Résurgences.

De Kit Carson à la guerre d’Algérie en passant par Paul Morand, voici encore une semaine contrastée qui souligne la liberté critique(même soumise au calendrier des sorties), et le lent travail d’une littérature en train de se constituer.

LES UNES

Kit Carson est dans LIbéL : cette figure de l’ouest légendaire passée un peu au second plan ces dernières années est au centre d’un article de Philippe Garnier qui vaut déjà pour un récit avant d’aborder l’ouvrage d’Hampton Sides De sang et de fureur.

Ce préambule rapporte en effet les hauts faits de cet homme au physique insignifiant (« petite taille, , cheveux filandreux portés longs et ramenés en arrière, bouche maussade, yeux bleus perçants ») pivot des guerres indiennes et souvent mêlé à des massacres. Un portrait qui révèle la nature des conquérants de l’ouest « hommes à principes dans leur genre, mais aussi des Américains, c’est-à-dire des tueurs à sang-froid. » Reste le western, le vrai et la nostalgie d’un monde révolu.

Gisèle Sapiro relevait dans son livre (Peut-on séparer l’œuvre et l’homme) les oppositions à l’édition des pamphlets de Céline ou des Décombres de Rebatet, voici Paul Morand et son journal des années 39-43 avec, dit le Figaro littéraire en une, « la bassesse d’esprit de ce styliste étincelant.» Eric Roussel prévient, ce Journal « risque fort de susciter l’incompréhension, voire l’indignation, des contemporains. »

On verra. Pacifiste et admiratif des régimes autoritaires, il apparaît dans cet article comme un homme assez vain qui se sera trompé sur tout pour préserver son propre intérêt, décrivant cependant Vichy tel qu’il est jusqu’à son antisémitisme sordide. Une Biographie de Pauline Dreyfus complète le portrait.

Deux têtes d’affiche cette semaine dans le supplément de La Croix : Raphaëlle Branche et Benjamin Stora, un seul sujet, la guerre d’Algérie. La première livre une enquête qui met fin au silence des appelés sur cette expérience : « Elle en a fait le livre qui nous manquait, après une longue enquête auprès de 300 d’entre eux et leurs familles, complétée par les sources privées habituelles, les carnets de route, les très nombreuses photos et, surtout, les correspondances avec les proches. »

Du côté de Benjamin Stora c’est chez « Bouquins » que l’on trouve ses mémoires ou du moins la compilation de ses livres précédents qui mêlent autobiographie et histoire « Soit un millier de pages écrites le cœur serré, mais avec une rigueur qui apaise. Et donc un fier bouquin. » conclut l’historien Jean-Pierre Rioux.

Apeirogon pour le supplément de l’humanité : Sophie Joubert présente à son tour le roman de Colum Mc Cann, consacré à l’enlisement et aux crimes du conflit israélo-palestinien. Le choix d’une forme multiple et de deux destins qui se rejoignent, deux pères qui perdent leur fille marque l’une des réussites de la rentrée.

L’approche est originale et la mise en scène du roman se justifie par le sujet, une mort au début l’autre à la fin, deux récits qui vont à la rencontre l’un de l’autre. L’opposition des communautés, Mc Cann la connaît, c’est un auteur irlandais. D’où peut-être également sa neutralité bienveillante au sens propre.

Dans le pêle-mêle :

On n’en finit pas de rendre hommage à Hervé Le Tellier et à son avion qui se double en pleine tempête et propose un insoluble paradoxe spatio-temporel. Claire Devarrieux succombe à son tour à cet « imbroglio savant mais ludique » Tout le monde est tellement d’accord qu’il a peu de chances d’avoir le Goncourt.

Colson Whitehead est dans l’Huma aux côtés de Colum Mc Cann pour cette rentrée anglo-saxonne. C’est le dernier titre qui manquait au tour d’horizon critique du romancier américain, seconde vedette anglo-saxonne de la rentrée. Muriel Steimetz : « Aux jeunes Noirs, les uniformes les plus usés. Bouillie d’avoine et eau gelée. Travaux physiques d’esclaves, niveau lamentable » Rappel de ce qu’est la permanence du sentiment de la toute puissance du rapport maître/esclave aux U.S.A.

