La littérature, son pouvoir sur la société, sa responsabilité vis-à-vis de celle-ci et la question de l’engagement de ses acteurs, est au centre des interrogations de la semaine. De Vargas-Llosa à Magris et à Joy Sorman, des unes littéraires, sans oublier les questions liées à la science et à la spiritualité.

 

 

LES UNES

« Soit elle est libre, soit elle n’existe pas » affirme Mario Vargas Llosa en une du Figaro littéraire à propos de la littérature dans l’échange qu’il conduit avec Claudio Magris.

Ce dernier n’est pas très optimiste « l’engagement est sur le déclin dans tous les domaines, y compris dans les secteurs les plus importants de la littérature. L’implacable logique mercantile est devenue incontournable ».

MVL renchérit, nous dit Thierry Clermont qui a recueilli les propos des deux protagonistes « Et là nous perdons l’essentiel : s’adresser au citoyen mécontent, insatisfait qu’il faut déranger, irriter. On ne lui montre plus le chaos du monde. » L’échange entre les deux écrivains a donné lieu à un livre La littérature est ma vengeance. A voir.

« La bonne distance, c’est aussi celle qu’il faut trouver dans l’écriture » nous dit Joy Sorman en une du Rendez-vous des livres à propos de son livre consacré à l’hôpital psychiatrique ou du moins ses patients.

C’est la méthode qu’elle expose ici dans l’entretien qu’elle accorde à Sophie Joubert ; immersion d’un an afin de capter l’atmosphère du lieu, échanger autant que faire se peut avec les patients et les soignants dans un environnement dégradé, à l’image de la politique de santé en général : « Il fallait sans cesse se réajuster en fonction des individus, des situations. » Le travail de l’écrivaine ne relève pas de l’inanité du roman de commande, c’est un livre qui fait l’unanimité.

Après LibéL et le Figlitt voici Le monde des livres qui s’intéresse à l’écriture du nouveau journalisme. Florence Noiville y évoque le livre de Robert S. Boyton, Le temps du reportage, « Immigration, pauvreté, question raciale, capitalisme, chocs des religions, mais aussi géologie, armes nucléaires, pêche ou même baseball… : tout intéresse ces reporters et chaque « éclat » acquiert sous leurs plumes une fraîcheur et une universalité frappantes. »

Le dossier se poursuit avec quelques-unes des références marquantes dans le domaine, références d’hier et d’aujourd’hui, Kessel, Martha Gellhorn, Truman Capote mais aussi David Grann Tom Wolfe et un auteur dont il est question dans de nombreux cahiers ces derniers temps, Frédéric Brunnquell avec Hommes des tempêtes.

Dans cet ouvrage Boris Cyrulnik aborde le développement de l’être humain et Geneviève Délaisi de Parseval (LibéL) liste quelques-uns de ses aspects, à savoir le développement du bébé sur les 1000 premiers jours de son existence et dont la réussite dépend en grande partie des figures d’attachement variées, la taille comme signe d’épanouissement dans les sociétés (on est plus grand quand on est en paix à Rome ou riche).

Avec des effets paradoxaux, par exemple la relative bonne santé des Néanderthaliens par rapport aux hommes du Néolithique qui ont pourtant inventé la domestication de la nature : « cet incontestable progrès technique a créé des conditions qui ont provoqué les épidémies, la pollution de l’air et de l’eau, sans compter les guerres de ceux qui convoitaient les biens des sédentaires et industrieux hommes du Néolithique »

Restent les qualités de l’ouvrage en elles-mêmes : « ce qui frappe dans ce livre à la première lecture (il en faut plusieurs), c’est le langage à la fois savant et familier de Cyrulnik, au point qu’on pourrait donner des pages entières à lire à des lycéens, voire à des collégiens, aussi bien qu’à des intellectuels de haut vol. »

« Ta chair se plaint ? La ferveur de ton esprit parlera plus haut. » Cette semaine c’est carême dans La Croix, avec l’ouvrage de Charles Wright qui retrace un pèlerinage de la Charente à la Lozère (GR4 pour les amateurs). Marche sans grand équipement mais en compagnie, pour l’échange qu’elle procure : «Ils verront que la sobriété passe également par une forme de retrait. « N’être plus rien ni personne donne le vertige » » nous dit Sabine Audrerie en rappelant que les deux protagonistes échangent sur fond de références à L’Imitation de Jésus Christ. « Mésaventures et menus bonheurs, petites fanfaronnades et déconvenues de la vie commune font rire de bon coeur. »

Une invitation au « mois mendiant » pèlerinage pour aller au bout de soi.

Un retour également, celui de l’Irlande du Nord qui ne sera jamais mentionnée comme telle dans le roman d’Anna Barns. Les dissensions politiques ne sont pas au cœur de ce roman mais plus vraisemblablement l’étouffant monde catholique pour une jeune femme de 18 ans.

