Des écrivains qui chroniquent ou critiquent ou bien encore s’adaptent en séries, aux historiens du temps long et des vies miniatures, la semaine foisonne et offre une variété de titres assez rare, voyez le tableau !

 

 

 

 

Les unes

Normalement cette semaine c’est litté jeunesse ! comme tous les ans en novembre, salon du livre de Montreuil oblige.

Et cependant, seul Le rendez-vous des livres (Humanité) y consacre son cahier ; Sophie Joubert nous le présente, insistant sur le travail de fond de ce Salon qui ne se contente pas de vendre des livres ou d’en assurer la promotion : ainsi 25000 livres achetés ont « été distribués gratuitement aux élèves de sixième, aux classes spécialisées Ulis et Segpa, aux résidents des centre d’aide sociale à l’enfance, aux enfants des personnels soignants du 93 et aux mineurs isolés. » La directrice du Salon met donc l’accent sur l’importance d’un « imaginaire puissant » en période de crise. Cela pourra être celui des histoires de Neko, chat d’un maître d’estampe qui se transforme en aventurier félin voyageant dans des récits inspirés des tableaux de son maître Kuniyoshi. Beaucoup de titres par ailleurs pour ce cahier jeunesse.

« Comment vit un oiseau- langue dans la cage qu’une conscience politique lui a construit » voila ce qu’on apprendra à la lecture des cahiers de René Depestre selon la belle formule de Stéphane Lançon.

A la fois zélateur de la révolution castriste qu’il découvre alors qu’il fuit le régime de « Papa Doc », le poète s’y livre aussi à la description de ses aventures sexuelles et à la lecture d’une typologie des corps. Dun côté la fidélité à un idéal, même lorsque celui-ci le décevra, de l’autre, l’expérience sans cesse renouvelée de la jouissance.

Du reste poète aux formules étincelantes lui aussi : « Il a un mot magnifique sur la mémoire, d’une profondeur et d’une précision magiques, d’Alejo Carpentier : «Alejo porte les souvenirs de sa vie comme une lampe de poche au cours d’une panne d’électricité. En sa présence on souhaite que la panne dure toujours.»

Autre amateur de formules parfois poétiques, Emmanuel Carrère qui ouvre le cahier du Monde des livres avec un article consacré à la célébration de Geoff Dyer lequel a écrit « six livres relevant de ce que la critique anglosaxonne qualifie de genredefying : défiant les genres. »

Le cadre est posé, chaque livre de Geoff Dyer échappe aux contraintes du genre même lorsqu’il s’agit déjà d’un sujet au second degré comme le fait d’écrire « le récit irrésistiblement comique et triste de ses tentatives pour écrire un livre sur D. H. Lawrence ». Emmanuel Carrère termine en racontant le début d’un récit qui donne envie de poursuivre la lecture montrant par là qu’il possède lui aussi un talent de journaliste.

Le dossier du Monde des livres porte, quant à lui, sur le phénomène intéressant du développement des micro-histoires de vie, travaillées et rédigées par de véritables historiens (Christophe Granger, Laurence Giordano, Fulgence Delleaux et bien d’autres.) On ne peut s’empêcher de penser au temps qu’il a fallu pour que les Vies minuscules entrent en littérature.

« Une lecture bienvenue pour entrer dans l’Avent » c’est, sans surprise, La Croix qui le dit en évoquant l’ouvrage de François Hartog consacré au temps et à son Histoire en occident. Béatrice Bouniol en retient avant tout la « pièce ancestrale » qui se joue entre Chronos, Kaïros et Krisis, l’insaisissable, la rupture, le jugement.

L’historien inventeur du « présentisme » passe en revue les différentes incarnations du temps dans la culture depuis les cycles chrétiens jusqu’aux dérives de l’anthropocène en passant par « le temps de la nature et du progrès ».

Une consacrée au Bloc-notes de Mauriac dans le Libération de samedi. Stéphane Lançon (visiblement de permanence cette semaine) revient sur cette étrange deuxième carrière d’un écrivain, qui possède déjà tous les honneurs et qui commence une carrière de journaliste en 1952 (67 ans), tandis qu’il siège à l’Académie depuis 1933 et vient de se faire nobéliser.

Des faits d’actualité, des engagements politiques, la participation à l’aventure de l’Express. Réactif, engagé, avec une profondeur, se rappelant de sa rencontre avec Proust, s’interrogeant sur Chardin « Seulement Mauriac ne serait pas Mauriac s’il se contentait de décrire cette pente nostalgique. Il élargit le champ et voit le monde dans lequel elle est prise. » en témoigne son avis sur Picasso « l’herbe ne poussera peut-être plus là où Picasso est passé. »

Alice Develay et Astrid de Larminat proposent un dossier consacré à l’adaptation en BD et séries des écrivains. A qui profite la tendance ? Et est-elle réellement profitable ?

Ce sont les deux questions qui animent ce dossier. En couverture bien sûr Margaret Atwood et la Servante écarlate. Quelques conclusions : oui les séries se développent sans cesse en piochant dans la littérature mais il faut avouer que les références de l’article sont à dominante anglo-saxonne ; on va du, certes universel, Henry James à des auteurs moins connus sous nos latitudes à l’image de Lucy-Maud Montgomery. Les séries se multiplient et les auteures de conclure « le nombre affolant de séries nous a rendus dépendants et celles-ci, chronophages, nous dévorent à leur tour ».

Auteurs pour la jeunesse, de littérature fantastique, de voyage, etc. chaque jour ce qui nous dévore ou menace de nous acculturer définitivement c’est peut-être davantage le monde anglo-saxon qui produit ces séries. Côté illustration de cet article quatre bandes dessinées ou récits illustrés, 1984, Des souris et des hommes, Faim de Hamsun et Jésus (de Boyer) ; plus varié.

Notre chronique audio Les prix, repos du combattant ?

Dans le pêle-mêle.

« L’air est connu, et celui de la postérité a ses caprices et ses soubresauts. Ramon Gomez de la Serna connaît bien la musique, passant depuis sa mort, en 1963, alternativement du purgatoire à l’enfer des bibliothèques, toujours en bousculant les rayons. » Thierry Clermont se livre après LibéL à la lecture des mémoires de cet auteur à la fois avant-gardiste et revenu de tout.

Grosse séance de suivi et de rattrapage pour La Croix qui fait le point sur la bio que consacre Pauline Dreyfus à Morand – même sidération devant la bassesse de l’homme révélée, presque étalée par son journal.

Retour également sur un volume salué par toute la critique, celui des archives d’Orange Export Ltd, éditeur de poésie. Micro-éditeur de livres de petit volume et à petit et parfois micro-tirage. On le lira comme l’anthologie d’une aventure hors des chapelles.

Retour également de Marcher aux Kerguelen, récit de voyage (François Garde) qui raconte l’inhumanité de ces îles, du même coup la version illustrée de photographies permettra peut-être de saisir mieux ce qui fascine dans ce paysage par ailleurs désolé. C’est du moins ce que semble penser Bruno Corty du Figlitt. Handke et ses volumes en Quarto ainsi que sa Voleuse de fruits font l’objet d’une recension claire de Christine Lecerf pour le MDL partant de la façon « d’habiter la langue » pour s’achever sur une formule de l’écrivain lui-même « Ne te souhaite rien de nouveau, tu sais bien ce qu’il te reste à faire jusqu’au bout : chercher la terre natale. »