« Elle a mis avant la plupart de ses contemporains des idées et des mots sur des phénomènes, des événements, des écrivains, mais ce qu’elle avait écrit, quand c’était juste, a rejoint l’ombre de Cassandre dans les ruines de Troie. » Qui donc ? Susan Sontag dans le LibéL de ce samedi. Philippe Lançon revient à la fois sur une biographie et un texte en forme de manifeste qui constituent son actualité. Ce second, Le Style Camp, est constitué d’une liste de ce que ce fameux style Camp est et n’est pas, quant à Sontag elle va devenir une activiste touche-à-tout et risque-tout y compris le ridicule ou l’oubli. « Elle est l’enfant d’exception de ce ménage à trois qui, autour des années 60, unit pour la première et la dernière fois la culture classique, la culture populaire et les cultures minoritaires. » nous dit Philippe Lançon avant de reprendre le point de vue de son biographe, Moser, qui en fait une star de l’intellectualisme américain tout en l’enterrant, « un enterrement luxueux, nous dit Lançon, mais imparfait. »

Une autre Susan, Neiman cette fois, « est une philosophe audacieuse » nous dit Elodie Maurot en une de La Croix ; elle « revendique une pensée en prise avec l’actualité » et c’est pourquoi elle s’est attachée à la question du mal comme structurant la modernité. Partie du tremblement de terre de Lisbonne en 1755, fait universellement marquant du XVIIIe siècle, elle constate que « la nature n’est plus investie d’un sens moral. Le mal relève de l’action de l’homme ». Du même coup s’opposent ceux qui pensent le bien possible et ceux qui n’en ont cure, « Susan Neiman se place elle-même dans le premier camp » il ne s’agit pas d’optimisme béat mais de lucidité : avec Auschwitz s’effondre, pour elle, la pensée du mal flamboyant facile à condamner, il va bien falloir faire face à nos vrais démons si nous voulons progresser.

La barbe ne fait pas le philosophe nous dit Annabelle Bonnet dans le titre de son ouvrage consacré aux femmes en philosophie. « Voilà qui pourrait ressembler à une scène vide puisque les figures de ces pionnières ont été rendues invisibles non seulement dans l’histoire de la philosophie mais dans l’histoire tout court » Il ne s’agit pas de montrer l’oppression et seulement elle, mais plutôt de mettre en lumière les mécanismes qui ont amené à négliger systématiquement les possibilités des femmes dans ce domaine. Elle s’intéresse donc à celles qui ont réussi à s’imposer, non pas à s’adonner à la philosophie, mais à vaincre les résistances d’un XIXe siècle qui leur dénie jusqu’au droit à l’éducation. Pour reprendre une formule de l’auteure, la IIIe République entend officiellement former « non pas des citoyennes mais des femmes de citoyens », à eux la philosophie, à elles les travaux du ménage. Vers 1920 les choses progressent, vers 1940 elles régressent, avant de commencer un vrai chemin vers l’autonomie dès le droit de vote de 1947.

En revanche la princesse Marie Bonaparte (arrière-petite nièce) a bénéficié d’un champ d’action plus large, mêlant philosophie avec ethnologie et surtout psychanalyse. A la fois femme de science, de recherche et personnalité tourmentée, elle suit une analyse avec Freud dont elle supervise par ailleurs l’édition des œuvres en France. Elisabeth Roudinesco, dans son article pour le Monde des Livres souligne le travail incessant de cette première amie de la psychanalyse et la recherche éperdue de sa propre sexualité, à travers son obsession des expérimentation chirurgicales sur son propre corps et particulièrement son clitoris pour vaincre sa frigidité. Sa correspondance avec Freud est aujourd’hui accessible ainsi que le livre de Célia Bertin qui lui est consacré (1982) nettement dédaigné par la tribu psychanalytique française.

