Deux librairies, quelles différences ?

LES UNES

Encore une semaine de publication de redécouverte des grands auteurs du XXe siècle , avec les deux volumes de La Pléiade consacrés à Kafka, ses journaux et sa correspondance. De l’article de Mathieu Lindon en une du LibéL samedi, il ressort surtout que sa correspondance amoureuse dessine un véritable univers romanesque fait d’aventures sentimentales complexes et de recommencements : fiancé deux fois à Felice Bauer, il lui préfère l’écriture en définitive.

On retrouve là toutes les figures féminines de son monde, sœur préférée, fiancée, amante et celle, masculine et ambiguë de Max Brod, l’ami et le traître. Toutes contribuent à donner un sens à son œuvre et, comme le souligne Mathieu Lindon : « peu d’auteurs ont autant vu leur œuvre liée à des interprétations. » On retrouve également des formules à la Beckett-Cioran « se tourmenter n’est jamais inutile » et la célèbre adresse à son médecin « Tuez-moi ou alors vous êtes un assassin. ». Cerise sur le gâteau pragois, un Album Kafka. Voyage dans l’espace-temps Mitteleuropa garanti.

Retour également, moins prévisible toutefois, celui de Gide en une et en dossier dans le Figaro littéraire. Intro de Thierry Clermont à l’occasion de la réédition des Voyages de Gide en URSS et au Congo.

Du second on retiendra l’exotisme, la sidération face à la nature ; du premier, la fascination pour le régime communiste avant le dégoût pour la figure de Staline et le totalitarisme. Il sera conspué par le PCF et cessera d’être publié en URSS.

Des écrivains contemporains lui rendent hommage dont Yann Moix à travers sa revue Année Zéro mais aussi, Lolita Pille, Pierre Adrian, etc.

Première est le roman retenu pour la une du Monde des Livres. Loin des préoccupations liées aux cahots de l’actualité, il évoque la danse mais à travers le prisme inquiétant des corps maltraités. On se prépare pour une première, spectacle orchestré autour de Casse-Noisette, « un incendie accidentel endommage un des studios, il faut y faire des travaux, menés par l’entreprise de l’inquiétant Derek. Et ? Eh bien c’est à peu près tout, l’intrigue de Première tient essentiellement à la réfection d’une pièce, à la cohabitation forcée entre petites filles aux chaussons roses et grands gaillards aux bottes de chantier »

Raphaëlle Leyris interroge le savoir-faire de l’autrice, Megan Abott dont le travail tend à se rapprocher d’une certaine forme d’horreur poétique. C’est aussi le début des conseils de lecture pour l’été.

Le Rendez-vous des Livres de l’Huma, s’est recentré depuis quelques semaines (et le changement de direction) sur les valeurs du journal. En une donc, une interview de Stéphane Bonnéry, codirecteur de la Pensée à propos de sa dernière livraison consacrée au « Pouvoir discret de la bourgeoisie » à travers des articles portant aussi bien sur la néo bourgeoisie de la Silicon Valley que sur celle de l’époque franquiste triomphante.

Le volume entier s’oriente vers le fonctionnement de cette classe. Selon Bonnéry, il s’agit de doter ceux qui s’opposent à la fatalité de sa toute-puissance, d’outils de compréhension relatifs à son fonctionnement interne et ses logiques de domination.

Elias Sanbar et Elie Barnavi sont liés en une du Libé des livres de ce jeudi, unis dans la réception du prix Constantinople, création récente de Metin Arditi.

S’ils se retrouvent tous deux dans une « situation bien pire qu’il y a trente ans » dixit Alexandra Schwartzbrod qui souligne leur travail en faveur de la paix, ils n’en restent pas moins amis, le premier infatigable traducteur de Darwich, le second pour un ouvrage, Confessions d’un bon à rien dont le titre renvoie à son parcours d’école primaire, dont il a su déjouer le pronostic.

Encore un peu de Russie en une de La Croix, grâce à Giuliano da Empoli et son livre sur le catalyseur du personnage Poutine, le conseiller Sourkov qui devient Baranov dans le roman. Comment ce dernier a été choisi par les oligarques pour s’occuper de la comm de Poutine, avant d’aider ce même Poutine à se débarrasser d’eux « Tout cela on a pu le lire dans les journaux nous dit Guillaume Goubert ou les livres d’histoire immédiate, la puissance romanesque, elle, nous fait rentrer dans les lieux et dans les têtes, où se prennent les décisions. C’est d’une lucidité glaçante ».

