LES UNES

« Avec les jeux olympiques, ça va être la fin des haricots (à propos de Paris). Je ne relirai jamais Proust, parce qu’on aura beau dire, il y a quand même pas mal de passages emmerdants. Me concernant, on pourrait penser que j’écris pour la fin du XVIIIe siècle avec un livre comme celui-ci » Florilège de Jacques Réda lors de l’interview qu’il accorde à Thomas Stélandre dans le LibéL de samedi dernier. Il revient sur son œuvre, il n’aime pas dire son « travail » ; les vers qui lui viennent, qu’il polit en suivant une versification classique. De toute façon il n’en restera rien pense-t-il. Il demeure témoin de son époque mais aussi ami des arbres, avec une tendresse particulière pour le peuplier. Les arbres, c’est pour son nouveau recueil, Leçons de l’arbre et du vent. Après, ce sera un essai sur la danse : « Je pense que la danse représente tout ce qui nous reste de liberté. »

Ginette Kolinka est, elle aussi, une vieille parisienne, elle a vécu dans le même appartement toute sa vie, nous dit Alice le Dréau, de La Croix. A l’exception toutefois des années 42 à 45 dont elle passe une partie au camp de Birkenau. Son témoignage, élaboré en commun avec Marion Ruggieri à partir de la visite de son appartement, porte le titre d’Une vie heureuse. Le livre existe, souligne la critique, parce qu’elle appartient au groupe très restreint des derniers survivants « L’autobiographie est imprégnée de cette impérative urgence qui revient au fil des pages. »

C’est Marie-Dominique Lelièvre qui commente dans Libération le recueil des œuvres principales de Jean-Paul Kauffmann chez Bouquins. Et pour cause, c’est elle aussi qui avait recueilli la première son témoignage sur sa captivité à l’hôpital de Val de Grâce. « Le papier paraît le jeudi 12 mai 1988. Précis, rigoureux, synthétique. Mais la chair, l’effroi, le mystère de cette expérience ont disparu (…) L’extraordinaire pouvoir allusif du témoignage de Jean-Paul Kauffmann s’est évanoui. » Les livres en revanche, constituent une bonne approche de son récit de retour à la vie. Leur regroupement se fait dans la collection « Bouquins », dès le premier qui raconte la redécouverte du Bordelais jusqu’à sa remontée du cours de la Marne et à sa symbolique du retour aux sources, de la délivrance. Cependant il reste « Un homme qui refuse de tirer profit de sa tragédie, c’est rare dans une société où la moindre éraflure crache son jet d’encre. »

Djinns, le roman de Seynabou Songo, n’est pas un hommage direct à Victor Hugo mais une épopée contemporaine. Ce premier roman qui enthousiasme Sophie Joubert, de l’Huma, raconte les aventures d’une famille sénégalaise et française qui tente de sauver un jeune homme, interné psychiatrique, pour le soigner par la médecine traditionnelle : « Roman d’apprentissage et d’aventure au coin de la rue, Djinns chemine sur une ligne de crête à la frontière des cultures, des croyances, des langues. » L’autrice est proche de son sujet, entre ouverture sur la vie européenne, nourriture, université, « galères » personnelles et fascination pour l’univers traditionnel africain. Avec l’humour comme dénominateur commun.

Une introduction de Bruno Corty nous le rappelle, les chanteurs se sont régulièrement mués en écrivains. Nicolas Peyrac, Yves Simon, Kent… Pour certains c’est un changement momentané de cap, pour d’autres, une seconde et peut-être principale vocation. Le dossier tourne autour de quelques figures contemporaines, Arthur Teboul chanteur inspiré par Christian Bobin, notamment. On retrouve Thomas Fersen « l’autoportrait d’un inadapté qui cherche désespérément, mais en vain, à s’ajuster aux règles et aux codes de son temps » Joseph d’Anvers revient sur sa carrière et sur le rock and roll en évoquant le sort de Kurt Cobain. Quant à Barbara Carlotti elle livre un ouvrage de nouvelles érotiques mais dont la dimension essentielle, nous dit Mohammed Aïssaoui, est « politique, c’est le livre du désir et de la liberté » C’est vraisemblablement la plus originale des œuvres évoquées ici.

Roman-gouffre pour Juliette Einhorn du Monde des Llivres, le nouveau titre de Grégory Le Floch S’intitule Gloria Gloria. L’intrigue est à la fois claire et sombre : une jeune femme découvre le journal de son grand-père « qu’elle présente comme un esprit dépravé, amoureux des très-vieux corps. » Elle est saisie, puis décide d’enquêter sur l’île d’Elbe sur laquelle ledit aïeul s’est retiré afin de passer quelques mois en ermite dans une grotte. « la petite-fille prend la plume afin de poursuivre le récit intime qui devient roman à quatre mains. Car sa démarche se noue à celle de son aïeul : tenir le journal d’un mort, porter à incandescence l’âme et le corps d’un être sur le point de se liquéfier. » Un roman gigogne.

Dans le pêle-mêle

Olga Tokarczuk voit son recueil de nouvelles saisir la critique, à l’image de Thierry Clermont du Figlitt : « Etrange, insolite, grotesque, fantasmatique…Tokarczuk joue ici sur plusieurs tonalités et registres pour nous dire le quotidien détraqué de ses personnages. » Sigrid Nunez est présente dans ce même supplément ainsi que dans le MDL à la rubrique Mots de passe. On y découvre son dernier roman inspiré d’une phrase de S.Weil « Quel est ton tourment ? » Un roman « d’une grâce et d’une douceur ébouriffante. Nous dit Raphaëlle Leyris. D’une vitalité pleine d’humour aussi »

Portraits/Entretiens

Jacques Réda accorde donc l’entretien le plus pessimiste de la semaine ou disons plutôt celui qui présente le contraste le plus net avec les propos de Ginette Kolinka ; même si celle-ci conclut son entretien sur cette formule précise et réaliste « Si l’écho de leur voix faiblit, nous périrons »

Sigrid Nunez est dans le MDL à la rubrique Mots de passe.

Arnaldur Indridason ferme le ban avec un article-rencontre de Marie Charrel consacré à son dernier roman, historique.

Arthur Teboul, chanteur de Feu ! Chatterton accomplit sa mue de poète dans les colonnes du Figlitt dans un entretien avec Alice Develey et notamment l’influence de Chrsitian Bobin « – Tout mot peut-il être poétique ? – J’en suis persuadé mais il ne faut pas chercher l’état poétique permanent. »

Un bourgeonnement d’œuvres bien qu’il soit encore trop tôt pour lire dans les parcs.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)