Une semaine dégagée des contingences de la course à la réussite, plutôt portée aux (re)découvertes et aux goûts personnels des critiques. De la toundra et la taïga russes aux collines rwandaises, c’est également à une semaine qui parcourt les terroirs littéraires et documentaires, anciens et contemporains.

 

 

(LES UNES

La Russie l’autre pays du livre pour la une et le dossier du Figaro littéraire ; et c’est l’écrivain Cédric Gras qui ouvre le ban avec une introduction qui dit son amour pour la Russie et plus particulièrement la Sibérie : « Je dirais qu’il y a des noms comme ça qui priment sur ceux des pays. Des régions qui existent indépendamment des États. Des parties du monde où la géographie se fiche de la carte politique »

Chroniquant le livre de Sophy Roberts, le critique d’un jour, parle aussi de lui et de son amour pour cette région qui est à la fois belle et l’enfer sur terre. Caryl Ferey y a passé deux semaines, c’est court mais pas à Norisk, ville interdite à la mode contemporaine c’est-à-dire aussi bien par le FSB que par les oligarques qui y exploitent toutes sortes de ressources polluantes. Il en a tiré pour sa part un roman qui a frappé Bruno Corty par sa sincérité et sa profondeur.

On rappelle également dans ce dossier russe qu’André Siniavski a fourni un texte intitulé André-La-poisse et que dans la génération des écrivains contemporains se trouve un certain Mikhail Chevelev qui « rejoue » la prise d’otage de l’école de Beslan pour laisser à ses protagonistes, autrefois camarades et à présent dans des camps opposés, déployer leurs dialogues : « Aucune réponse, nous dit Thierry Clermont. Peu importe. Seules les questions comptent ».

Jean Hatzfeld suit depuis 20 ans à présent le déroulement du génocide rwandais et peut-être surtout ses conséquences.

Muriel Steinmetz, de l’Humanité, rappelle qu’après la parole des rescapés il s’est intéressé à celle des tueurs ainsi qu’à la cohabitation entre victimes et bourreaux tout juste sortis de prison, car ils sont sortis pour une importante partie d’entre eux. Avec ce nouvel ouvrage il va vers les Hutus qui ont aidé, au péril de leur vie des Tutsis.

Etienne de Montety dans sa chronique du Figlitt interroge sur cette question simple « pourquoi ceux qui ont sauvé leurs compatriotes, il s’en est trouvé, sont-ils si peu célébrés ? » Le récit des actions de ces « Justes » comme on les appelle aujourd’hui est varié mais repose sur une empathie humaine au-delà du discours des ethnies.

« L’édification lénifiante des lecteurs n’est pas son genre » nous dit Raphaëlle Leyris à propos de Dalie Farah et de son roman Le doigt ; à partir d’un fait divers qui n’en n’est même pas un, un doigt d’honneur à un automobiliste suivi d’une gifle monumentale donnée par ce dernier, l’auteure déroule une partie de sa vie de professeur : « Deux épisodes antérieurs, l’un où un collégien l’a rouée de coups alors qu’elle s’était interposée pendant une bagarre, l’autre où un élève l’a traitée de « sale pute ». »

Ce qui l’amène, chemin faisant, à se poser des questions sur l’institution elle-même (outre les collègues parfois très à côté des réalités) ; les désillusions venant « d’une Éducation nationale se moquant bien des profs à cape et auréole, veillant d’abord à n’être responsable de rien ou du moins possible, à préserver l’institution plutôt que son personnel ou les enfants dont elle a la charge. » A bon entendeur.

Il ne faut jamais désespérer de la postérité semble nous dire l’article de Robert Maggiori en une du LibéL de ce jeudi.

Il est consacré à la figure (et aux écrits) de François Daleau autodidacte et fondateur de l’archéologie préhistorique en France. C’est avant tout un esprit curieux de tout « sa curiosité sans borne le conduit à s’intéresser à la « morphologie du hameçon bifide en os » comme du « procédé de fabrication du chocolat à bras » et aux « tuiles à crochades » ».

Le critique retrace ici le parcours d’une sorte de Pic de la Mirandole du XIXe face aux sciences modernes auxquelles il est initié, « géologie, zoologie, conchyliologie, archéologie et anthropologie » Sa profession par ailleurs ? Viticulteur.

André Masson en une de La Croix n’est pas le André Masson peintre surréaliste, mais l’écrivain mauricien dont on réédite un roman de 1962, Un temps pour mourir.

Roman-de-catastrophe serait-on tenté de dire ; un cyclone ravage le hameau de Verfeuille et notamment son église qui se trouve « au cœur du village, figurant l’œil du typhon existentiel » nous dit Sabine Audrerie. Ce que la catastrophe révèle c’est surtout le désarroi des âmes locales « une épopée où Pan danse devant Saint Augustin » souligne la critique, en citant son confrère Eric Dussert et en rapprochant ce texte de la trilogie de Pan initiée par Giono.

Avec Sabrina Orah Mark, c’est une écrivaine peu commune que Mathieu Lindon nous amène à découvrir en une du LibéL de ce samedi (20/02).

Auteure paradoxale dont les livres ont attendu avant de trouver éditeur, elle est difficile à classer, notamment parce qu’elle se situe à la croisée des genres, entre réalité et poésie totale : allers-retours entre références identifiable et traits d’esprit « Mon mari et moi, nous nous montrons aux filles lors du dîner. Nous nous tenons côte à côte. Nous ne nous querellons pas. La paix est ce à quoi ressemble la peine en public ».

