Les unes

Il ne faut pas ranger les prix Nobel au magasin des antiquités, ils et elles continuent à écrire. Le Clézio, bien sûr, Modiano mais aussi Olga Tukarczuk, pour qui le combat contre les clichés patriarco-nationalistes se poursuit. « Mais, nous prévient Nicolas Weill, la singularité du style de Tukarczuk repose avant tout sur l’art du décrochage de la réalité ». Reprenant la veine des romans de sanatorium, l’autrice pousse les stéréotypes plus loin. Elle va vers ses thèmes « « de prédilection » nous dit le critique, que Tukarczuk nourrit pour le primitivisme, le folklorisme, le paganisme dont tous les romans s’efforcent de retrouver l’intensité à travers l’exaltation du féminisme, sous le revêtement du christianisme et des lumières machistes ». Résumons, des épouses succubes, une boisson, la « Schwärmmerei », qui porte le même nom qu’on donnait au XVIIIe au fanatisme et une réflexion sur la possession.

Denis Michalis faisait la une du LibéS (27/28-01) et son roman Amour fou semblait partir dans toutes les directions avec sa trame policière et son héros paranoïaque. Son sujet réel pour Eric Loret ? « L’intimité face au politique : « une société sans secrets est une société fasciste » avance l’un des protagonistes » L’intérêt du livre en dehors de l’intrigue policière, réside essentiellement dans la galerie de personnages qui traverse le récit (il a débuté comme portraitiste pour Arte). Il a également beaucoup lu de contes de Grimm qui font maintenant partie de son univers mental. Bref, là aussi il y a de l’étrangeté et des personnages tourmentés, psys, fils de psys, policière municipale, chacun avec un chapitre à son nom.

L’étrangeté peut aussi être celle des savoirs ; ceux que rassemble Karin Ueltschi dans son ouvrage consacré aux savants ou magiciens, matrones ou sorcières ; elle détaille les liens entre la sagesse des femmes et les superstitions qui accompagnent tout destin savant. Robert Maggiori a été séduit dans ce LibéJ par la personnalité de Trotula, véritable femme médecin du Moyen-Âge que l’on a souvent associée à la magie et à l’occultisme. Car la thèse de l’autrice est qu’il y a eu rupture progressive entre savoirs concrets et science, ce qui a contribué à enfermer les premiers dans l’univers délirant des pratiques de sorcellerie. Du même coup, on voit « des mages être pris pour des savants, des savants pour des chiromanciens » nous dit le critique, on suspecte même ce pauvre Virgile de nécromancie. La constante reste tout de même la division entre les hommes savants et les femmes bricoleuses de magie.

Claire Fercak crée une héroïne, un double de fiction, Helena Cervak ; elle est jeune et en fuite, elle abandonne derrière elle hôpital et traitement de sa dépression pour retourner chez elle, en Slovénie avec peu de bagages et l’urne qui contient les cendres de sa mère d’accueil : « Helena file en écoutant Dalida vers un pays inconnu où elle espère rencontrer les quelques personnes qui portent son nom » nous raconte Sophie Joubert de l’Huma. Elle nous rappelle le goût de l’autrice pour les situations extrêmes. « Le questionnement sur la normalité, sur la marge et les métamorphoses » que l’on trouve dans ses autres romans. Ainsi que son goût pour une langue qui ne craint pas de jouer avec les mots « Je peux les lancer, les projeter contre un mur, je les glisse dans ma main, je ferme le poing, je les secoue, je jongle avec » Liste non exhaustive.

Deux transitions sont donc possibles avec le dossier du Figlitt de la semaine, consacré aux écrivains étrangers qui ont choisi le français pour écrire. Soit un rapprochement avec Brina Svit (Slovène également), Velibor Colic (Bosniaque), Liliana Lazar (Roumaine) soit plus encore avec Elitza Geoguieva ; cette dernière est Bulgare mais, surtout, comme le soulignent les articles qui lui sont consacrés ces dernières semaines, la base de son écriture réside dans un subtil jeu avec la langue française. La présence de ces auteurs de l’est écrivant dans la langue de l’exil sans renier leur culture, support de leur regard sur nos sociétés de l’ouest montre qu’il se passe quelque chose de nouveau dans la littérature française.

Habitué des rentrées de janvier, Russel Banks participe à celle de 2024 avec un roman posthume qui évoque presque le paradis par son titre Le Royaume enchanté. Prétendument autobiographique et enregistré par un vieil homme seul, Harley Mann, le roman de Banks explore quelques moments et figures de ce qui aurait pu être le paradis : de la nouvelle Béthanie des pionnier protestants à Disney world. Ce passage s’effectue à travers les affaires du héros qui a « racheté et revendu à tour de bras des terres qu’il avait jadis contribué à faire fructifier » en Floride. Fabienne Lemahieux de La Croix est admirative : « Roman d’apprentissage en même temps que critique des mensonges et des espoirs déçus du rêve américain l’ultime œuvre du conteur Banks est sans digression malgré les détours du récit, minutieusement construit autour d’une rhétorique de la morale. »

Dans le pêle-mêle

C’est le retour de Gaëlle Obiégly (3^e roman) avec Sans valeur un récit consacré à un petit tas d’ordure découvert dans la rue, qu’elle rapporte chez elle et explore ; Question nous dit F.Ri dans LibéS « Elle se retrouve ainsi à juger de la valeur des choses : archives ou déchet ? ». Ça continue aussi pour Nicolas Richard et son curieux roman La chanteuse aux trois maris disons-le tout de suite, chanteuse de cabaret aux trois maris morts de mort violente. « Les personnages se font face, en miroir. Et ceux que l’on croit secondaires sont peut-être les grands artisans de cette machination romanesque. »

Cette semaine portraits de Valérie Zenatti (MDL), Sigridur Hagalin Björnsdottir (La Croix) Thomas Schlesser (Figlitt) le Français qui affole l’édition mondiale. Et rencontres de Victor Malzac qui veut « faire bouger le corps qui lit »MDL et Denis « Quinze histoires à la seconde en tête » Michaelis

Le titre de la semaine : La vie dans les galaxies et dans les taxis. Chronique de Roger-Pol Droit consacré à Un taxi pour l’espace.

Une semaine riche en découvertes ; à confirmer.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)