LES UNES

Comme tous les ans ce sont les journées d’Histoire de Poitiers qui ouvrent le Monde des Livres en ce début d’automne. Le thème en est la mer, et la république de Venise le papier d’ouverture. Son auteure, l’historienne E.Crouzet-Pavan, souligne comment les peintures murales des lieux de pouvoir racontent la puissance de la ville et ses choix stratégiques, son hégémonie au XIV et XV siècle sur l’Adriatique véritable mare nostrum de cette thalassocratie. Sans oublier de l’inscrire dans une dimension mythologique « Venise est la nouvelle Vénus, elle est, à l’instar de la déesse, fille de l’écume. » L’article prend également en compte les nouveaux périls liés aux (de plus en plus) fortes marées.

« C’est David van Reybrouck qui le dit, et Marianne Meunier de La Croix qui le relève : « s’il relate la lutte de l’Indonésie pour la liberté, « c’est que « le monde entier s’en est mêlé, en a été changé, et que, par malheur, cette dimension planétaire a été, pour ainsi dire, oubliée » » Pourquoi oubliée ? Parce que le règlement du conflit opposant Pays bas, puissance occupante et Indonésie, forces indépendantistes, s’est réglé lors d’une conférence, celle de Bandung qui a fondé la doctrine du Non-alignement. Avant cela, il y a la révolte d’un peuple tout entier qui signe son engagement à la pointe du bambou, l’arme qui avait déjà servi contre l’occupant japonais. Après ? On a oublié le rôle de cette conférence.

Sylvain Venayre, plume invitée du cahier livres de Libél ce jeudi. L’historien présente le travail d’un de ses pairs, consacré à l’histoire de la nostalgie. Ce « mal du siècle apparaît chez les jeunes soldats envoyés au combat dans des contrées sinon lointaines du moins étrangères. » De l’invention du nom en 1688 aux tentatives infructueuses d’en déceler l’origine physiologique, Thomas Dodman s’intéresse à la totalité du phénomène qui connaît un réel engouement chez les romantiques ainsi que chez « d’innombrables auteurs de vaudeville ». Il l’accompagne même jusqu’à sa disparition au moment où les conflits deviennent mondiaux et massifs.

Un écrivain colombien écrit sur son compatriote cinéaste. Et surtout sur la partie chinoise de sa vie. Reprenons : Juan Gabriel Vasquez rédige Une Rétrospective, livre consacré à Sergio Cabrera, réalisateur, incapable de prendre en charge son autobiographie. C’est la partie centrale qui en fait tout le sel et sa véritable originalité nous dit Stéphane Lançon : Sergio Cabrera a en effet passé une partie de sa jeunesse en Chine maoïste où des parents convaincus les ont entraînés. D’où des anecdotes à la fois effarantes et comiques sur l’acculturation de cette famille (et d’autres) à la pensée du Grand Timonier. Grâce à la sœur du cinéaste, un temps fanatique du système, Vasquez saisit mieux la personnalité de Sergio Cabrera et son histoire : « La question de savoir où commence le fanatisme m’a toujours intéressée. »

La une « à la maison » pour Benoît Duteurtre qui vient d’écrire un volume de la célèbre série des « Dictionnaires Amoureux ». Le sien est consacré à la Belle Époque et aux Années folles. Invité du Figaro littéraire auquel il collabore régulièrement, il explique voir une continuité entre les deux époques malgré 14-18 : « La guerre est une blessure profonde et irréparable mais elle n’a pu briser certaines continuités. » Sébastien Lapaque souligne par ailleurs l’éclectisme de l’auteur qui a ménagé dans son dico des entrées comme « gare, bicyclette, classe ouvrière ou faits divers ». Un dictionnaire au-delà de la commande, donc.

C’est l’Huma qui le dit en une et le Figaro littéraire en page intérieure, le nouveau roman de Thierry Beinstingel est à la fois mesuré et sans concession pour le management d’entreprise. Muriel Steinmetz insiste davantage sur le parcours de l’écrivain, lui-même retraité de France Télécom et l’un des hommes chargés de recadrer la société après la vague de suicides qui l’a frappée. Son univers reste donc, après une quinzaine de romans celui de l’entreprise et d’une classe intermédiaire : « Je ne sais pas raconter la vie des duchesses de Proust, ni décrire les milieux urbains et intellectuels. Je navigue au cœur d’une France moyenne, périphérique, laborieuse. » Le Figlitt souligne davantage la mesure de l’écrivain qui ne s’enferme pas dans le seul rejet de son entreprise.

Dans le pêle-mêle

Pauline Delabroy-Allard était last week dans le cahier second roman du Figlitt et les pages du MDL et cette semaine dans l’huma ; sa quête d’identité continue de séduire la critique « On retrouve, nous dit Sophie Joubert, (…) la fluidité des phrases de son goût pour les répétitions et les contrepoints, son humour au bord des larmes. 

Quant à Béatrice Fives son roman consacré à la littérature et en particulier à la question de savoir si l’on peut continuer et achever l’œuvre d’un ou d’une autre est apprécié chez LibéL, un peu moins au Figlitt. Chez les premiers on loue sa capacité à interroger de toutes les manières possibles sur l’écriture et ses enjeux, chez les seconds on trouve qu’il faut attendre longtemps avant d’en venir au vrai sujet du livre. A trancher.

Portraits/Entretiens

Julie Orsuka accorde une interview au MDL, page Rencontre. Luz, le dessinateur qui adapte la trilogie de Despentes Vernon Subbutex en BD. Interview avec celui qui semble chercher dans la fréquentation des personnages de fiction une échappatoire aux personnes réelles tuées lors de l’attentat contre Charlie. C’est aussi, pour lui, une manière de revenir à Paris. Carlo Ginzburg bénéficie d’un double page dans le MDL et d’un colloque à Cerisy. Portrait de Carlo Emilio Gada en dernière page du Figlitt.

967 mots donc et à la semaine prochaine !

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)