Chronique 66 – 15/09/2022

LES UNES

« Elle doit être la fleur absente de tout bouquet » comme le dit Philippe Lançon à propos de Catherine Millet. Celle-ci suit l’évolution de l’art contemporain mais sans jamais se fixer sur une œuvre de façon définitive. Dans Commencements elle raconte donc les débuts de ceux qui feront l’art contemporain, l’inventeront et le vendront sans que l’argent soit avant tout au centre de leurs préoccupations souligne Lançon : « Ce qui fait le cœur du livre, c’est la liberté : une liberté suivant semble-t-il un cours naturel, dans une fluidité dépourvue de tout héritage apparent et de toute volonté de faire modèle, à une époque où, pour certaines personnes en tout cas, cet état fut comme l’air qu’on respire. » On retrouvera donc là Catherine Millet et son ton, loin des gesticulations et du coup de gueule permanent à la Despentes, mais qui vit sa liberté sans frein pour autant.

Colm Toibin est un auteur irlandais, qui écrit, outre des romans irlandais des autobiographies qui comptent parce qu’elles s’appuient sur un lien profond entre l’écrivain et son sujet. Sa biographie de Thomas Mann, pourquoi ? « Les choses en soi non résolues en viennent à avoir besoin de trouver des images. Je travaille avec ces déconnexions, ces expériences non formulées. S’il n’y a pas d’ambiguïté dans un personnage je suis perdu » Il est donc attiré par la figure de Mann dont il soutient qu’il a toujours nié son homosexualité, qu’il n’est pas sûr de lui quitte à être lâche. Question de Frédérique Roussel : « Comment avoir de l’empathie pour un personnage froid, parfois lâche ? » Réponse de Toibin « – Quelqu’un qui est gris, qui n’est pas admirable, qui est obsédé par lui-même, qu’on ne qualifierait pas de héros, cela m’attire. Je m’intéresse à cette zone grise d’incertitude autour du caractère moral de quelqu’un. Je ne pourrais pas traiter de la bonté, je ne sais pas ce que c’est. » Il est aussi en une de l’Huma mais davantage sous l’angle du roman, du travail de romancier. En compagnie de Sophie Joubert, il fait le tour de ses personnages et notamment Katia Mann « J’ai réalisé qu’ils formaient un couple très inhabituel. Elle a apporté une grande intelligence, elle était très perspicace émotionnellement et politiquement. En écrivant, il fallait que je fasse sentir qu’elle avait toujours un temps d’avance sur lui. Elle n’est pas l’épouse éplorée d’un homosexuel. ».

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Pour le Monde des livres, l’auteur de la semaine c’est David Grubb, auteur de La Parade des imbéciles. François Angelier est aller chercher ce roman aux éditions Sonatine ; polar à la fois noir et ironique, ce qui constitue une des lois du genre, et qui raconte l’équipée d’ex-taulards dans les USA de la Grande Dépression. L’auteur est celui de la Nuit du Chasseur, François Angelier précise « Au travers de ses personnages comme de ses thématiques s’y retrouvent les mêmes angoisses que celles qui bourrellent La Nuit du chasseur. Aux orphelins John et Pearl succèdent le mineur Mattie, as borgne de la dynamite, Lee, nigaud qui se rêve épicier, et Johnny, jeune puceau émotif condamné pour viol. » Un polar qui vient trancher le début de saison littéraire.

Famille, transmission, héritage subi, c’est le dossier de une du Figaro littéraire. A travers quatre exemples de récit familial, tous en rapport avec la guerre, entre le bien et le mal et plus ou moins romancés. Si Alexander Staritt invente un héros qui tente de faire parler son grand- père de ce qu’était la guerre côté nazi, en se heurtant à un mutisme radical, les auteurs racontent plutôt l’histoire de leur propre famille. Transmission au sein d’un smala de juifs d’Algérie d’un « chandelier, dont l’une des légendes familiales dit qu’il vient de Kahina, la reine berbère qui s’est opposée aux envahisseurs arabes et qui s’est convertie au judaïsme. » pour Emmanuel Ruben. Interrogations sur la généalogie du côté de Michela Marzano qui se découvre, tardivement, un grand-père fasciste et s’interroge autant sur la vie de celui-ci que sur son manque de curiosité antérieur vis-à-vis de cette histoire, mais aussi chez Félicité Herzog qui raconte l’amour d’une Cossé-Brissac pour un Nora. La première appartient à une famille qui ne trie pas dans ses fréquentations pendant la guerre (d’Arletty et Morand à la fille de Laval) tandis que le second s’engage dans la résistance corps et âme. L’auteure, nous dit Etienne de Montety, « met en scène la rencontre authentique mais brutale de deux mondes : celui des châteaux aux fondations séculaires et celui de la société juive libérale. Les premiers ont joué un rôle prééminent dans l’histoire de France, la seconde s’apprête à y entrer » Une écrivaine d’aujourd’hui dans un monde proustien.

« Roman sur la paternité et l’éveil à la transcendance, cette chronique légèrement dystopique est un miroir tendu à notre libre arbitre, nos espoirs et nos renoncements. » c’est le nouveau roman d’Onno-dit-Biot nous dit Sabine Audrerie. L’histoire d’une famille française réfugiée au Mont Athos pour fuir un chef de l’état, autrefois ami, devenu ennemi. C’est la petite fille qui est au centre du récit et son éveil à la conscience au Mont Athos.

Dans le pêle-mêle

Deux papiers, Raspiengeas et Loret, pour le livre que Iegor Gran consacre à la zombification des Russes. « Dans le Z, affiché partout, Iegor Gran voit la nouvelle croix gammée » nous dit le premier, l’article du second montre ce même Z scotché sur une vitrine, quelque chose qui vire à la caricature. L’auteur avait déjà écrit Les Services compétents pour raconter l’histoire de sa famille, père emprisonné, mère surveillée vers la fin du communisme avec cette même distance ironique bien connue des écrivains de l’est.

Portraits/Entretiens

Colm Toibin est donc interviewé dans le LibéLS mais aussi en dernière page de La Croix, il n’est pas seul. Mark Z.Danielewski est de retour, avec une réédition de la Maison des feuilles (en couleur) chez M. Toussaint Louverture. L’occasion pour Olivier Lamm de lui faire préciser quelques-uns de ses choix d’écriture pour ce roman révolutionnaire en littérature. Philippe Sands sera le portrait du Figlitt pour sa défense de la véritable civilisation en opposition aux manœuvres britanniques et Pierre Nora donne un entretien en pages intérieures du même numéro. Le MDL propose de rencontrer Sandrine Colette qui est passée des sciences politiques aux contes morvandiaux. Entretien également dans l’Huma avec, qui déjà ? Ah oui, Colm Toibin.

Index des titres parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)