LES UNES

Cette semaine flotte dans l’air comme une reprise de l’activité littéraire, moins de grandes interrogations sur les livres essentiels et leur sens ou sur le confinement ; une exception pour le Monde des livres toutefois, ou des écrivains moins connus et des relectures comme pour le Figaro. Des noms se dégagent néanmoins, comme celui de Dany La ferrière et son nouveau tropisme, le roman dessiné, non pas graphique, mais dessiné, comme des carnets d’un auteur qui se chercherait encore.

 

Toujours Le Clézio en Une avec cette semaine l’Huma qui évoque son dernier ouvrage, Muriel Steinmetz y reprend quelques-unes des constantes de la presse Ar Kleuziou pour le nom, l’histoire du déracinement mais le récit est enlevé « il explore les effondrements et les résurgences, tâte le terrain, retrouve des fragments parlants , parfois criants de son enfance en pays bigouden (…) Il reconstitue un décor, une atmosphère de lampes à huile, la rue déserte, les commerces chiches et la pompe communale, depuis repeinte en vert pomme, hors d’usage, devenue simple fétiche. » La critique oriente cependant son texte d’un point de vue plus « Huma » avec la critique des directives européennes qui ont cassé la pêche locale et tué les ports.

 

Un vrai Thriller en une de La Croix avec ce roman dont l’argument est résumé par Céline Rouden : « Dans un Madrid pétrifié par le nouvel ordre franquiste, l’armée des vaincus est peuplée de criminels nazis en déroute, déguisés en prospères hommes d’affaires, et d’espions républicains prêts à abattre leurs dernières cartes contre la dictature. ». Le roman d’Almuneda Grandes, Les patients du docteur Garcia explore donc un autre côté sombre de la dictature franquiste, le refuge qu’elle a proposée aux nazis et à certains de leurs affidés européens à la fin de la seconde guerre mondiale. Le cycle entamé par l’auteure d’Épisodes d’une guerre interminable dit aussi que l’Espagne n’en a pas tout à fait fini avec son passé franquiste.

Jean Rouaud fait la une du LibéL de ce jeudi avec L’avenir des simples, livre-projet politique mais sans engagement dans aucune campagne. L’auteur attaque la société productiviste depuis son coin à lui, de végan militant. L’énormité de la situation l’avait assurément frappé bien avant le confinement. Il charge donc la société de type Uber : « Il y a comme une nostalgie d’ancien régime à ce monde de services où les bénéficiaires jouent aux petits marquis que l’on « sert », à qui l’on ouvre la porte de la voiture, et qui fabrique un monde d’esclaves. » Rouaud, a toujours pris le contrepied de l’époque moderne sans pour autant s’allier aux antimodernes depuis les récits autobiographiques et ruraux ainsi que respectueux de la ruralité de ses débuts, jusqu’au nostalgique Kioske dans lequel il louvoie entre critique d’un monde qui ne lit plus et rejet du « c’était mieux avant ».

Samedi dernier, Frédérique Fanchette dressait dans le LibéL le portrait en plusieurs mots-clefs de Rabindranath Tagore. Mots-clefs qui suivent les lettres de son état civil, un mode ludique qui pourrait déconcerter à première (et courte) vue mais qui se révèle assez bien mené. Son article possède également la vertu de rafraîchir un peu l’image d’un de ces auteurs Nobels du XXe siècle dont on a l’impression que les noms ne recouvrent plus vraiment une œuvre vivante à l’image de son ami Romain Rolland à l’entrée R du prénom. On découvre un auteur militant qui va parfois plus loin que Gandhi lui-même en ce qu’il est un écrivain en non pas un politique – bien qu’auteur de l’hymne national de l’Inde et du Bengale ! Tagore pacifiste, récolteur de fonds internationaux, poète, musicien, une redécouverte et une bonne introduction qui ouvre des pistes d’intérêt pour le volume « Quarto » qui lui est consacré.

Le monde des livres dresse par le truchement (critique) de Macha Séry, un tableau des meurtres de confinement. Cette semaine, normalement consacrée au festival quai des polars de Lyon, voit donc un catalogue des romans de chambre close de Poe à Doyle dans lequel évidemment Leroux tient la corde, et dont Gidéon Fell, héros créé par John Dikinson Carr dresse la liste : « l’assassinat perpétré à l’aide d’un piège mécanique dissimulé dans une pièce du mobilier ; meurtre où l’on croit la victime vivante dans une pièce sous surveillance, alors qu’elle est déjà morte ; meurtre qui semble avoir été commis à l’intérieur de la pièce close, alors qu’il a été commis à distance ; meurtre pour lequel on croit que la victime est morte dans la pièce close, alors qu’elle est encore vivante : la victime est endormie dans la chambre close et tuée après l’ouverture de la porte… La liste est longue, qui inclut une irruption animale (insecte venimeux, serpent), etc. »

Le Figaro continue pour sa part à faire la part belle à la relecture avec Garcia Marquez et Oliver Sacks cette semaine. Le premier pour le confinement du petit village de Macondo au sein duquel se joue l’oeuvre et le destin littéraire de Marquez, selon Thierry Clermont qui relève « ces sortilèges, ces enchantements trompeurs, ces propos de diseurs de mauvaise aventure, sont une composante cardinale de Cent ans de solitude. » Mohammed Aïssaoui pour sa part, voit trois bonnes raisons de (re)lire L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, best-seller neurologique. ; l’auteur hors-normes, les cas présentés « sidérants » et la qualité littéraire de l’ensemble.

 

Dans le pêle-mêle

L’Humanité décide de fêter le retour d’Eugène Savitzkaya avec son nouveau récit paru chez son éditeur fidèle Minuit. « Par où commencer ? – S’interroge Alain Nicolas – À cette question qui angoisse plus d’un écrivain, la réponse d’Eugène Savitzkaya est simple et radicale : par le commencement de tous les commencements, la création du monde. (…) Au commencement était le pet. » On s’en doute, Le pays des poules aux œufs d’or est une performance de fabuliste : un héron et une renarde (d’apparence humaine cependant) partent sur la trace du récit lui-même au prétexte de la disparition programmée des poules. On ne peut résumer Savitzkaya, il faut le lire.

L’Exil vaut le voyage. Curieux titre pour le second roman dessiné de Dany Laferrière qui épouse cette mode mais à sa manière, plus sous forme de croquis que de véritable roman graphique. Le papier assez nettement hagiographique de Jean-Claude Raspiengeas rappelle la trajectoire de l’auteur obligé de fuir la dictature haïtienne et qui s’envole brusquement pour Montréal. « Laferrière compose le vade-mecum du déraciné curieux, avide de se faire une place parmi ce peuple de l’hiver perpétuel, ivre de ses étés. Un récit humoristique, faussement goguenard, sur son expérience de lecteur-flâneur, humeur d’atmosphères. » Il en souligne la justesse du ton qui est une des grandes qualités de l’écrivain, actuellement académicien français. (410 pages chez Grasset) Et dans la foulée, une deuxième publication celle d’un texte d’hommage à Québec déjà publiée par la maison Mémoire d’encrier québécoise et fondée par un Haïtien Rodney Saint-Eloi.