Chronique 16 – du 25 au 31 mai 2024

Les unes

L’auteur de la semaine c’est Kafka ; à l’occasion du centenaire de sa mort deux parutions dominent l’actualité, le tome 3 de la biographie monstre que lui consacre Reiner Stach (environ 3000 p. en tout) et le livre de Margarete Buber-Neumann qui s’attache pour sa part au personnage de Milena. Thierry Clermont du Figaro littéraire nous rappelle qu’il s’agit des années de jeunesse de Kafka au sens large (25 ans), « Au fil des générations on a eu le Kafka surréaliste, celui dont l’œuvre a été passée au tamis de la psychanalyse, le précurseur de l’existentialisme puis du théâtre de l’absurde, l’homme tourmenté par ses racines juives relues au miroir de la kabbale, celui récupéré par les zélateurs du Nouveau Roman puis disséqué par les structuralistes… » Sarah Chiche souligne pour sa part en une du Monde des livres le rapport de l’œuvre avec les ados contemporains : « de fait toute leur cartographie psychique s’y trouve, le creusement de soi pour se terrer toujours plus loin, les ordres implacables que l’on se donne (Le Journal), Les injustices dont on se sent victimes (Le Procès), etc. » Nul doute que la machine interprétative ne poursuive sa route.

Né un an avant la mort de Kafka (en 1923 à 40 ans), Stig Dagerman est un auteur vite disparu (à 31 ans) : il connaît néanmoins le succès immédiat et une carrière marquée dans un premier temps par une œuvre prolifique. Sa correspondance est publiée aujourd’hui qui évoque sur un mode mesuré ses enthousiasmes mais aussi ses déceptions et la place tragique que prend petit à petit le manque d’inspiration dans sa vie : « ferme, enfin, quand il répond aux attaques dont il est l’objet et dénué de forfanterie dans l’exposé de ses projets comme de ses renoncements. Il ne se plaint pas, et, hormis sur le terrain de la politique, il ne dit du mal de personne » nous assure Claire Devarrieux à propos du grand auteur populaire qu’il fut dans la Suède du XXe siècle.

Un roman d’été en une de La Croix, dont le titre annonce un peu le genre : La Fileuse de verre, de Tracy Chevalier. L’héroïne, Orsola, devient fileuse à la mort brutale de son père, fileuse de verre à Murano s’entend ; et l’on se dit que ce roman historique est assez convenu. Pas du tout nous dit Corinne Renou-Nativel : l’autrice fait de son héroïne un personnage qui traverse les époques par sauts, comme celui qu’elle effectue de 1494 à la peste de 1574, pour continuer jusqu’à aujourd’hui. « Si le double rapport au temps, individuel et collectif, demande au lecteur de suspendre sa rationalité, l’immersion s’en trouve enrichie et démultipliée. »

Enfin, Alain Nicolas évoque en une de L’Humanité le roman d’Adrien Lafille dont il relève qu’il « construit, à partir de notations éclatées, un récit étrange et captivant qui consonne étonnamment avec notre expérience de la ville. » L’auteur insiste sur les impressions et les descriptions mouvantes de l’univers urbain qui semble n’avoir pas de consistance dans un premier temps avant de composer un véritable récit. L’essentiel est « dans le caractère très particulier de ce que ce texte demande au lecteur. Non d’abdiquer toute raison en se laissant porter par le n’importe quoi, mais d’accepter qu’une narration se compose d’une pluralité d’approches. » Autrement dit, une expérience de lecture.

Rencontres et pêle-mêle

Prolétariens les auteurs du roman noir ? Oui d’une certaine manière nous dit Natacha Levet dans l’entretien qu’elle accorde à Alexandra Schwartzbrod en une de LibéJ. Ils le furent dans les années trente parce que c’est peu ou prou leur milieu d’origine. Mais elle relève que les auteurs contemporains prennent leurs distances avec le modèle national pour se diriger vers des personnalités comme Ellroy ou Mc Bain et plus encore… le néo-polar auquel on pense d’emblée. « une évolution vers une forme plus réflexive, avec une prise de distance esthétique et littéraire. » Elle commente l’évolution du genre qui a quitté les rangs de la contestation version Manchette pour aller vers une lecture globale de la société et de l’Histoire. On sort de l’idéologie et les auteurs passent de la « Noire » vers la « Blanche ». N. Levet survole l’ensemble des genres contemporains, mystery crime, dark romance mais toujours avec le souci de ne pas tomber dans la caricature et le jugement facile : « Un reproche classique adressé depuis des lustres aux femmes qui seraient donc des cruches, incapables de faire la part de la réalité et de la fiction. » Le Figlitt rencontrait Marcelino Truong dont le roman graphique retrace la vie Si loin dans le bleu, de Saigon à Saint-Malo. Un bleu nostalgique donc qui le mène à reconstituer un itinéraire partant d’un Vietnam communiste qu’il abhorre pour arpenter la côte malouine, avec entre-temps Sciences Po, une agrégation d’anglais et, surtout une carrière d’illustrateur. La Croix choisit quant à elle un portrait de l’européen Paolo Rumiz, destin qui semble inévitable pour un enfant de Trieste, à l’image de Claudio Magris. Il défend les migrants contre l’identité figée en se fondant sur les métissages qui ont fait cette Italie, adriatique, austro-hongroise « les frontières se déplacent, les êtres les enjambent » confie-t-il à Marianne Meunier. Enfin Andrea Wulf est à rencontrer dans le MDL, pour son livre déjà remarqué la semaine dernière, sur les débuts du romantisme allemand. Elle revient sur la personnalité attachante de ses « héros » et sur ses découvertes, notamment celle du rôle des femmes.

Le pêle-mêle cette semaine pour Philippe Garnier qui aura attendu longtemps pour donner ce livre consacré à la dernière partie de vie de sa femme en suivant sa ligne habituelle nous dit Fabrice Gabriel : « ligne qui a fait sa gloire de journaliste un peu culte : écrire serré, avec une précision subtile qui n’épargne jamais les doutes sur soi, les recoins sales de l’âme comme les fulgurances de l’amour ».

A la semaine prochaine pour de nouvelles découvertes.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)

Tableau de la semaine