Chronique 78 – 12 janvier 2023

Il y a toujours de grands Américains à la rentrée de janvier, comme Russel Banks, ou cette année, Colson Whitehead. Dans l’entretien qu’il accorde à l’Huma il revient sur son œuvre, en souligne la continuité, le rôle des romans sudistes dans la construction de son nouvel opus new-yorkais. Il aborde le monde de Harlem de l’intérieur à travers ses héros dont les destins se jouent entre les années 50 et 60. Le roman s’achève en 1964 avec la mort d’un jeune noir tué par un policier blanc comme le souligne Muriel Steinmetz, réponse : « J’ai achevé le livre au printemps 2020. Le lendemain éclataient les émeutes liées à la mort de Georges Floyd. Rien de prémonitoire, ce gendre d’événement est inhérent à la vie américaine. » La communauté se divise entre ceux qui veulent se battre et ceux qui sont résignés, battus d’avance par la violence policière.

Eric Faye a écrit un roman contestataire mais à bas bruit. Il n’y est pour rien, ce serait plutôt l’époque qui veut ça « On ne peut pas travailler impunément dans le secteur privé pendant un tiers de siècle, sans avoir de réactions, sans être marqué. Surtout quand, en trente-deux ans, on voit la dégradation de la situation, pour rester poli et l’arrivée de méthodes de gestion nouvelles. » dit-il à Frédérique Roussel du LibéL ce samedi. Le titre de son roman sonne cependant comme une provocation : « Il suffit de traverser la rue ». Pas de révolte dans l’entreprise qu’il décrit et particulièrement chez son protagoniste principal, on se laisse submerger par la violence des techniques managériales en en riant jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. La résignation serait-elle le sujet de la rentrée ?

Spécial « femmes romanesques » pour le Figaro littéraire. Un singulier mélange, amantes, poètes, go-between, sœur contrariée, trois générations d’actrices hollywoodiennes. Reprenons, on trouvera donc, chez Patrick Grainville un roman consacré à la figure d’Isabel Rawsthorne qui parvint à réunir Bacon – qui la fréquenta beaucoup – et Giacometti -un peu moins -en dépit de leurs différences, dans un trio artistique.

Les sœurs du Double V de Laura Ulonati sont Vanessa et Virginia, à savoir les sœurs Woolf ; la première, méconnue, peintre, et souvent amère devant le succès de l’autre.

Passons sur les autres pour le moment, et relevons que les autrices sont présentes dans l’évocation de ces héroïnes et qu’on quitte ici les thèmes de la rentrée de septembre qui tournait beaucoup autour de la maltraitance pour ouvrir à des biographies effectivement romanesques.

Rentrée des idées dans le LibéL de ce jeudi, avec psychanalyse, mères abandonniques et hystérie en une. Robert Maggiori l’affirme, l’hystérie a disparu du vocabulaire psy pour être remplacée par une multitude de symptômes, mais la société continue d’utiliser le terme : « Dès lors l’hystérie renvoie moins à une approche médicale qu’à un discours dont la finalité est de dire, fantasmatiquement ce qu’est le sexe féminin, ce que l’homme voudrait que la femme fût ». Et Jean-Christophe Abramovici de s’intéresser aux symptômes et aux discours qui sont les mêmes à travers les âges même si, au XIXe, s’opère le tournant qui remplace le siège de l’utérus par celui du cerveau ; la femme est et reste victime de la matrice ou de son insatisfaction à laquelle il faut remédier sans pour autant lui laisser la possibilité de le faire par elle-même.

Un grand scélérat en une du cahier livres de La Croix. Léon Daudet se sert de la mort de son fils pour servir sa carrière politique, préférant au suicide avéré l’hypothèse d’un assassinat qu’il construit de toute pièces, jusqu’à désigner les coupables. « Salir ses adversaires par tous les moyens, les harceler, balancer de fausses informations, hurler au complot. A force de répétition morbide, ses funestes obsessions tiennent lieu de vérité » relève Jean-Claude Raspiengeas qui rend hommage au roman de Christophe Donner et à son approche des mécaniques du discours haineux d’extrême droite.

Et de deux ! pour Christine Montalbetti qui fait la une du Monde des livres cette semaine, après celle de La Croix, pour son « roman sur le roman » comme le définit Pierre-Edouard Peillon. Il nous rassure, ce n’est pas un pensum pour intellectuel. Tout se passe dans Le relais des amis au sein duquel les personnages se rencontrent, viennent et repartent, ainsi que, si l’on a bien compris, le récit lui-même : « On quitte la côte française pour cheminer vers la capitale où l’on se balade à dos de mouche. Puis l’on profite d’un coup de téléphone pour se transporter vers le Portugal. Là-bas c’est un reportage de télévision qui nous emmène au Japon, où l’on voyage même en rêve. » Bref, l’univers de Christine Montalbetti est généreux sur le plan de la fiction tout en se tenant « loin des multivers hollywoodiens. »

Dans le pêle-mêle

Hélène Frappat et son livre sur trois générations d’actrices « disparues » a convaincu Isabelle Spaak du Figlitt ; tandis que Grainville et son trio Bacon, Rawsthorne, Giacometti est à la fois dans le Figlitt et dans le MDL, Bertrand Leclair soulignant au passage l’essence de la figure centrale Isabel Rawsthorne, se refusant à Picasso, mais figurant dans des toiles de Balthus, Bacon et fascinée par Giacometti.

Portraits/Entretiens

Beaucoup d’auteurs prennent la parole cette semaine, Eric Faye, Colson Whitehead, mais encore David Thomas, nouvelliste délicat qui travaille au texte plutôt qu’au récit, qui va vite, de nouvelle en nouvelle, à retrouver dans le LibéL du samedi (7-8/01). Sa famille proche ? Bouiller, Jaenada, Emma Becker, Jean-Paul Dubois : « quand je lis un de ses livres j’ai l’impression de rentrer à la maison ». Mais aussi Marie-Hélène Lafon dans la rubrique Mots de passe du MDL. En dernière page du même MDL, on Rencontre, Lauren Groff, passée de la Floride à l’Angleterre du XIIe siècle. Mais aussi Pierre Lemaitre en dernière page du Figlitt :« L’influence de Balzac c’est sur la structure, pas la thématique. L’argent n’est pas mon moteur narratif. »

Une semaine plutôt bavarde, donc. A la semaine prochaine.

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)