Retour également d’Eric Reinhardt et de Comédies françaises dans le Figlitt. Isabelle Spaak souligne l’audace de faire mourir son héros dès le début avant de rappeler que le roman s’en prend à Antoine Roux le grand patron qui tua l’internet à la française avec le minitel à courte vue. Dans le Figaro ?

Mohammed Aïssaoui dépasse nettement le niveau de la reconnaissance polie, ou de l’exercice d’admiration obligée de ses pairs dans La Croix.

Sabine Audrerie insiste sur la véracité de la démarche « Ce roman délicat est une bouffée de générosité littéraire et humaniste »

Terminons avec Julian Barnes et son Docteur Love, comme le dit Camille Laurens dans son feuilleton du MDL. Le père de la maîtresse de Valéry (le monde est petit) vit et voyage avec Montesquiou et Polignac aristocrates désargentés, ambiguïté d’une époque : « Sur fond d’affaire Dreyfus, de duels et de scandales, le Tout-paris bruisse de reparties assassines et de cancans colportés par les frères Goncourt ou le teigneux jean Lorrain ». Bref, la biographie d’une époque en veste rouge.

L’actualité galopante (et pléthorique) de ce début d’année mérite que l’on revienne rapidement sur… celle de l’année dernière.

Quels sont auteurs programmés pour réussir et qui sont ceux qui ont atteint leur but ? quels sont ceux qui ont émergé malgré tout ? Quelles étaient les tendances ?

Bref que reste-t-il ou que devrait-il rester de la rentrée 2019 ?

Si l’on s’en tient aux tendances par exemple, souvenons-nous que les migrants étaient les grands héros de roman avec Marie Darieussec et la mer à l’envers bien sûr mais aussi Louis Philippe d’Alembert et mur méditerranée. Romancier d’origine haïtienne évoquant le destin de trois femmes de confessions différentes embarquées dans le même navire en méditerranée, un navire entre ceux des romans de Conrad et Titanic. Choc des niveaux de vie qui montrait des différences de classes chez les migrants eux-mêmes entre ceux du pont et de l’entrepont.

Choc des civilisations par ailleurs mais pas au sens où on l’entend habituellement avec Leonora Miano et Rouge impératrice qui contait les réussites d’une république africaine idéale à tel point qu’elle accueillait en son sein des réfugiés du vieux continent, communauté refusant l’intégration d’européens blancs fuyant le grand remplacement dans leur propre pays.

Laurent Binet, pas si éloigné de ça avec Civilizations, ou la découverte et l’invasion de l’Europe par les incas, proposait un exercice salutaire de décentration culturelle et ethnocentrique. Binet envisageait les conséquences dignes de ce qu’on appelle l’as if history à savoir l’histoire uchronique qui envisage ce que serait devenu le monde si…

Un complément moins utopico- optimiste peut se voir du côté d’Edna O’Brien et de girl l’histoire d’une fille enlevée par Boko haram qui rejoindra sa communauté et devra effectuer un dur travail de reconnaissance pour regagner sa place au sein de celle-ci.

Côté communautés, mais à l’américaine cette fois, nous avions également le remarquable roman de Regina Porter ce que l’on sème dans lequel familles blanches et noires du deep south américain affrontent l’histoire des années 50 à Barack Obama et dont les descendants se rejoignaient finalement pour une histoire sentimentale improbable Diana Evans explorait pour sa part les relations de couples entre afro anglais des classes plutôt aisées du Londres moderne roman rythmé par les accents d’une playlist typiquement afro américaine.

Pour ce qui concerne les histoires intimes un autre eden de Bernard Chambaz mêlait l’écriture de London et celle de l’auteur en une traversée de l’Amérique et du miroir le séparant de son fils trop tôt disparu.

Enfin deux auteurs découvertes littéraires avaient marqué Mircea Cartarescu et Solénoide ou une sorte de roman absolu consacré à l’exploration du corps, de Bucarest et des apparences fantastiques ainsi qu’Ordesa de Manuel Vials qui explorait par fragment les instants de vie de ses parents sous franco