LES UNES

Murakami en une de La Croix ; attention, pas le Murakami Romancier, non, le Murakami novelliste ; celui qui raconte la nouvelle éponyme du recueil Abandonner un chat, pour exposer comment son père et lui, abandonnant une chatte, ont la surprise de la retrouver chez eux à leur retour. Les nouvelles ne sont pas aussi disséminées qu’on pourrait le croire : « Toutes ont cependant pour point commun le regard nostalgique d’un homme mûr sur son passé où se retrouvent les préoccupations de Murakami : amours éphémères de jeunesse, fascination pour les destinées de femmes hors norme et passion pour la musique, de Carnaval de Schumann à l’album With the Beatles. » nous dit Corinne Renou-Nativel.

« Je pense parfois à mes livres comme à des symphonies, des requiems, des chansons. Celles-ci charrient des sentiments qui peuvent éclairer différemment des personnages ou l’histoire. » Dans ce roman, il arrive par exemple que les paroles d’une chanson reflètent directement les pensées d’un personnage. Jon Kalman Stefanson est en une de l’Humanité pour un entretien au cours duquel il se livre sans faux-semblants sur la manière d’écrire un livre, à l’occasion de son roman consacré à un homme qui a perdu la mémoire et se nourrit des histoires des autres. Autrement dit un écrivain amnésique, coincé dans un fjord qui « absorbe les histoires des autres. » Sophie Joubert qui mène l’entretien confirme par ailleurs que ce roman va bien au-delà de sa thématique.

La correspondance apparaît lorsque l’actualité brulante des derniers romans de la rentrée se tarit ; mais ici il s’agit des lettres d’un certain Ernesto Guevara qui accompagnent son parcours et son engagement progressif. Ce qui frappe Stéphane Lançon dans ces écrits, c’est sa détermination à échapper à un destin christique alors qu’il se dirige tout droit vers ce rôle d’icône crucifiée qu’on lui fera jouer : « dans les chambres des adolescents des années 70 » où « le poster de son fantôme côtoie volontiers ceux des idoles contre-culturelles du rock, musique interdite à Cuba ». Des lettres engagées, parfois drôles, souvent caustiques dont une repérée par le critique du LibéL adressée à sa mère et qui réunit ces trois qualités.

« Quelques volumes de la Pléiade au mur. Sur l’étagère, une petite figurine de Jeanne d’Arc dénichée à Domrémy-La-Pucelle fait la fière entre Pline l’Ancien et Homère. » Nous sommes chez Marc Graciano qui, après La Croix, fait la une du LibéL de ce samedi. Thomas Stélandre, envoyé spécial du journal dans le Cher y rencontre l’auteur de ce roman johannien, qui lui raconte sa ruralité sans revendication identitaire. Il produit des images, des paysages et une langue qui « Contre le plombant circonstancié d’un Houellebecq, préfère l’ancestrale « force créative, positive du langage », une forme de « foi ». Le récit est avant tout celui du voyage en phrases qui se déplient en qui autant de périodes s’orientant davantage vers Rimbaud que Péguy nous dit le journaliste.

Sept ou huit néo-romanciers en une du Figaro littéraire, pourquoi cette hésitation sur le nombre ? Parce que l’une d’entre eux, Eve-Marie des Places, veut à la fois garder le secret sur son identité et proposer un premier roman qui serait le dernier ; un roman-testament qui met en scène, nous dit Alice Develey, « les traces d’un fantôme solitaire et c’est très émouvant ». L’héroïne, qui végète un peu, devient la Récitante -c’est le titre du livre- et est présentée à un aréopage « de sexagénaires appelés les Silentiaires ». On devine son activité « Elle vit un érotisme sans amour, mais jouit d’inventer son histoire ». Question de la critique ? « Serait-ce l’œuvre d’un Houellebecq ou bien d’une Nothomb qui s’amuse ? Enfin et peut-être est-ce là la plus grande des ruses, c’est de nous faire croire que l’auteur – -optons pour le générique – est un autre et qu’il n’existe pas. » Et pourquoi pas Alice Develey qui aurait décidé de « faire » un roman comme La lectrice mais à la Kubrick tout en en assurant la critique ?

Hugues Pagan est un auteur de polar – un des premiers issus des rangs de la police – dont le héros évolue des années 70 aux années 80. Cette fois, nous sommes en 73 et son héros, Schneider, que l’on connaît d’autres romans, revient pour une enquête dans un milieu populaire et marqué par la tragédie ordinaire d’une disparition d’enfant. On y retrouvera l’atmosphère de cette année-là, mort de Pompidou, et année importante pour l’auteur « jeune professeur de philosophie, a réussi le concours d’inspecteur de police. » un parallèle entre les deux s’établit assez facilement. Peut-être un retour des années polar.

Dans le pêle-mêle.

S’il ne fait pas la une, le roman de Julia Deck s’impose de semaine en semaine au sein de l’actualité.  Monument National, nous dit Pierre-Edouard Peillon dans le MDL est « une grande partie de cache-cache. » Le monument national comme personnage est une « star sur le retour » nous dit Philippe Lançon ; une star victime d’un AVC et l’histoire s’emballe « Le plus intéressant du texte est son ambiguïté et son mauvais esprit. »

Poursuit aussi sa carrière en bonne place La traversée des sangliers, récit sur l’occupation japonaise de Bornéo. Il est l’œuvre de Zhang Guixing, entre réalisme historique et merveilleux et qui parle ici de son pays natal. Le fait qu’il soit aujourd’hui un écrivain taïwanais – et donc, nous dit Sébastien Lapaque, pas reconnu en tant « qu’écrivain sinophone du dehors » par Pékin « n’empêche pas sa prose magique d’être un enchantement. »

Dans Libél du samedi il était question du livre de Jon K. Stefanson (voir Les unes), qu’on ne peut résumer nous dit Virgine Bloch-Lainé, roman complexe « des personnages que l’on croyait de passage font leur retour trois cents pages après leur première visite. »

Portraits/Entretiens

Un entretien très ouvert donc de la part de Jon Kalman Anderson dans l’Huma : ses modes de création, part personnelle et part fantasmée, musique et la place de la poésie dans l’écriture romanesque (voir une).

Entretien également avec Marc Graciano dans le LibéL samedi 15/01, l’auteur du roman consacré à Johanne (d’Arc) donne lui aussi quelques clefs de son œuvre, sans mise en scène excessive, en laissant entrer le critique dans sa thébaïde (voir une aussi).

En dernière page du MDL, cette semaine, la philosophe Catherine Malabou fait mieux que retracer son parcours sous la plume de David Zerbib. Elle apparaît comme une figure majeure de la pensée, d’abord à travers sa définition de la plasticité « propriété de ce qui échappe au prédéterminé, la forme qui se donne forme à elle-même au contact de son environnement. » puis dans sa toute récente réflexion sur l’anarchisme dans lequel elle met en évidence un capitalisme anarchique (et cyber) en concurrence avec le capitalisme d’état. (Au voleur ! Anarchisme et philosophie).

Une semaine riche dont la figure dominante sera celle de Jon Kalman Anderson.

Désolé, pas de chronique audio… plus de voix.

A la semaine prochaine

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)