Teaser Audio de la semaine

par Frédéric Palierne

L’actualité littéraire du jeudi 28 mai.

Chroniqueuses à la une cette semaine, de l’entretien accordé par Chantal Thomas à l’Humanité à la double une Libé La Croix pour Janet Horner dit « Genêt ». Et même si la littérature de chronique semble anhistorique on notera que la fascination de part et d’autre de l’Atlantique pour l’autre rive, New York et Paris témoigne bien d’une continuité culturelle assez typique du XXe siècle.

Chantal Thomas donne un entretien à Sophie Joubert de L’Humanité au sujet de son recueil de chroniques Café Vivre.

Elle y évoque à la fois la légèreté de l’écriture, les quelques paysages qui l’ont marquées de New York au Japon en passant par Arcachon mais qui se fondent dans une émotion initiale : « Un paysage de sable et d’eau. Un lieu qui respire la souplesse, la lumière. Un monde friable. Les autres pays que je découvre plus tard ont tous quelque chose de commun avec cette émotion d’origine ».

On y découvre une femme de son époque fascinée par Sade Klossowski Barthes, une époque qui dit choisir Kafka et Bernhard pour lire les temps présents, plutôt que La peste. « La légèreté, la désinvolture ne sont pas de saison. Quand j’écrivais ces chroniques, je n’ai pas voulu me brancher sur une actualité immédiate. Je m’abandonnais plutôt à des impressions. » Ce sont ces instantanés qu’il nous est donné de lire chez « Fiction et C° » au Seuil.

Un papier lui est également consacré dans le LibéL de ce jeudi ainsi que la chronique de Camille Laurens (MDL) à qui nous laisserons le mot de la fin pour ce qui concerne le style de l’écrivaine : « Ce ne sont jamais des coq à l’âne mais les effets d’un regard alerte et d’une pensée agile ».

Après Martha Gellhorn voici une autre chroniqueuse américaine, presque exclusivement entichée de Paris et qui livre avec Paris est une guerre (on devine l’intention parodique du titre) ses chroniques d’un pays dans lequel…elle ne réside pas pendant l’occupation.

Janet Flanner y possède cependant ce qu’on appelle déjà à l’époque un réseau, et reviendra bien vite sur le continent pour assister à sa libération : elle oscille, comme toute chroniqueuse, entre le fait historique et le petit fait vrai, l’anecdote, comme le souligne Jean Pierre Rioux dans La Croix : « Ses considérations de haute politique, somme toute, ne sont pas si éloignées d’une sorte de vérité historique au débotté. »

On y retrouve un ton si particulier – celui des Américains à Paris- qu’il pourrait constituer à lui seul, un sous-genre de la littérature d’occupation et de libération.

En une du MDL Rabinatrath Tagore pour l’édition de certaines de ses œuvres en Quarto. Déjà signalé par LibéL, l’édition a le mérite de donner à voir et à entendre cet écrivain indien, progressiste et contemporain de Gandhi quelque peu oublié depuis son lointain prix Nobel : « Tagore n’a rien d’un illuminé. Ni d’un gourou. Il est très « matter of fact », terre à terre, lorsqu’il se demande comment bouter les Anglais hors de l’Inde, utiliser l’éducation pour progresser vers un monde plus équilibré » nous dit Florence Noiville.

La correspondance de Manchette éditée et voilà qui aurait peut-être déstabilisé ce drôle d’écrivain, auteur de polars nouvelle vague ou néo si l’on préfère, politique de la gauche radicale mais qui s’arrête bien avant le terrorisme ; écrivain invité à Apostrophe et qui voit une lueur de meurtre dans le regard de Pivot parce qu’il lui avoue qu’il aurait pu faire mieux sur le plateau.

Stéphane Lançon souligne le caractère hyper-lucide de l’écrivain autant pour ce qui concerne ses capacités de romancier que celles de son lectorat : « Je suis sans aucun doute heureux – et je crois et j’espère que vous aussi – lorsque j’imagine un lecteur capable de reconnaître une allusion, ou une plaisanterie, parce qu’il a quelques notions du style XVIIe siècle. »

La semaine dernière…vite pliée.

Jeudi dans LibéL Alexandra Schwartzbrod nous livre ce que l’on pourrait nommer un portrait-vérité de l’éditrice Viviane Hamy. Si les choix intuitifs et courageux de l’éditrice sont mis en avant, la critique ne cache pas que sa personnalité exacerbée et son caractère exclusif lui ont occasionné des problèmes.

Fuite d’un collaborateur qu’elle a formée mais qui étouffe, départ de Fred Vargas, auteure à succès, à la fois adulée et reniée ; le problème semble toujours le même et de fait le même que dans des histoires d’édition infiniment plus nombreuses, à savoir la relation de fascination-dépendance entre un auteur et son éditeur. « Pour moi l’édition c’est lire le monde avec des mains d’aveugle. » C’est un très bon article de fond sans véritable parti pris qui donne à voir une figure de l’édition à la fois romanesque et contemporaine.

