Actualité et Unes

Pour Rushdie, unes des suppléments littéraires, voire articles spéciaux dans les pages intérieures des quotidiens, mais toujours en bonne place. La plupart des articles soulignent les mêmes points ; récit à la première personne car, comme le dit l’auteur lui-même, « un couteau qui vous transperce c’est un peu personnel » ; son rêve prémonitoire deux nuits avant, celui d’un homme armé d’une lance qui l’agresse dans une sorte d’amphithéâtre ; et, par-dessus tout, la résistance morale et humoristique de l’auteur. Ce dernier ne fait pas de cadeau à son agresseur qu’il qualifie d’« assassin raté » qui imagine une conversation avec lui.

Il conclut par ces mots, nous dit Muriel Steinmetz de l’Huma : « La conversation imaginaire est terminée. Je n’ai plus la force de l’imaginer et lui n’a jamais été capable de m’imaginer ». Côté humour il se décrit à terre tout le monde penché sur lui « comme un plat servi saignant » repère Olivier Rollin pour LibéJ. C’est Thierry Clermont du Figaro littéraire qui conclut : « Moralité : la mission de l’art est de mettre au défi toute orthodoxie aussi sanguinaire soit-elle ».

Mickaël Mélinard le rappelle dans l’Huma : Paul Auster a été à l’origine du mouvement de soutien à Salman Rushdie. « En Europe, nous dit Alexandra Schwartzbrod dans Libération, notamment en France dont il parlait bien la langue, le charismatique écrivain aux yeux mélancoliques comme deux lunes est accueilli en superstar. Un statut qu’il ne s’expliquait pas. » Peut-être avait-il sous-estimé, malgré sa connaissance de la France, la fascination des autochtones pour la ville de New-York et leur goût pour le polar. La plupart des journaux insistent sur cet aspect et tout le monde rappelle aussi son lien organique avec la maison Actes Sud, à laquelle il avait conseillé de publier Don De Lillo et Russel Banks, ses amis. L’ensemble de la critique relève également la complexité de ses récits qui accumulent les fausses pistes ; il pose au lecteur, dit Denis Cosnard du MDL « un défi, une énigme, qu’il faudra des centaines de pages pour résoudre ».

Dans les unes des cahiers on trouvera quelques-uns des écrivains qui témoignent ou soutiennent des combats en cours.

En une de La Croix, Elena Kostiouchenko qui s’attaque à Poutine dans un livre au titre pourtant patriotique Russie, mon pays bien aimé (qui évoque néanmoins Pleure, Oh mon…) et ce pays bien aimé quel est-il ? « C’est un pays dépolitisé, déshumanisé, relié à rien ni personne sinon à la propagande qui nous offre à voir son flanc et sa conscience à vide » nous dit Antoine Perraud qui rappelle par ailleurs la tentative d’empoisonnement et les menaces dont elle a fait l’objet.

C’est aussi Brian Evenson, en une du LibéS, auteur contrasté, né mormon, appartenant à cette culture jusqu’à son excommunication pour gagner sa liberté d’écrivain. Il perd son poste, sa femme et entache sa famille, mormone depuis six générations. Ses livres, il faut le dire sont assez particuliers, évoquent le corps, mais un corps souvent dérangeant comme dans La confrérie des mutilés, ou dans son dernier recueil de nouvelles que Frédérique Roussel nous présente ainsi : « Quel que soit l’angle, la fille paraît toujours être de dos. Des cheveux devant, des cheveux derrière et pas de visage. Comme si elle avait perdu une moitié d’elle cumulant deux arrières. » L’auteur dit ne pas rechercher l’effet fantastique type horreur, mais plutôt laisser au lecteur une place « pour y entrer et s’interroger sur ce qui se passe. »

Pour le Monde des livres c’est Maya Angelou, poète et militante qui s’est engagée, elle aussi, avant tout en tant qu’afro-américaine dans un combat pour sa vie, la mener et la sauver. Gladys Marivat insiste sur l’intérêt de sa biographie, traduite de façon un peu erratique en France, son identité d’arrière-petite fille d’esclave, victime d’un viol à huit ans et qui a consacré toute son existence à l’art poétique et à la défiance vis-à-vis des rôles assignés. « Accepter tout cela – ses erreurs, la complexité du monde et la sienne – exige du courage. Pour l’écrire, Maya Angelou a créé une langue unique où Evangiles, poèmes de Counteen Cullen, couplets de jazz, argot et tournures élégantes dialoguent sur le même plan. » Le titre de l’œuvre résonne comme un manifeste : « Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël. »

Rattrapage

L’actualité unanime s’est également fixée sur la célébration de la Révolution des œillets, une autre forme de résistance à la barbarie, que cette révolution de velours, sans dégâts humain. Paradoxalement le personnage central de cet hommage n’est autre que Salazar, dont Sébastien Lapaque nous dit « C’est un bloc d’orgueil, de dissimulation, d’ambition, de fourberie, de mensonge (et de cette hypocrisie typique de certaines punaises de sacristie de paroisse riche) dont Yves Léonard s’est attaché à faire le portrait. » Car là réside l’intérêt de cette actualité littéraire, la biographie de Salazar se lit comme un roman, et même plus, un thriller, s’enthousiasme l’ensemble de la critique.

Et en une du rendez-vous des livres dans l’Huma, Lidia Jorge raconte à Sophie Joubert en quoi la Révolution a changé sa vie, de jeune enseignante au Mozambique à écrivaine consciente « Je dis que j’ai vécu mille ans car une partie de mon enfance s’est passée pendant le Moyen-Âge. » Ce dont elle traitait dans Les Mémorables qui prend pour personnages de vrais héros de la guerre dont elle synthétise les prises de position.

Pour compléter ce panel, les cahiers rendent hommage au dernier roman de Lobo Antunes, qui revient sur la guerre coloniale du Mozambique à travers trois personnages. « Les trois personnages ne se rencontrant pas vraiment, chacun ayant tellement à faire avec tout le monde qui l’entoure, les morts et les vivants d’une vie longue. » rapporte Frédérique Fanchette qui souligne également la crudité du langage de l’auteur qui devrait rendre la censure folle avec son avalanche de nègre et négresses véritables témoins de la langue d’époque coloniale.

En attendant d’autres combats, bonne fin de week-end à toutes et tous.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)