Chronique 5 – 10 au 16 février 2024

      Les Unes

En ouverture du LibéS, Denis Infante revient sur la genèse de son récit dont le personnage central est une renarde, nommée Rousse. Ici pas de petit prince, elle est seule ; « Je l’ai suivie » dit-il à propos de son personnage « Elle devait partir dans les montagnes chercher de l’eau. Elle pense aux neiges éternelles. Et puis son parcours bifurque, elle tombe sur le fleuve. Et puis elle bifurque encore vers l’océan. » L’auteur précise qu’il y a des océans dans son œuvre parce qu’il se rend souvent au bord de l’Atlantique. Ses réponses à Frédérique Roussel sont claires, directes et souvent autobiographiques, il se trouvait dans une librairie quand on lui a annoncé sa publication, il a prévenu son éditeur (Tristram), « je suis d’une dysorthographie que vous ne pouvez même pas imaginer. » Il a 70 ans, fait tous les métiers et a écrit ce récit dystopique dont la narratrice n’utilise pas les articles. « Rythme particulier, au premier abord infantile, puis incroyablement naturel, comme si elle émanait de la conscience de l’animal. » Pour la critique.

Femmes de lettres et femmes engagées pour le Figaro littéraire. Trois pages de dossier-événement, dans lesquelles se croisent des femmes de divers horizons et de divers tempéraments : Louise Michel et Emma Goldman côté révolution, Albertine Sarrazin « Profession : braqueuse, prostituée, cambrioleuse, prisonnière et romancière » comme le souligne Alice Develey. Deux anglaises et une Américaine du XXe siècle, toutes écrivaines aux destins contrastés. Sylvia Plath meurt tragiquement, Lesley Blanch, entre autres choses épouse de Romain Gary, s’éteint tranquillement à 103 ans. Résumons, beaucoup de biographies, des mémoires et deux anthologies, les épistolières célèbres du XVIIIe siècle et les courtisanes vénitiennes. On appréciera l’article d’introduction que Jacques de Saint-Victor consacre à Louise Michel, florilège : « Si l’on excepte Jeanne d’Arc et la pauvre Olympe de Gouges, guillotinée par Robespierre pour avoir voulu défendre Louis XVI, aucune femme dans notre pays, en dehors des reines et des maîtresses royales n’a autant fait parler d’elle que Louise Michel » ; elle est la victime de Thiers, « Ce républicain cynique et tout en roueries avait fort bien compris qu’il fallait écraser dans le sang la Commune pour pouvoir mieux écarter le dernier espoir crédible de restauration monarchique. » ; conclusion « The Red Woman comme se plaisent à l’appeler les Anglais lors de son exil à Londres, incarne à ses dépens les ambiguïtés d’un socialisme qui a rompu les amarres avec la République au profit de l’aventurisme révolutionnaire. Avec ses errements…Ceux d’aujourd’hui comme ceux de demain. » Fichtre !

Harald Jähner est l’écrivain de la semaine. Le titre de son livre consacré à l’Allemagne, Le temps des loups évoque les ouvrages sur la période, fascinés par militaires et nazis. Eh bien non ! Jähner consacre l’essentiel de son récit/étude à ce qui s’est passé après-guerre, le vent de liberté qui a soufflé dans l’Allemagne ravagée. Dans l’interview qu’il accorde à Nathalie Levisalles, il explique que si loups il y a, ce sont ceux du marché noir, qui paradoxalement ont servi à reconstruire le tissu social par la confrontation : « Quel paysage absurde : les gagnants et les perdants de la guerre réunis illégalement pour conclure des deals, pour trouver des accords gagnant-gagnant ». Les femmes sont particulièrement représentatives de cette époque en optant pour une libération radicale des règles de l’ancienne société. Le livre est illustré et les photographies se révèlent essentielles pour l’auteur. Elles servent à montrer les individus et, ainsi, à dépasser les schémas collectifs et les stéréotypes de la période.

La postérité de Bobin en une de La Croix ; elle commence avec le livre Murmures qui, nous dit Elodie Maurot : « rassemble les pensées de ses derniers mois, où la simplicité et le flamboiement se mêlent » ; En suivant cette fois la voie de la musique ». Il y définit la mort d’une façon nouvelle. « La mort que nous devons redouter est tout autre. C’est « la mort dans la vie. Les conventions. Les fleurs en plastique de l’intelligence raisonneuse. » » Ce qu’il chante donc, c’est la simplicité du quotidien. Elodie Maurot ne peut s’empêcher de faire référence à son « ami François d’Assise » avec lequel il avait connu le succès et même une forme de consécration lors de la publication du Très bas (collection Gallimard « L’un et l’autre ».

Entre littérature et sciences humaines, le livre que Romain Huët consacre à la guerre se retrouve en une du Monde des livres. L’ethnographe retranscrit son expérience personnelle en accompagnant les soldats : « ce qu’il a vécu auprès d’eux, embarqué dans leurs pick-up, terré avec eux dans des abris. » Il se confronte à la variété des engagements et des points de vue même si l’expérience est ici universelle : « le basculement de gens ordinaires dans une vie qu’ils ne pouvaient imaginer. Mais personne, montre-t-il ne peut imaginer un tel renversement de l’ordre des choses, et il s’agit pour chacun d’assister à sa propre transformation, de se découvrir neuf, inattendu. » L’auteur ne prétend pas faire œuvre scientifique en suivant un protocole de recherche mais bien plutôt de rapporter des expériences communes de la guerre « de l’exaltation des débuts à l’épuisement psychique » souligne Florent Georgesco.

Après le MDL, c’est au tour de l’Huma de rencontrer Laird Hunt, auteur de Zorrie, un roman inspiré par la personne de sa grand-mère paternelle en Indiana. Une figure simple qui fait explicitement écho au roman de Maupassant, Un cœur simple. L’auteur, Américain, a grandi dans différents pays, a étudié les lettres à Strasbourg et les enseigne à présent dans le Rhode Island, mais il revient sans cesse à cette figure de l’Indiana : « C’est le centre de mon imaginaire » confie-t-il à Sophie Joubert quant au récit lui-même, « le roman commence à la fin de la vie du personnage, puis on repart du début de son existence ».

     Dans le pêle-mêle

Violaine Huisman poursuit sa route avec son récit consacré à ses ascendants directs père et grand-père, le premier pour son manuel de philo édité à plusieurs millions d’exemplaires, le second qui dirigea les Beaux-Arts de Paris avant de lancer le festival de Cannes La Louisiane de Julia Malye, après quelques articles élogieux sur son roman consacré aux femmes envoyées faire les épouses aux Amériques, se retrouve dans la rubrique Pourquoi ça marche de Libé ; pourquoi en effet ? « Des personnages féminins décidés à choisir leur destin, des hommes pas terribles, des séances d’herboristerie, des héroïnes qui portent sur les indiens et les « asservis » noirs un regard plutôt anachronique…L’ensemble vous mue en lecteur bienveillant même si la pléthore de comparaisons lasse un peu » nous dit Frédérique Fanchette.

   Portraits/Entretiens

On pouvait donc rencontrer Denis Infante dans Libé du samedi et Harahld Jähner dans celui du jeudi ; Nina Bouraoui dans le MDL, Laird Hunt dans le Rendez-vous des livres, le cahier de l’Huma, Xavier Bouvet dans le Figlitt pour son roman sur la résistance lituanienne et Jean-Philippe Blondel professeur-écrivain dans La Croix. Violaine Huisman est portraiturée en Mots de passe dans le MDL.

99 livres chroniqués cette semaine, les critiques vont bien finir par l’épuiser cette rentrée de janvier !

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)