Une semaine très contrastée entre littérature expérimentale, réflexions sur ce qui fait le roman, et la fiction aujourd’hui ; l’univers virtuel dans lequel nous baignons la sagesse orientale et la pensée grecque. Sans oublier les migrants de Milena Agus et la jeunesse de Pierre Nora.
Les unes
En une de l’Huma et malgré un cahier essentiellement consacré à la littérature africaine, Alain Nicolas nous fait partager le dernier livre d’Hélène Frappat : « Le mont Fuji n’existe pas, dès son titre, annonce que la réalité de la fiction est à construire, avec pour matériau ce que la vie nous offre, avec son lot de perceptions fausses, de souvenirs inventés, d’oublis, de rêves. Mais l’ouvrage, s’il n’est pas une « masterclass », n’est pas non plus un essai. Hélène Frappat nous raconte une histoire. »
Le texte déroule donc, de manière expérimentale au sens fort, les vies de personnes qui vont vers le statut de personnage tandis que le livre évolue pour sa part vers le roman. « Un mot appelle une image, nous dit l’auteure ; une image convoque un livre ; et de ces mots qui défilent devant la vitre il naît un sens transitoire, une vérité de passage » et le critique de conclure « Avec elle, il se fait espion, télépathe, chaman, fantôme. »
Expérimentale également, Noémi Lefebvre était samedi (27/02) dans LibéL avec Parle un texte qu’elle donne en performance à la Bibliothèque de Beaubourg, suivi de Tais-toi sa postface.
Le texte s’adresse à un interlocuteur silencieux avec des références « Quel est cet endroit où on peut parler sans finir sa phrase, comme chez Pialat, ou dire des choses extrêmement violentes comme chez Bergman ? » L’auteure est difficile à cerner, trouvant l’humour lorsqu’elle recherche le tragique, hésitant entre littérature et politique (et l’on pourrait ajouter théorie).
Frédérique Roussel saisit un peu de ce qui fait l’originalité du nous de l’auteur « Nous avons du goût mais nous n’en sommes pas sûrs/- Nous ne sommes pas à ce niveau d’aisance qui permet d’être à l’aise dans les milieux aisés/ Mais nous y aspirons/-Nous avons malgré nous un rêve d’ascension. » Bon, expérimentale.
Milena Agus fait la une de La Croix avec sa « confrontation entre deux mondes : ceux venus d’ailleurs qui mettaient tous leurs espoirs dans la riche Europe. Et les habitants oubliés de tous, qui laissent passer le temps immobile. » Autrement dit le débarquement de migrants dans un village de Sardaigne oublié de tous.
Et comme d’habitude Milena Agus surprend, ici en soulignant la proximité entre villageois et migrants, ce que Christophe Henning traduit « Les caractères se frottent, s’agacent, que ce soit du côté des humanitaires dépassés, des villageois dérangés, des réfugiés épuisés », mais on les accueillera quand même et les femmes seront évidemment en première ligne car c’est une des marques de fabrique de cette auteure inventive, sarde et universelle.
Le jeudi c’est souvent le LibéL des essais mais cette fois, nous dit Virginie Bloch-Lainé à propos de Pierre Nora, bien lui a pris de ne pas revenir sur sa carrière d’éditeur et de nous faire davantage partager sa vie.
On découvre donc dans ce volume intitulé Jeunesse, les aventures de toute la famille sous la conduite du père-patriarche pendant l’occupation et au-delà, jusqu’à ce que Nora définit lui-même comme étant sa sortie de la jeunesse, lorsqu’on lui propose à 35 ans de diriger la non-fiction chez Galllimard. Les figures féminines de la mère et de la sœur, celles de ses amis Furet ou Revel balisent un livre « de bout en bout intéressant, parfois désopilant et désarmant. Y brillent les reflets d’une mélancolie retenue, étrangère aux postures. »
Eliette Abecassis, Delphine de Vigan et Aurélien Bellanger en une du Figaro littéraire, pour des ouvrages consacrés aux mondes virtuels contemporains. Les auteurs ne sont pas très âgés en effet, et d’Instagram à la téléréalité intègrent la toile de fond de l’époque numérique à leur fiction.