C’était aussi la semaine Etgar Keret, unes de LibéL samedi et du Monde des livres pour cet auteur aux talents multiples. Il représente une nouvelle génération d’écrivains israéliens qui, s’ils n’ont pas perdu le sens des origines (ils ne sont qu’à une ou deux générations de la déportation), trouvent leur sujet dans des histoires parfois distanciées. On notera cependant que sur les 22 nouvelles qui composent le recueil Incidents au fond de la galaxie, quelques-unes entretiennent un rapport avec l’Histoire mais sous un angle nouveau comme ce couple qui se dispute lors de la visite du mémorial de la Shoah nous dit Virginie Bloch-Laîné.

Raphaëlle Leyris souligne pour sa part que la date de parution du livre en France était le 19 mars : « L’étrangeté de cette situation est «kérétienne» en diable. On imagine fort bien l’auteur écrire une nouvelle autour de la vie secrète des cartons confinés – boiraient-ils du café ? Avec combien de sucres ? Il n’est pas exceptionnel chez lui que les objets mènent leurs affaires dans leur coin. »

La chronique audio (le texte)…

La réouverture des librairies n’efface pas la crise de l’édition nous disait il y a peu Sophie Joubert dans l’Huma ; nous noterons que depuis deux ou trois semaines la plupart de nos quotidiens tentent de tirer les leçons de la crise de l’édition autour de ces trois personnages qui constituent l’essentiel son histoire, le lecteur, le libraire et l’éditeur. Entre les deux premiers le courant semble passer sans problèmes pour les deux autres liés par des rapports de commerce et de profit ce n’est pas tout à fait aussi simple.

Pour beaucoup de lecteurs, nous dit toujours Sophie Joubert, retourner en librairie est un acte militant, on ne s’en étonnera pas dans l’Huma et de citer Rozelyn Guttierrez, de la librairie Renaissance dans le quartier populaire du Mirail à Toulon, de même à la librairie histoire de l’œil à Marseille, « la joie de pouvoir faire à nouveau vivre des livres restés dans des cartons. » est là.

Avec des variantes pour ce qui est des titres néanmoins puisque dans le Figaro le patron de la librairie le furet du nord se félicite de la présence dans les rayons au moment de la réouverture de Dicker, Musso, Thilliez.

Cependant l’inquiétude est patente, « les échéances de fin d’année vont faire très très mal » car La baisse de l’activité a été de 30% certes sur les ventes en librairie mais aussi on y pense moins sur les stands montés à l’occasion des festivals et des animations socio-culturelles….comme par exemple la fête de l’Huma.

Tout le monde s’est fait l’écho du plan à venir de Bruno Lemaire (c’est un auteur après tout) qui venait en urgence et devant le silence d’Emmanuel Macron sur la culture du livre promettre de l’argent des effacements de charges et des mesures d’encouragement, bref des idées, pour le moment d’ailleurs un peu floues.

Tout en demandant un effort aux grands éditeurs

Nicole Vulser la journaliste éco du monde qui s’intéresse en ce moment au devenir de la librairie reprend le plan d’aide mais évoque aussi les rapports éditeurs, libraires.

Car du côté des éditeurs si Olivier Nora PDG de Grasset, Fasquelle et Fayard dit avoir perdu 80% de son chiffre d’affaires sur la période Covid, Sabine Wespieser en annonce pour sa part 100 pour Cent. La seconde est très dépendante du bouche à oreille des libraires. Les libraires ont leur problèmes les éditeurs aussi, ils en partagent une partie, il faudra donc qu’ils trouvent des solutions dont certaines passeront par des accords.

Des moyens existent pour reprendre un peu d’oxygène avant la période estivale comme de freiner sur les nouveautés et surtout sur la rotation en magasin. Il faudrait donc écouler les stocks présents sur les tables, ce que disent la plupart des libraires, oui mais attention l’été arrive et les auteurs de pavés à poser sur la plage vont se faire entendre.

L’un des paradoxes de l’édition française est que les livres aujourd’hui vivent six mois intensément avant leur diffusion en librairie tandis qu’au sein de celle-ci on ne dépasse pas un mois. Il faudrait donc ralentir la rotation nous dit-elle et l’on commence à remettre en question le rythme effréné de ces dernières années.

Sabine Audredie de La Croix ainsi que ses consœurs et frères soulignent la nécessité de remettre en question les masses de livres qui seront présentes à la rentrée et l’on peut dire que cette restriction est à moitié actée tandis que pour ce qui est de la baisse de la production c’est un serpent de mer qui ne satisfait pas Olivier Nora si l’on fait ça on va sacrifier la découverte des primo romancier dit-il en substance.

Comme on le voit, si l’ monde de l’édition n’est pas totalement sinistré à l’issue de cette crise il envisage l’avenir sous l’angle du débat voire du combat et c’est ce qui assure depuis toujours sa survie.