Chronique 80 – 6 fevrier 2023

LES UNES

Première page du LibéL de samedi 04/02 et du Monde des livres de cette semaine. « Stig Dagerman a posé le problème. Il disait : j’écris en voulant être lu par ceux qui ont faim ; et en fait je ne suis lu que par des gens dont la table est servie. » Le nouveau JMG parle de ses regrets d’engagement sur le terrain qui justifient son engagement total du côté de l’écriture. D’où ces nouvelles dont les héros sont des enfants ; des contes dont chaque héroïne et héros représente une espèce de déshérité : chacune d’entre elles et d’entre eux se battant pour fuir une réalité terrible, de la guerre à l’exploitation en passant par l’esclavage. Bertrand Leclair est fan : « Sous les yeux ébahis du lecteur, un phénomène de cristallisation du récit s’élabore sans trace d’effort aucune : jamais explicité, l’avers fait vibrer les phrases comme autant de cordes simples d’apparence mais riches d’harmoniques qui se combinent. » Il note la prédominance de la question de la valeur humaine, aujourd’hui trop souvent aliénée à celle de la valeur marchande d’un individu.

Anuk Arudpragasam aurait-il pu figurer dans le livre du précédent ? L’enfant qu’il était sûrement, ou l’enfant qu’était son héros, de retour dans son village de pêcheur originel « honteux d’avoir tourné le dos à son pays aux heures les plus cruelles de son histoire », s’évadant de la longue guerre civile au Sri Lanka (26 ans). Son héros est un homme « intranquille », qui évite les sujets qui fâchent comme la mort suspecte de la vieille servante aux obsèques de laquelle il est venu assister. Mariane Meunier nous rapporte son entretien avec l’auteur : « Le lecteur ne doit pas avoir la satisfaction de savoir ce qui est arrivé à Rani. Tant de gens comme elle ne savent pas ce qui est arrivé à leurs proches. » Son atout pour une littérature du non-dit : le style « formidable maîtrise syntaxique (…) Prolongeant ses rythmes par-delà la fin des phrases, Anuk Arudpragasam nous aimante vers les suivantes et nous voilà arrivés au Nord, par-delà la mélancolie. »

Stéphane Lançon le souligne en une de LibéL ce jeudi : « C’est une enquête personnelle, acerbe et engagée, sur la postérité de Sylvia Plath : les effets mélangés de sa vie, de sa mort et de son œuvre sur ses proches et ses biographes. » Il évoque le livre que Janet Malcom, partisane de l’écriture de non-fiction, a publié à son sujet La femme silencieuse et le parti qu’elle choisit, celui de Ted Hugues. Le mari de Sylvia Plath est accusé d’avoir provoqué son suicide ainsi que celui de sa seconde femme et paie cette tragédie d’attaques permanentes. Le livre n’est toutefois publié en France qu’après la disparition de l’autrice.

Le Figaro littéraire revient sur les cent ans de l’arrivée d’Hitler au pouvoir et ses conséquences pour les écrivains. Etienne de Montety signe le papier d’introduction qui évoque la vie berlinoise de l’époque, folle comme partout ailleurs en Europe. Il présente également le livre d’Uwe Wittstock qui évoque la période précédant immédiatement la catastrophe : « Le livre de Wittstock est construit comme une éphéméride, égrenant les jours comme un sablier : il est plus tard que tu ne crois disaient les cadrans solaires des Anciens. » Les écrivains réagissent de différentes manières, certains émigrent immédiatement comme Remarque qui achète une villa en Suisse avec les droits cinéma d’A l’ouest rien de nouveau, d’autres pensent pouvoir encore voter contre Hitler, la plupart dansent au bal de la presse « Tenues de soirée, habits et robes longues sont de rigueur » souligne Etienne de Montety comme toujours un peu nostalgique de cette atmosphère. Polar berlinois, jeunesse de Catherine Clément et Correspondance des Zweig complètent les références du dossier.

« Facétieux », Pierre Senges nous dit Alain Nicolas. L’auteur joue cette fois sur les œuvres d’un écrivain fictif dont l’unique quête aura été le silence, écrivain qui ne proteste pas contre le régime soviétique mais dont la résistance consiste à faire l’éloge de tous les silences. « Dans le grenier où il s’était réfugié, avec sa machine à écrire et ses kilos de papier – empruntés par on ne sait quelle manœuvre-au magasin du commissariat au peuple, il s’attaque à faire de sa solitude un silence nourri. » Un second livre complète la rentrée de l’écrivain, L’épître aux Wisigoths dont le titre pourrait égarer et qui s’adresse à tous les écrivains qui, face aux découvertes scientifiques qui dépassent le réel, relèvent le défi et, comme le souligne Alain Nicolas à propos de l’auteur « élèvent l’anecdote à la taille d’une saga, le détail au rang d’un palais. »

Dans le pêle-mêle

Christophe Boltanski a choisi un drôle de musée pour passer sa nuit ensuite écrite pour les éditions Stock : il s’agit de l’Africa Museum, autrefois colonial et maintenant difficile à situer nous dit Stéphane Lançon. Une nuit inquiétante en compagnie des massacres et empaillements rapportés par les chasseurs-prédateurs de la période coloniale. Laura Ulonati et son évocation de la sœur de Virginia Woolf comme rivale artistique (déçue) et comme rivale en maternité (satisfaite) continue d’attirer le regard de la critique et confirme la place des femmes personnages en ce début d’année. C’est notre chronique orale

Portraits/Entretiens

Yaniv Iczkovits, est dans la page Rencontre du Monde des Livres ; ancien soldat et philosophe, il écrit un roman sur la vieille Europe Yiddish, celle de Minsk avec sa misère mais aussi sa richesse culturelle, pour se sortir du la ligne masculine calamiteuse de la politique israélienne.

En pages intérieures, on découvre un peu plus Paul Pavlowitch dont la vie ne se limite pas à l’imposture Gary mais comprend aussi un « ménage à trois », deux filles éditrices dont l’une a corrigé le pavé mémoriel pour le rendre lisible, sans en garantir la véracité cependant.

Mémoriel, aussi mais mêlant texte et dessin, Frédéric Pajak est en Rencontre du Figlitt, conversation « entre coq-à-l’âne et bâtons rompus » nous dit Thierry Clermont, on y parle beaucoup de la magie mélancolique de l’Italie, et de celle du dessin ; JMG Le Clézio livre son grand entretien à Frédérique Fanchette dans le LibéLS (voir plus haut). C’est l’essentiel de la semaine.

En attendant la suite… A la semaine prochaine.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)