Ce ne serait pas suffisant pour offrir un dossier sur la question, sans l’ouvrage d’Annie Le Brun et Juri Armanda qui analysent pour leur part les ressorts du rapport entre visibilité et capital dans nos société : « Manifestement nous disent les auteurs dans l’entretien qu’ils accordent à Mohammed Aïssaoui, la raison d’être de l’image est désormais hors d’elle-même (…) il n’est plus d’image qui ne soit distribuée aussitôt que produite, pour devenir source de profit en même temps que moyen de contrôle. C’est en ce sens que la visibilité est l’équivalent d’une monnaie. » Le titre ? Ceci tuera cela. Image, regard et capital (Stock).
« Un ouvrage comme celui de Pierre Bouretz brouille des pistes trop tracées » nous dit Nicolas Weill à propos du livre de Pierre Bouretz consacré aux penseurs de l’Antiquité et de leurs rapports aux dieux.
Pour ce faire, il met au jour le concept de « théurgie », « Ce terme, l’auteur le définit comme un répertoire d’actions visant à exercer une contrainte sur les dieux, par la manipulation de leur nom, par des rituels ou des gestes que nous assimilons désormais, nous, à la magie. » nous dit le critique qui y voit les aspects positifs d’une intégration des « sagesses barbares », autrement dit de la pensée orientale.
Ainsi le monde grec se serait-il enrichi de ces apports au lieu de dégénérer à leur contact comme la thèse en a été si souvent défendue.
Dans le pêle-mêle
Yves Ravey intéresse deux chroniqueurs, à l’huma et au Figlitt. Si Jean-Claude Lebrun en dit beaucoup sur l’intrigue, Etienne de Montety se retient à l’image des romans de Ravey « il n’y a pas de mystère à éclaircir chez lui, tout est là, noir sur blanc » les deux en revanche convergent sur le style de l’auteur.
« Il raconte sans hausser le ton, l’effet d’apesanteur est accentué par les dialogues. » JCL le compare à un tableau de Hopper Gas, le héros en est un garagiste sur le point de perdre son affaire, on se doute au vu du titre qu’il y a d’autres ressorts dans ce roman.
Outre le dossier de une du Figlitt, Delphine de Vigan et son roman à base de réseau ont droit à une page du MDL. L’intrigue renvoie à la famille comme bien souvent chez cet auteur, cette fois, une mère qui exhibe ses enfants en permanence devant les caméras des réseaux : « La veine du polar correspond particulièrement bien à la téléréalité et à ses avatars youtubesques qui forment le coeur des Enfants sont rois : dans les deux cas, la tension entre ce qui est montré et ce qui est caché est nodale. »
Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)
L’humanité | |||
Auteur | Editions | Titre | Page |
FRAPPAT Hélène | Actes Sud | Le mont Fuji n’existe pas | 1 |
LOBE Max | Zoe | La promesse de sa phall’excellence | 2 |
ONDJAKI | Métaillé | Grandmèredixneuf et le secret du soviétique | 2 |
BENAHMED DAHO Yamina | Gallimard | A la machine | 3 |
RAVEY Yves | Editions de Minuit | Adultère | 3 |
DA CUNHA Amaury | Plein Jour | Baby Farmer | 3 |
MARTELLI Roger | Arcane | Commune 1871. La révolution impromptue | 4 |
MARX Karl; ENGELS Friedrich | Editions sociales | Sur la commune de Paris. Textes et controverses | 4 |
