Les Unes

L’autrice ne connaissait pas le roman de Dickens, David Copperfield mais elle « l’a téléchargé dans l’avion qui la ramenait chez elle » ; pour sa part elle vient d’une région peu centrée sur la culture urbaine américaine : « pour nous, explique-t-elle, c’est la musique, des courtepointes, du whisky et des bonnes histoires. » Bref c’est une américaine rustique. Une Américaine du Kentucky qui a longtemps cherché ailleurs des sujets, avant d’accepter pleinement son origine. Pour ce qui est d’écrire, Barbara Kingsolver déclare à Isabelle Hanne dans le LibéS que les histoires qui l’intéressent sont celles qui témoignent d’un problème de société contemporain. Comme la crise des opioïdes dont une bonne partie de l’Amérique d’aujourd’hui souffre, payant par l’addiction et la mort les largesses pharmaceutiques de Purdue Pharma entre autres. Son héros Demon Copperhead, pauvre et paumé, comprend qu’il faut assumer son identité de plouc pour tenter de s’en sortir.

Pour le Libé du jeudi c’est philo avec Bruno Latour et la religion pour thème d’un livre réédité ; Patrice Maniglier, plus qu’un article nous livre une synthèse des idées de Latour dans ce livre : « Il n’y a pas d’opposition entre Dire et Exister » insiste-t-il à partir de la pensée de l’écrivain philosophe. ; donc ses phrases ne visent pas « l’exactitude ou la correspondance avec les faits (…) mais la transcription du mouvement même qui les traverse et les porte. » C’est le rythme du texte qui fait sa valeur et non sa vraisemblance, ce qu’il nomme son « déhanchement ».

En interviewant Nathan Devers, Alice Develey lance la réflexion d’un spécialiste sur le rapport entre littérature et l’intelligence artificielle. Loin de condamner son utilisation, le jeune romancier souligne la paresse intellectuelle des scénaristes hollywoodiens qui seront remplacés par des machines s’ils ne deviennent pas moins prévisibles. L’IA assigne un rôle à la littérature, « rechercher l’imprévu. S’émanciper des attendus de l’époque. Si la littérature aspire à rester profondément humaine, elle doit s’émanciper des tutelles, des rouages anonymes que la société veut lui imposer. » C’est ce que fait Nathalie Azoulay dans un roman remarqué depuis cette rentrée, Python, dans lequel elle raconte à travers ses personnages sa propre immersion dans le monde du numérique…et sa fascination pour le code.

Bacon peintre des atrocités ? Pas du tout nous dit Guillaume Goubert en ouverture du supplément Livres et idées en s’appuyant sur les livres de Yannick Haenel et Franck Maubert. Ce dernier souligne « Il replace le corps humain au centre de l’art » dans « un temps, nous dit le critique, « où l’abstraction semblait conquérir tout l’espace pictural. » Quant à Yannick Haenel s’il ne nie pas le côté narcissique de l’expérience proposée par la collection « Une nuit au musée », il souligne que la peinture des peintres qu’il aime passionnément s’adresse à ce point le plus ardent en qui exige de reprendre vie. La une est illustrée par un dessin de Stéphane Manel le complice de Franck Maubert, qui, nous dit le critique, réalise l’exploit de dessiner un Bacon au travail sans le pasticher en rien.

Autre tableau en une du Monde des Livres, c’est un Brueghel l’Ancien de 1561, intitulé Margot la Folle. Pour Nils C. Ahl, c’est l’image qu’il faut pour évoquer le roman de Jérôme Olyslaeger, écrivain belge d’expression flamande, long monologue tenu par un aubergiste du XVIe (siècle) » : « Livre repu, bruyant et agité. Long monologue, il est à la fois le portrait d’une ville et de son bouillonnement intellectuel et culturel vu depuis les tables graisseuses d’une taverne et celui d’un homme désespérément amoureux qui reste seul, père et amant maudit. » Trois épouses mortes, un fils bestial et « La femme sauvage » qui donne son titre, fort à ce roman. Un texte visiblement picaresque mais « une forme d’harmonie s’impose nous dit le critique ».

Eshkol Nevo est écrivain, Israélien et en une du cahier livres de l’Huma. Pour son recueil de trois nouvelles aux fins aussi violentes qu’inattendues ; s’il se réfère à Kubrick et Lynch pour leur atmosphère fantastique il dit être aussi influencé par Gary et Houellebecq : « Je lis ses livres, ils m’irritent, je m’énerve. Je voudrais écrire de façon tout à fait différente mais ses romans m’ont marqué. » Ses personnages sont parfois très noirs, mais il garde tout de même confiance en eux. Dans Turbulences, les trois histoires mettent aux prises des personnages parfois ambigus mais en grande partie à cause des normes sociales. Il ne peut échapper non plus aux questions sur l’actualité mais précise cloisonner ses activités entre vie politique et littéraire tout en gardant une ligne optimiste quoi qu’il arrive.

Dans le pêle-mêle

La Louisiane de Julia Malye, après quelques articles élogieux sur son roman consacré aux femmes envoyées faire les épouses aux Amériques, se retrouve dans la rubrique Pourquoi ça marche de Libé ; pourquoi en effet ? « Des personnages féminins décidés à choisir leur destin, des hommes pas terribles, des séances d’herboristerie, des héroïnes qui portent sur les indiens et les « asservis » noirs un regard plutôt anachronique…L’ensemble vous mue en lecteur bienveillant même si la pléthore de comparaisons lasse un peu » nous dit Frédérique Fanchette. Après le Figlitt, c’est au tour de La Croix de célébrer Thomas Schlesser et son livre-roman consacré à l’histoire de l’art sur la base d’une trame liée à l’enfance. C’est un best-seller, déjà, à l’étranger. Thomas Schlesser se révèle être « un observateur illuminé qui fait corps avec la peinture, un homme sensible, débordé d’émerveillements. » Autrement dit, c’est un auteur fixé sur un livre et un seul : l’histoire d’une petite fille rééduquée au regard, après une brève cécité, par son grand-père amateur d’art, plaît énormément. Ca continue aussi pour Irene le livre de Manuel Vilas et Philippe Lançon de LibéS résout la question de l’intérêt pour nous, « Peut-on écrire un bon roman en racontant ce qui flotte dans la tête d’une femme idiote, méchante, égocentrique et, pour couronner le tout, mythomane ? Évidemment. »

Portraits et rencontres

En dehors des auteurs précités, on pouvait rencontrer cette semaine Christian Kracht, en page rencontre dans le MDL ; auteur suisse et très peu respectueux de la culture, notamment allemande. Abusé dans sa jeunesse, et finit par se réconcilier avec sa mère dans Eurotrash. En toile de fond des mouvements ésotériques auxquels il s’intéresse en précisant que ce sont les utopies communautaires positives qui le fascinent.

Une semaine riche en découvertes qui souligne encore une fois la vitalité de la littérature de tous les pays.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)