs propres et jolis noms nous dit Thomas Stélandre du LibéS : Héliotrope, la Peuplade, Mémoire d’encrier, le Quartanier ». Elles sont bien implantées en France et d’ailleurs diffusent, à l’image de La Peuplade de la littérature traduite scandinave, groenlandaise, des îles Féroé, etc. Une aire géographique déterminée mais nouvelle. Leurs livres que l’on retrouve dans les pages de l’Huma ou du Figlitt suscitent les mêmes commentaires enthousiastes quant à leur valeur littéraire : Pierre Terzian, Emmanuelle Pierrot, Alain Farah ou Martine Desjardins sont désormais des noms qui marquent la culture française. Reste une question à laquelle Libé nous apporte la réponse Qu’est-ce qu’un quartanier ? « un sanglier de quatre ans, soit le moment où l’animal quitte la horde pour vivre seul. » Une métaphore à l’image du travail des éditeurs québécois.

L’actualité de deux semaines dans nos deux tableaux en annexe et bon week-end.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)

Tableau