JEANTET Thierry | Les Petits Matins | Economie sociale et solidaire : la clé des possibles | 5 |
REVUES LIGNES | Revues Lignes | La pensées sous séquestre | 5 |
FONTECAVE Marc | Flammarion | Halte au catastrophisme | 5 |
VIGREUX Jean | Editions universitaires | Le congrès de Tours 25-30 décembre 1920 | 5 |
COLLECTIF | Patriote Côte d’Azur | Rêvons le monde pour mieux le transformer | 5 |
Libération | |||
Auteur | Editions | Titre | Page |
NORA Pierre | Gallimard | Jeunesse | 1 |
ROUDINESCO Elisabeth | Seuil | Sois-même comme un roi, essai sur les dérives identitaires | 2 |
CHARLIER Philippe | Tallandier | Autopsie des fantômes, une histoire du surnaturel | 3 |
RABINEK EPSTEIN Franci | Flammarion | La guerre de Franci | 4 |
Le Figaro | |||
Auteur | Editions | Titre | Page |
RAVEY Yves | Editions de Minuit | Adultère | 1 |
ABECASSIS Eliette | Grasset | Instagrammable | 2 |
DE VIGAN Delphine | Gallimard | Les enfants sont rois | 3 |
LE BRUN Annie; ARMANDA Juri | Stock | Ceci tuera cela. Image, regard et capital | 3 |
BELLANGER Aurélien | Gallimard | Téléréalité | 3 |
BOURDEAUT Olivier | Finitude | Florida | 4 |
DALMAYER Paulina | Grasset | Les héroïques | 4 |
MONY Olivier | Grasset | Ceux qui n’avaient pas trouvé place | 4 |
ROONEY Sally | L’Olivier | Normal people | 5 |
BAKER Matthew | Fayard | Pourquoi l’Amérique | 5 |
JANSSON Tove | La Peuplade | La fille du sculpteur | 5 |
CRAPLET Michel | Grasset | L’ivresse de la révolution. Histoire secrète de l’alcool 1789-1794 | 6 |
D’ABOVILLE Maxime | L’avant-scène | Une leçon d’histoire de France : la révolution | 6 |
BOULANT Antoine | Passés composés | La journée révolutionnaire | 6 |
PETIFILS Jean-Christian | Le Figaro Histoire | Les grandes énigmes de l’Histoire | 7 |
BEAUVAIS Clémentine; DUCOS Max | Sarbacane | Boucles de Pierre | 7 |
ROUQUETTE Anne; ROJZMAN Théa | Fluide glaciale | Après la psy, le beau temps ? | 7 |
WELLS H.G. | Gallimard | De l’amour | 8 |
La Croix | |||
Auteur | Editions | Titre | Page |
AGUS Milena | Liana Levi | Une saison douce | 11 |
RAABE Khatarina | Premier Parallèle | Pourquoi lire. 13 bonnes raisons (au moins) | 12 |
FOHR Daniel | Stlatkine & Cie | L’Emouvante et Singulière Histoire du dernier des lecteurs | 12 |
DECOUT Maxime | Minuit | Eloge du mauvais lecteur | 12 |
HOUTE Arnaud-Dominique | Gallimard | Propriété défendue. La société française à l’épreuve du vol (XIXè Xxè siècle) | 13 |
LAMOUILLE Madeleine | Zoe | Pipes de terre et pipes de porcelaine | 13 |
MARGRON Véronique | Bayard | La Douceur inespérée. Quand la Bible raconte nos histoires d’amour | 14 |
HUYGHUES-BEAUFOND Grégoire | Cerf | Tu éclaires ma nuit | 14 |
COMBEAU Yves | Cerf | Toujours prêts. Histoire du scoutisme catholique en France | 14 |
ODERMATT Hervé | Mame | Le Chinois. Itinéraire d’un enfant placé jusqu’au cœur du gotha mondial | 15 |
HENNING Christophe | Artège | Petite vie de Jean-Paul 1er | 15 |
ANGELLA Michel | Arcadès | Dits et faits de Frère Laurent de la Résurrection | 15 |
BELLANGER Aurélien | Gallimard | Téléréalité | 16 |
TWAIN Mark | 10 ET 18 | La Saga de Jeanne d’Arc | 17 |
DELAY Florence | Gallimard | Un été à Miradour | 17 |
VERONESI Sandro | Grasset | Le Colibri | 18 |