LES UNES

Les personnages de Lionel Shriver pourraient parfaitement s’inscrire dans la perspective de la semaine : une femme qui ne peut plus courir tandis que son mari se sent soudain pousser des ailes et se consacre au triathlon.

L’écrivain, une et entretien dans le Monde des Livres, évoque sa distance vis-à-vis du sport et elle revient sur son combat contre la cancel culture : « La fièvre que soulèvent les questions de genre et de race fera figure d’hystérie collective et nous la considérerons avec la même horreur que le maccarthysme. » Nous semblons loin de l’univers du roman dont Raphaëlle Leyris nous rappelle qu’il « n’est pas une tribune. C’est le lieu de l’ambivalence, de la complexité, où les personnages peuvent être pris comme des individus et non des archétypes réductibles à telle ou telle opinion, où des visions contradictoires peuvent coexister et nourrir le récit autant que la vision du lecteur. »

Don Quichotte est-il un vaincu ? Sophie Joubert dans l’Humanité propose une autre piste, aidée en cela par Lydie Salvayre : « Et si celui que l’imaginaire collectif dépeint comme un vieux fou ferraillant contre des ennemis chimériques était en réalité une figure de la révolte et du courage, un authentique rebelle se battant contre les injustices, un homme libre que n’effraient ni les rois ni les lois ? »

Le titre, Rêver debout va dans ce sens et évoque la parenté avec Rimbaud, Faulkner, Mandela ; Lydie Salvayre publie également Famille, nouvelle qui décrit la vie d’un jeune schizophrène et entretient des résonnances avec le destin errant du Quichotte. Bertrand Leclair dans le MDL complète la critique par un hommage à son auteur remettant en perspective son œuvre et sa carrière à travers les entrées « Huis clos, Adresse, ironie, Folie ».

Les vrais vaincus de la vie sont dans le Figaro littéraire qui en distingue 5 parmi les héros (?) des romans de la rentrée.

On croisera dans le cahier les destins variés de ces personnages frappés, comme le dit Thierry Clermont par la « loose ». Des héros bien différents les uns des autres, de Bas jan Ader et Bascoulard, personnages de niche, un artiste contemporain mort en mer d’un côté, un clochard céleste ou bien un perdant magnifique de l’autre aux personnages connus. Murnau, Chevrolet et Pierre Quinon ont accédé à la célébrité même si leur destin s’est révélé tragique sur le modèle anglo-saxon du « rise and fall ».

Déchéance et tentative de rédemption sont au menu du livre de Tanguy Viel en une de La Croix mais aussi dans LibéL et Le Figlitt.

Un père boxeur déchu et sa fille « La fille qu’on appelle » forment un couple de perdants eux-aussi. Pascal Ruffenach nous prévient : « La tragédie continuera et les perdants ne seront pas sauvés. Qu’importe presque pour le critique, puisque les personnages et les mots sont puissants » car « c’est une démonstration du pouvoir de la littérature auquel nous convie Tanguy Viel ». Philippe Lançon relève comme d’autres qu’il s’agit là d’un roman sur l’emprise, « Le canevas est simple, provincial, presque vintage. Il explore, apr la psychologie, la zone grise (…) ce pourrait être le scénario d’un film policier, de gauche, des années 70, genre La femme flic ou Adieu poulet. » Mais l’essentiel de la critique y revient, Tanguy Viel c’est le style.

Enfin, Eugen Ruge peut s’inscrire sur la liste des héros sans avenir : son roman porte le nom d’un hôtel moscovite, le Metropol qui fait office de camp de luxe pour les communistes qui ont quitté l’Allemagne nazie.

Réfugiés dans un luxe en trompe-l’œil au milieu de rats véritables, « ils vont y assister à la liquidation de leurs collègues de leurs amis, de leurs illusions, en attendant silencieusement que vienne leur tour » et pendant tout ce temps, la harpiste de l’hôtel joue tandis que les couverts disparaissent au rythme des hôtes dont on n’entendra plus parler.

Dans le pêle-mêle

Les écrivains et le terroir cette semaine, c’est dans La Croix ; Eric Fottorino et Corinne Royer avec sa « descente aux enfers d’un paysan en colère » ; les injonctions économiques et la pression administrative ruinent les envies de son héros, celui d’Eric Fottorino est pris « dans le nœud coulant de la dette » nous dit J-C Raspiengeas. On les retrouve dans le MDL pour recension. Bernanos est pour sa part dans La Croix et le Figlitt, normal, la biographie que lui consacre F.Angelier est pleine d’ »allant et panache » nous dit Elodie Maurot et Sébastien Lapaque complète il met ses pas dans ceux de l’écrivain avec une fraîcheur et une joie enfantine : c’est le secret des grandes biographies »

Marie Darrieussecq et ses insomnies occupent une page du LibéL et apparaissent dans La Croix. « Entre essai et autobiographie parcouru de photographies » son livre, nous dit Frédérique Roussel, convoque les écrivains insomniaques de l’histoire littéraire ; sa conviction ? Le déclin du sommeil est lié au sort de la planète, elle part « d’une intuition poétique. J’avais cette phrase en la tête : notre insomnie augmente à mesure qu’on déboise. D’ailleurs c’est un alexandrin ».

Voilà qui devrait largement suffire

pour attendre la semaine à venir.

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)