Et une semaine encore plus maigre pour cause d’ascension qui voit certains numéros supprimés et d’autres restreints à la diffusion, un peu d’actu quand même à se mettre sous la dent.

C’est le dédain qui ouvre le LibéL de ce jeudi, un sentiment exploré par Vigouroux, dont Robert Maggiori souligne qu’il est juriste, énarque et non psychologue et que c’est pour cela qu’il en parle si bien. Il a vu ce sentiment à l’œuvre dans la société précaire contemporaine, où l’on n’a jamais autant parlé de sentiment d’humiliation parce qu’il est omniprésent.

Il en examine le vocabulaire, les cibles et les manifestations « l’allure, le refus d’entendre et de regarder, l’attente imposée, les revers de la main » et d’une manière plus générale ceux qui pensent s’élever en rabaissant les autres et leur travail. Dans la sphère politique qu’il a bien connu, cela peut aller loin « on finit par provoquer un effet boomerang, reportant un dédain analogue sur les gouvernants, les dominants, les privilégiés, les élites. » En attendant les élections législatives.

Guido Morselli est un auteur italien peu connu parce que peu publié de son vivant. Un vivant auquel il met fin lui-même (à 60 ans, avec un 7,65) peu après l’écriture de son roman. Ecriture et non publication, car Guido ne parvient pas à se faire publier, trop « organiquement faux » dans une certaine mesure, comme le souligne Philippe Lançon en rappelant la formule d’Italo Calvino, qui le refuse.

Quant à son roman, il raconte la disparition de l’humanité sauf pour un dernier homme, qui rapporte ce qu’il voit, notamment des animaux libres qui semblent faire écho à ceux du confinement et des inventions étonnantes comme celle de dater le temps d’après le fromage : « découvrant des fromages en décomposition, il invente le « chronofromage » : en trempant son doigt dans la moisissure, il saura combien de jours, de semaines, de mois ont passé » Un auteur absolument inclassable si ce n’est que « comme son personnage auquel il ressemblait tant, a une vision lucide, ironique et dégoûtée de la civilisation moderne. » On trouve encore, par hasard, sur les étals de certaines brocantes, son roman Rome sans pape, publié par Gallimard.

Du côté du monde, il s’agit du Monde, bien sûr, mais du monde quand même, Evgenia Belarusets écrit sur la guerre en Ukraine. Elle écrit et photographie, est membre d’un collectif artistique ; Florence Noiville la présente en une du Monde des livres « Et elle écrit. Des textes à la croisée de la fable, du reportage et de l’essai » La langue ne saurait suffire parce qu’elle est trompeuse, « Or les photos, elle le sait mieux que personne ne sont jamais irréfutables ni inoffensives. » Son écriture se cherche entre ces deux pôles.

Malgré les livraisons restreintes du journal papier (et les éternelles complications du site pour ce qui concerne l’achat à l’unité), le Figaro littéraire s’est penché sur le retour des frères Goncourt…comme personnages de roman, à la limite de la fiction.

Dans le pêle-mêle

Après la Une de l’Huma, Rabih Alameddine a droit a une recension d’Eglal Errera dans le MDL. Le critique souligne la volonté de désengagement de l’auteur face à la situation humanitaire tragique des migrants de Lesbos.D’où des remarques parfois cyniques sur le manque d’intérêt pour cette cause, l’identité floue de son personnage central, médecin transgenre et trans nationalités. « Un texte audacieux tout en contrastes et ruptures. »

De même Aby Warburg et sa « folie » continuent-ils d’alimenter l’actualité critique, on souligne dans la plupart des articles l’angle original choisi par Marie de Quatrebarbes ; un récit romancé essentiellement centré sur cette période, celle où il semble perdre le contact à jamais, mais revient malgré tout à la réalité, et même plus, la réalité scientifique d’histoire de l’art.

A la semaine prochaine ! Avec notre chronique c’était comment l’année littéraire ? (1/5)

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