Anna Barns n’aime pas les précisions inutiles – les précisions tout court d’ailleurs : ses personnages portent de drôles de noms « Peut-être petit ami » ou bien « Troisième beau-frère » en revanche celui que tout le monde appelle le Laitier, héros éponyme de Milkman » n’est absolument pas laitier. Jakuta Alikavasovic (sa traductrice) s’y est retrouvée : « Là où le processus de traduction ressemble pour moi à l’écriture dite « créative », c’est qu’au bout d’un moment à peiner sur un texte, on sent qu’on le tient, qu’on « l’a ». Quoi ? C’est mystérieux » Claire Devarrieux l’assure, le livre dans sa version française lui doit « sa saveur, son inventivité ».

Dans le pêle-mêle

Nathalie Kuperman et sa mère un peu folle qui l’emmène (l’enlève presque) en vacances continuent leur carrière. Vacances cyclothymiques avec une mère azimutée qui oscille entre étouffement et rejet, bref, toxique.

Chris Kraus bénéficie toujours d’une bonne couverture presse pour son œuvre située à la lisière de la littérature et du cinéma ; Frédérique Fanchette s’entretient avec lui : « Dans l’art, le politiquement correct ne fonctionne pas. L’anarchie est une partie essentielle de la créativité humaine. Dans l’imagination, il ne peut y avoir des règles et des tabous. »

Jakuta Alikazovic continue son œuvre de traductrice et se multiplie, par exemple avec le roman d’Eve Babitz dont le nom sonne comme celui d’une égérie américaine (Babitz, Baby ?). Et, de fait elle l’est, légère, snob, filleule de Stravinsky à la limite des ennuis avec les hommes « Difficile avec Eve Babitz de faire le départ entre l’apparence et la profondeur » nous dit Virginie Bloch-Lainé dans LibéL (14/02).

Eric Neuhoff insiste pour sa part sur la légende : elle a disputé, nue, une partie d’échec avec Duchamp, « Au nombre de ses amants qui ne se comptent pas sur les doigts d’une seule main, se récapitulent Jim Morrison, Harrison Ford et Steve Martin. » Du Babitz, mais aussi beaucoup de Neuhoff (Eve à Hollywood, Seuil).

Bien sûr, il nous reste quelques biographies et quelques aventures littéraires dont nous n’avons pas eu le temps de vous parler, ce sera pour la semaine prochaine.

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)

L’humanité
Auteur Editions Titre Page
OYAMADA Hiroko Christian Bourgeois L’Usine  
VAN DEN BOSSCHE Anthony Seuil Grand Platinum  
PATTIEU Sylvain L’école des loisirs Amour chrome  
SIZUN Marie Arléa La Maison de Bretagne  
BADIOU Alain Presses universitaires Alain Badiou  
BOUNY André Hdiffusion Huit destins de femmes  
DRAY Joss Scribest Revenir à Jénine  
GILBERT Jean-Pierre L’Alandier La Commune et les communards du Cher, 1871  
Collectif Presses des Mines Cent ans de sous-reconnaissance des maladies professionnelles  
BRUNQUELL Frédéric Grasset Hommes des tempêtes  
Libération
Auteur Editions Titre Page
CYRULNIK Boris Odile Jacob Des âmes et des saisons psycho-écologie 1
JAMISON Leslie Pauvert Récits de la soif 3
BEAUGEY Sam Paulsen Petits désastres 4
Le Figaro
Auteur Editions Titre Page
ARNAUD Claude Grasset Le mal des ruines 1
MAGRIS Claudio; VERGAS LLOSA Mario Gallimard La littérature est ma vengeance 2
VERGAS LLOSA Mario Gallimard L’appel de la tribu 3
SCUDAMORE James La Croisée Monstres anglais 4
PATCHETT Ann Actes Sud La maison des Hollandais 4
KEHLMANN Daniel Actes Sud Tu aurais dû t’en aller 4
ROQUIN Charlie Most Editions Métadata 5
KUPERMAN Nathalie Flammarion On était des poissons 5
KHOURY-GHATA Vénus Actes Sud Ce qui reste des Hommes 5
VON BISMARCK Otto Perrin Mémoires 6
ROQUETTE Antoine Editions du Félin La France et l’indépendance de la Grèce 6
SCHMITT Eric-Emmanuel Albin Michel La traversée des temps, tome 1 : Paradis perdus 7
DE LESPINASSE Julie Mercure de France Mn ami, je vous aime 7
MODAN Rutu Actes Sud Tunnels 7
DELPECH Laurens Flammarion Le prince de la romanée-conti 8
La Croix
Auteur Editions Titre Page
WRIGHT Charles Flammarion Le Chemin des estives 13
LAVOUE Jean L’enfance des arbres Dans l’espérance d’une parole 14
ARNAUD Claude Grasset Le Mal des ruines 14
NABOKOV Vladimir La Pléiade Œuvres romanesques complètes III 15
CURTIS Rye Gallmeister Kingdomtide 15
MARTIN-BAGNAUDEZ Jacqueline Médiaspaul Manger ensemble, quelle affaire ! Les débats sur les repas au temps de Paul 16
SENTIS Rémi Cerf Aux origines des sciences modernes. L’Eglise est-elle contre la science 16
REYNIER Chantal Cerf Les Femmes de saint Paul 16
QUESNEL Michel Médiaspaul Paul et les femmes. Ce qu’il écrit, ce qu’on lui fait dire 16