La critique approfondit à partir de sa vie « c’est comme s’il y avait tout au long de l’ensemble des textes à la fois une évidence et une impossibilité biographique, une perpétuelle transmutation de l’existence où l’or serait changé en or et le plomb en plomb. » Conclusion ce livre « est donc un recueil. Mais un recueil de quoi ? ».

Dans le pêle-mêle

Sophie Joubert revient sur le livre de Florence Aubenas : « Au-delà du crime et de son hypothétique résolution, le livre installe une atmosphère chabrolienne : un bourg de province rongé par les secrets et les rancœurs, des hiérarchies sociales très marquées, des notables et une petite pègre qui trafique de part et d’autre de la frontière suisse ».

La semaine dernière nous évoquions la littérature italienne, elle s’impose encore à travers plusieurs figures : Carlo Lucarelli revient ainsi avec son commissaire De Luca « atrabilaire », qui a servi dans la police politique fasciste et, pour le moment, pris dans une enquête au temps de la Guerre Froide : « à nouveau incapable de savoir avec certitude dans quel camp il doit prendre place » nous dit Sébastien Lapaque du Figlitt.

C’est aussi le retour de Milena Agus qui propose la rencontre entre la population d’un village sarde, de migrants, et du personnel humanitaire qui les accompagne sans clichés mais sans nier la réalité des différences non plus.

A la croisée des deux thématiques précédentes, la guerre et l’accueil, on verra également le roman de Viola Ardonne qui raconte comment des familles communistes ont accueilli dans le nord des enfants du sud, perdus dans les ruines de la guerre. Et comment elles ont essayé de leur faire goûter une existence meilleure, au risque de les couper de leurs racines.

Enfin le journal (1944-1945) d’Anna Pittoni est publié à la Baconnière, elle y relate notamment sa rencontre avec cet écrivain typiquement triestin car à la croisée de plusieurs cultures, Gianni Stuparich, ainsi qu’une approche de sa propre personnalité d’écrivaine.

 

A la semaine prochaine !

Index des auteurs cités dans la presse de cette semaine

cliquez ici pour télécharger

 

L’humanité
Auteur Editions Titre Page
HATZFELD Jean Gallimard Là où tout se tait 19
VINSON Sigolène L’Observatoire La canine de George 20
PRUDHOMME Sylvain L’Arbalète Gallimard Les orages 20
AUBENAS Florence Editions de l’Olivier L’inconnu de la poste 21
BERTHIER Jean Robert Laffont Ici commence le roman 21
JOSSE Gaëlle Notabilia Ce matin-là 21
SLAOUI Nesrine Fayard Illégitimes 22
Revue d’histoire Revue d’histoire 1820-1895. Bicentenaire de la naissance de Friedrich Engels 22
NAMUJIMBO Déo L’Harmattan Les Sylvestres aventures de l’enfant-soldat 22
Revue de la Pensée Fondation Gabriel-Péri Autobiographies 22
Icem- Pédégogie Freinet Freinet Manifeste pour une éducation populaire 22
Libération
Auteur Editions Titre Page
DALEAU François Jerome Million Carnets d’excursions 1
GROENEN Marc Jerome Million François Daleau – Fondateur de l’archéologie préhistorique 2
DIAZ Delphine; DURAND Antonin; SANCHEZ Romy Revue d’histoire N61 Dans l’intimité de l’exil 3
TOURNES Ludovic Fayard Américanisation. Une histoire mondiale (XVIIIe-Xxe siècle) 4
MAGNY Michel PUF « que sais-je? » L’anthropocène 4
Le Figaro
Auteur Editions Titre Page
HATZFELD Jean Gallimard Là où tout se tait 1
ROBERTS Sophy Calmann-Levy Les pianos perdus de Sibérie 2
CHEVELEV Mikhaïl Gallimard Une suite d’évènements 2
SINIAVSKI Andreï Typhon André-la-poisse 3
FEREY Caryl Les Arènes LËD 3
MALKA Richard Grasset Le voleur d’amour 4
RIVIERE François Rivages Le secret d’Irvin 4
COSTE Stéphanie Gallimard Le passeur 4
AGUS Milena Liana Levi Une saison douce 5
PETTERSON Per Gallimard Des hommes dans ma situation 5
ARDONE Viola Albin Michel Le train des enfants 5
KERSAUDY François Fayard La liste de Kersten 6
DE GMELINE Patrick Le rocher Charles Nungesser 6
LUCARELLI Carlo Métaillé Une affaire italienne 7
UEN Chen Patayo Des assassins 7
PYUN Hye-young Rivages La loi des lignes 7
SOLLERS Philippe Gallimard Légende 8
SOLLERS Philippe Mercure de France Agent secret 8
La Croix
Auteur Editions Titre Page
MASSON André Les editions du Typhon Un temps pour mourir 11
LUPANO Wilfrid; FERT Stéphane Dargaud Blanc autour 12
KOKOPELLO Dargaud Palais-Bourbon, les coulisses de l’Assemblée nationale 12
MODAN Rutu Actes Sud Tunnels 12
BEHE Joseph Futuropolis Et l’homme créa les dieux 12
PITTONI Anita La Baconnière Journal 1944-1945 13
BRUSSELL Samuel La Baconnière Alphabet triestin 13
WRIGHT Charles Flammarion Le chemin des estives 13
DE GABORY Thomas Cerf Tu étais malade et je t’ai visité. Médecine, guérison et salut 14
PORTIER Philippe; WILLAIME Jean-Paul Armand Colin La religion dans la France contemporaine. Entre sécularisation et recomposition 14