Chronique 9 – du 9 au 15 mars 2024

Les Unes

 Même le monde imaginaire de la littérature est réel » ; nous conservons la citation de Drago Jancar en une du LibéS. L’auteur serbo-croate croit en la littérature et défend cette croyance : « j’ai commencé à réfléchir à l’ironie de l’histoire, à laquelle on ne peut plus répondre par l’activisme politique. Seule la littérature peut la comprendre. » La répétition de l’histoire est, pour lui, l’un des phénomènes dominants de la vie contemporaine. Son héros vit en Yougoslavie, dans un immeuble habité par « l’infanterie d’usine », mais se réfugie dès qu’il le peut dans un monde imaginaire, voire onirique, pour échapper au recyclage nationaliste de la cruauté communiste.

Une « autrice de bluettes pour adolescentes » en une du Monde des Livres ? Pas du tout nous dit Juliette Einhorn, Lucy Maud Montgommery est une écrivaine à part entière dont les éditions Monsieur Toussaint Louverture retraduisent l’œuvre en plusieurs volumes. Canadienne américaine, elle se projette dans le personnage d’Emily de New Moon qui essaie de se trouver à travers l’écriture. « Tout chez celle qui destinait en réalité ses écrits aux adultes, se tient dans un pas de deux, tressage unique de d’insolence et de poésie, de fantaisie et de profondeur. » L’univers qu’elle s’invente est projeté à partir du sien et d’une enfance isolée. Son héroïne porte un regard clairvoyant sur la société étriquée qui l’entoure et « porte à son plus haut degré le pouvoir de transmutation de l’écriture. » Bref, un univers hanté par de jeunes sorcières qui ont fait se détourner de son œuvre la critique scientifique.

La Croix choisit de consacrer sa une à Jean-Paul Dubois, dont le héros, Paul (comme dans tous ses livres nous dit Fabienne Lemahieux) tire deux balles dans la tête de son père, ou plutôt du cadavre de son père. Ce héros improbable, orphelin de mère et privé de frère dès sa naissance, cherche les raisons exactes de son geste. Condamné à une injonction de soin, il progresse par entretiens avec un psychologue atteint de conjonctivite ; le titre L’Origine des larmes s’entendra donc de plusieurs façons. Pour la critique, il s’agit cependant d’un livre « diablement drôle », « Onirique et mélancolique, délicieusement blasphématoire jusque dans son postulat de départ – un parricide. »

Le mauvais œil est sur Libé du jeudi. Celui qui fait, historiquement, agir l’âme sur le corps par l’intermédiaire des yeux et « par fascination fait le mal. » C’est un livre sur « l’œil comme foyer » nous dit Robert Maggiori qui définit l’essentiel de l’ouvrage de Béatrice Delenti comme une enquête historico-philosophique sur la fascination. Ne pas croire cependant, nous prévient-il que celle-ci ait disparu : « De fait, on songe à quelques pratiques de magnétiseurs et autres spirites d’aujourd’hui, aux vendeurs de « médecines du bien-être », aux malins influenceurs et aux influencés »

La nouvelle vague des auteurs algériens est dans le dossier de la semaine du Figaro littéraire. Et ces auteurs sont avant tout des autrices. Rachida Brakni ouvre le cortège avec un entretien accordé à Mohammed Aïssaoui une nouvelle génération? – « Je pense que ça n’est pas un hasard. Il y a un moment pour tout et je crois qu’on est rentrés dans une phase où certains récits ont besoin de sortir du champ sociologique ou des livres d’histoire et des statistiques pour investir le champ littéraire et raconter notre histoire familiale. » C’est aussi la nécessité d’une transmission autour de la vie de son père qui l’anime ; Amina Damerdji choisit un roman à peine fictionné pour évoquer la guerre civile des années 90 et Yasmina Liassine pose la question de la langue et « Il faut le souligner c’est superbement écrit » nous dit M.A.

Après la une du MDL, voici Gary Steyngart dans l’Huma. Le roman n’a pas bougé, un huis clos sur terrain large au bord de l’Hudson pendant le confinement, avec une référence évidente à la propriété d’oncle Vania (que les protagonistes joueront en fin de compte) : « Franche comédie dans ses deux premiers tiers, nous dit Sophie Joubert, le roman emprunte une pente plus mélancolique à mesure que l’isolement et la pandémie mettent à jour les fragilités. » Parmi les personnages, un pivot, l’acteur invité, égocentrique même si l’essentiel des héros est constitué « des archétypes de la côte Est cosmopolite, venus coloniser les habitants du cru. »

     Dans le pêle-mêle et  rencontres

Une bonne semaine pour ce qui est des rencontres avec les écrivains ; ainsi Frédérique Fanchette dans le LibéS s’entretenait avec Drago Jancar, écrivain yougoslave qui vit aujourd’hui en Slovénie. Double interview dans le Figaro littéraire entre Rachida Brakni, dans le dossier, et Olivier Bourdeau (Bojangles) en dernière page.

Quant à Johanna Silva qui évoque sa vie avec François Ruffin (version patriarcale notamment) elle est en dernière page du MDL.

Sinon, comme disent les jeunes, Quelques romans continuent de tracer leur route cette semaine comme le Python de Nathalie Azoulay qui a su séduire le l’Huma par la voix d’Alain Nicolas. Ce dernier relève des qualités déjà évoquées ailleurs : « les écrivains écrivent, les codeurs écrivent ». L’écrivaine va au-delà du documentaire pour faire un roman de rencontre entre imaginaire et numérique.

Ca continue aussi pour Barbara Kingsolver et son personnage de résistant aux industries pharmaceutiques, un Dickens version opiacée dans La Croix. L’Huma via Muriel Steinmetz rend hommage au livre plein de pasteurs et de néerlandais d’Emma Doude van Troostwijk, roman sur la tentative de résistance à la disparition de la mémoire. Celle des hommes et des rites.

On croyait tout savoir d’Eugène Ionesco, un volume de Quarto se propose de nous détromper, archives inédites et personnelles, documents inconnus, tout se ligue pour renouveler l’image du grand homme. A lire nous dit Mathieu Lindon : « le langage ou comment s’en débarrasser, ou comment s’en embarrasser ».

Jean Rolin réapparait comme chaque année avec un roman voyageur ou vagabond ; cette fois, fini la région parisienne, et bonjour le bagne « toujours en surface nous dit Philippe Lançon, toujours un peu à côté » Il papillonne cette fois, particulièrement vagabond, de la Côte d’Azur au bagne de Cayenne.

Une centaine de titres traités par la critique cette semaine, voir notre tableau.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)