LES UNES

 Richard Powers était en une du LibéL samedi 25 et apparemment toujours concerné par l’évolution négative de l’homme et de la planète : négative pas tant que cela « Une transformation de notre conscience a eu lieu sans que nous nous en rendions compte. Nous avons commencé à envisager l’être humain d’une manière autre » L’humain actuel lui apparaît comme une matière finie qu’il convient de dépasser, une idée qu’il avait inaugurée dans son précédent roman : l’Arbre-monde. Dans l’entretien qu’il accorde à Olivier Lamm il expose sa nouvelle orientation : « C’est là que j’ai ressenti le besoin de laisser de côté le vieil humanisme étroit et paroissial pour tenter d’embrasser une identification plus large. »

C’est exactement ce que fait Céline Minard vous dira Alain Nicolas du Rendez-vous des livres, elle qui refuse la forme du roman comme celle du recueil de nouvelles, donne à lire une série de textes : « C’est une vision, le portrait d’un monde futur ou possible, il est vain de chercher à trancher. » Ici donc, les histoires s’enchaînent comme des tranches de vie ou d’Histoire du futur sans autres liens qu’un écho entre elles de temps à autre, à l’image de ces manumériques qui « racontent l’histoire de la lune et de mars. » Une succession de visions qui donnent « corps à un univers qui pourrait advenir, sans donner de détails sur les causes et leurs enchaînements. » Quelque chose de plastique comme le plasma, un peu au-delà de Fontenelle ?

Pour la Croix et son supplément Livres et Idées, ce sont les arbres qui sont au centre avec ce titre évocateur Lorsque le dernier arbre, celui du roman de Michael Christie. De facture plus classique que ceux de Powers ou Minard, le roman de Christie met en scène une héroïne de 2038 Jacinda Greenwood dans un monde en état de choc parcouru par des hordes de réfugiés climatiques. Le roman s’appuie sur des allers-retours temporels de 2038 à 1908, « Une traversée avec des escales à des dates emblématiques où l’on croise des personnages à différentes étapes de leur vies », nous dit Emmanuel Romer qui appuie sur le fait que « L’alternance d’époques donne un formidable tempo à sa fiction ».

Allons bon, voilà qu’Anne Berest achève son tour des cahiers livres par la une de LibéL ce jeudi et une page dans l’Huma. Alexandra Schwartzbrod prend expressément sa défense après la chronique assassine de Camille laurens en montrant que l’autrice est juste cohérente dans ses choix de forme, celle du roman-enquête et le rapport à l’histoire de sa famille qui passe par la prise de conscience de sa judéité. Sophie Joubert dans l’huma préfère retracer clairement le cheminement de l’autrice de son présent vers le passé et retour sa conclusion est intéressante « C’est peut-être le vrai sujet de La Carte postale : reprendre par l’écriture le flambeau de la mémoire, pour qu’elle ne s’éteigne jamais. »

La une du Figaro est pour Modiano et, s’il faut en croire le journal, les Modiano, tant il y en a, doubles avoués ou présence fantomatique dans les romans contemporains. Témoignage de Philippe Jaenada « c’est l’écrivain qui parvient à matérialiser le temps qui passe, les gens qui disparaissent, les fantômes. » Il est également question d’un double antérieur, à la Borges, avec Friedo Lampe dont on réédite Au bord de la nuit, atmosphère fragmentaire très modianesque également. Isabelle Spaak nous dit la même chose de Christophe Jamin et de Passage de l’Union déambulations, rencontres de hasard et univers morcelé, pour la critique la proximité entre les deux auteurs est « troublante ». Le titre pourrait être le reflet de cette situation.

Moins de littérature et plus d’Histoire, voici comme tous les ans le Monde spécial Rendez-vous de l’Histoire de Blois. Le thème de l’année est le travail ; travailleuses et travailleurs donc, classe ouvrière et socialisme mais aussi, moins attendus, pirates et manipulateurs des masses. Le cahier est riche jusqu’au récent ouvrage d’Olivier Christin consacré…au dévouement en politique à ceux qui s’attachent à « La cause des autres ».

Dans le pêle-mêle

Antoine Compagnon a les honneurs de la chronique d’Etienne Montety qui y voit une remise en question de la nouveauté à tout prix « Face au jeune prodige que notre esprit romantique est enclin à aduler, ne peut-on pas considérer le « sublime sénile ». Plutôt que le temps de la décrépitude, l’âge serait le temps de la sagesse et de la sérénité. » Au printemps des monstres de Philippe Jaenada trouve pour sa part un écho chez Jean-Claude Lebrun dans l’Huma. La chronique commence par un rappel historique qu’aucun autre quotidien n’a effectué mais qui pourrait se révéler intéressant : « Le 9 mai 1966, un article de l’Humanité se concluait par « tout le reste n’est que littérature. » Il y était question de la condamnation deux jours plus tôt aux assises de la Seine-et-Oise de Lucien Léger, dit l’Etrangleur, à la réclusion criminelle à perpétuité. » JC Lebrun replace ainsi le crime et le livre de Jaenada dans la perspective de la « société du spectacle », une idée intéressante pour comprendre cette affaire et le livre de Jaenada. Après avoir dézingué le Anne Berest, Camille Laurens rejoint d’autres critiques pour rendre hommage au livre de Maud Ventura en mettant en avant un argument pertinent : « ce qui paraît le plus désuet c’est le titre. « Mon mari », se dit-on. Est-ce qu’on dit encore : « Mon mari » ? C’est un peu comme « ça boume, » ou « C’est bath » : daté. » Oui, mais le livre est séduisant.

Les portraits et entretiens

Entretien donné par Richard Powers à LibéL samedi 25 septembre, portant davantage sur son évolution que sur le seul roman : pour Thoreau et contre l’humanisme qui « confisque une partie de son autonomie » à la terre. « On est toutes hantées par le regard masculin » dit pour sa part Paula Hawkins dans la dernière page du MDL, et le portrait qu’en fait Macha Séry montre en quoi cette autrice reste empreinte d’étrangeté malgré son succès : elle est Sud-Africaine et n’a jamais complètement intégré la culture anglaise. Et elle a participé à l’invention d’un nouveau genre, le domestic noir soit une sorte de roman de faits divers proche de la vie quotidienne, avec La fille du train : 23 millions d’exemplaires vendus. Pour le Figlitt c’est Mario Vargas Llosa pour son roman Temps sauvages. Il y évoque le Guatemala sous influence américaine et notre époque « très pauvre du point de vue du rôle et de la place des intellectuels, des penseurs qui jadis participaient à la vie politique. »

On est un peu au-delà des mille mais l’actualité de la semaine était riche !

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)