Franz-Olivier Giesbert règle leur compte aux intellectuels de gauche. C’est le cahier central du Figlitt, bien entendu. F.O.G qui se définit lui-même, après coup, comme « un « droitier » au Nouvel Observateur » raille l’intelligentsia de gauche et ses combats douteux. Sartre « Il s’est rangé à gauche toute, à la Libération, pour qu’on ne lui demande pas de comptes sur son attitude pendant l’Occupation. » Bon, grosso modo, l’idée est qu’il vaut mieux être de gauche pour bénéficier de la présomption d’innocence. Ses arguments ne sont pas très neufs, de Simon Leys qui connaît la vérité chinoise contrairement aux maoïstes au parallèle Fillon-Roussel sur les emplois fictifs, l’écrivain fait feu de tout bois.

Pas question cependant d’oublier la planète : Jens Lijestrand s’y emploie en une du Rendez-vous des livres. Marqué par les grands feux de 2018 en Suède, l’auteur s’est intéressé de près aux événements qui découlaient, notamment, d’une absence de Canadairs en Suède. Bien entendu le problème s’est déplacé : « Certains ont accusé les immigrés, disant qu’ils ne savaient pas faire des feux de camp ; on a entendu des discours sur le recours à un leader fort. » dit-il dans l’entretien qu’il accorde à Sophie Joubert. Il a décidé d’écrire une dystopie et celle-ci voit le jour après les méga-feux français de cet été « Donc, maintenant, le roman semble complètement contemporain ». Ne pas y voir néanmoins une leçon de pessimisme, l’auteur souligne le retour des espèces que l’on a su protéger, la réaction positive de plus en plus d’êtres humains face à la catastrophe.

Dans le pêle-mêle

Claudie Hunzinger ferme l’édition du MDL de cette semaine, en tête des auteurs annoncés pour les prix (Fémina, Renaudot, Médicis) ce qui est aussi le cas de Pierre Adrian qui figure cette semaine dans le LibéL du samedi 22-10 et que Frédérique Roussel a aimé en raison de sa dimension tragique qui dépasse la seule nostalgie.

Plus rare, Jean-Marc Rochette, est un auteur de Bande dessinée distingué par la critique de Libération et La Croix, c’est assez rare pour être souligné. La convergence entre le destin du héros et celui des figures tutélaires comme celle de l’ours par exemple tire cette BD noire du côté du film fantastique.

Portraits/Entretiens

Jens Liljestrand est donc l’invité du cahier livres de l’Huma que Claudie Hunzinger avait rencontré avant de figurer en dernière page du MDL cette semaine. « Les mots de Pierre Ducrozet », dans le même n°(p.3) valent pour une rencontre riche en prise de position sur l’écriture et sur les rapports entre littérature et musique. Dans le LibéL du samedi (22-23/10) on pouvait rencontrer Sergueï Lebedev qui avoue l’appartenance de son oncle ? qui semblait original et libre , à la machine d’état : « un directeur général de l’armée déguisé en médecin, et un des principaux artisans de la guerre biologique. »

Un événement mondain de la rentrée littéraire, l’attribution des prix littéraires du Figlitt, lors d’un repas au Grand Véfour avec leurs invités d’autres journaux ; cette année par exemple Virginie Bloch-Lainé de Elle (mais aussi de LibéL) Raspiengeas de La Croix et des journaliste de Lire, Technikart… et une équipe paritaire du Fig. Bon, le Goncourt va à Céline et le Renaudot à Pierre Adrian (voir plus haut) ; le Fémina pour Nathan Devers, le Médicis pour Patrick Besson et l’Interallié pour Philibert Humm. Quatre jurées, contre six jurés et à l’arrivée 0 femmes au palmarès ; à voir ! Commentaire de Neuhoff éternel rédacteur de l’événement « Un cri du cœur retentit soudain : « Personne n’a parlé de Despentes ! » Un soupir de soulagement envahit l’assemblée entourée de pâtes de fruits »

Finalement ce n’était peut-être pas la semaine de la femme ?

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)