C’est Le Clézio qui reste la figure la plus populaire de cette semaine d’actualité littéraire appauvrie. Mais, si l’on voulait résumer rapidement la tendance de ces dernières semaines, on devrait également souligner le retour du livre comme objet et de la lecture comme sujet d’actualité. Ainsi le Figaro Littéraire nous dit comment ranger nos livres tandis que Libération interroge Tiphaine Samoyault à propos de la traduction et convoque Ann Blair l’historienne américaine à propos de la surabondance de livres dès la Renaissance. Des photographies de bibliothèques envahissent les pages de journaux comme autant de promesses de havres de paix.

 

Les Unes 

Le Clézio donc, en figure littéraire dans La Croix et dans le Figaro d’aujourd’hui. Figure car son visage occupe les unes, Le Clézio nous rappelait LibéL c’est aussi une « gueule ». Jean-Claude Raspiengeas émet cette curieuse proposition au sujet de son nouveau livre : « On ne sait, refermant ce livre s’il ne faudrait le reprendre par la fin ». On rappellera que le livre en contient deux, deux récits, l’un sur la Bretagne, l’autre sur l’enfance en temps de guerre ; ainsi l’enfant des années de guerre permettrait de remonter dans les souvenirs de « ce livre, herbier de sensations (qui) ramène en gerbes les scènes d’une vie simple. » Les souvenirs bretons viennent de cette enfance. Mais Le Clézio se défie de la nostalgie. Il a juste cherché, dit-il, « à rendre compte de la magie ancienne à travers le reflet illusoire du présent ».

Interview dans le Figaro qui complète le portrait d’un homme loin de la nostalgie, mêlé à l’actualité par des biais toujours un peu surprenants, conférencier à Wu-Han, très intéressé par la dynastie Tang et ses poètes, fasciné par le conte et le lien entre nature et fiction, membre démissionnaire du Renaudot à la suite de « l’affaire Matzneff » auquel il s’est toujours opposé. Par ailleurs, s’il considère que La peste est un bon livre en ces temps de dystopie, il nous conseille Defoe (j’écoute la chronique).

Le texte de la semaine pourrait bien être celui de l’interview accordée par Tiphaine Samoyaux à Frédérique Roussel de Libé. Celle-ci quitte la sphère « morale » de la traduction-trahison pour l’envisager sous l’angle d’un rapport douloureux ; « Elle a été un des instruments décisifs de toutes les entreprises coloniales. Traduire l’autre, c’est souvent le dominer en l’amenant de force vers soi, vers ses ordres sociaux, culturels et idéologiques. Il s’agit donc de « prendre en compte le potentiel politique inhérent au « traduire » ». D’où des considérations assez nouvelles sur la question : le traducteur, en ce qu’il est secondaire peut justement être sensible « aux problématiques du subalterne ou du mineur » c’est-à-dire qu’il peut se révéler réparateur par rapport aux errements des époques antérieures et de la TAO, la traduction automatique par ordinateur qui s’avère mortelle pour les langues les moins traduites.

 

Quoi de plus passionnant à lire en ces temps de confinement que des polars ? nous demande pour sa part, l’Huma. Le cahier livre ouvre donc sur le roman d’une consœur (rédac-chef à Libé), Alexandra Schwartzbrod, à la limite du polar et de la prospective politique avec un Israël coupé en deux, un mur qui isole côté Jérusalem une communauté refermée sur elle-même et peu tolérante, de l’autre, à Tel Aviv un monde qui continue à s’éprouver pluriel. Les lumières de Tel Aviv, Rivages noirs.

Sophie Joubert insiste pour sa part sur le roman de la québécoise Andrée A Michaud, qui se dirige sans faillir du côté de l’épouvante, mêlant lieu, malédiction, solitudes tourmentées : « Remarquablement construit, Tempêtes met en regard deux points de vue écrits à la première personne du singulier, dont la différence est accentuée par le contraste des saisons. » (Rivages/Noir). D’autres références complètent la richesse de ce cahier dont un nouvel opus d’Hannelore Cayre.

Enfin, l’épidémie en ouverture du monde des livres (restreint) ; Nicolas Weil envisage les relations entre le politique et la maladie qui non seulement tue mais aussi déstructure les liens sociaux : « Cet entrelacement du politique et de la maladie collective est également au cœur des Fiancés (1840 ; Folio, 1995), d’Alessandro Manzoni, célèbre récit de la peste de Milan (1630), qui met en lumière l’aveuglement et l’incompétence des autorités de la ville, face aux signes inquiétants qui se multiplient dans les villages d’alentour. »

 

Dans le pêle-mêle.

 

Alain Corbin nous joue encore un tour à sa façon. Après les sentiments, les arbres, l’herbe voici un livre qui s’attache à l’histoire de l’ignorance. Jean-Pierre Rioux souligne pour La Croix aussi bien la richesse de son exploration que les limites « On attendait de lui une pensée plus précise du rôle des revues et des sociétés savantes. » Dans Libél Dominique Kalifa, autre historien, auteur d’une très récente histoire des noms d’époque, retrace pour nous la méthode Corbin, prendre en compte les manques des époques précédentes, se focaliser sur l’époque de 1750 à 1900 environ pendant laquelle on fut assoiffé de savoirs nouveaux sur le monde : « la Terre, on le sent, a une histoire, encore balbutiante, qui n’est plus celle de la Genèse et du Déluge. » nous dit J-P Rioux, « Un nouveau moi émergeait » conclut D.Kalifa. Samedi dans le LibéL Henry James achevait le tour de ses unes. Avec non seulement le récit de ses voyages chez « Bouquin », mais aussi La princesse Casamassima, un récit tissé de lutte sociale et d’aristocratie. Enfin il est question de Pierre Pachet dans le Monde celui des œuvres regroupées dans un volume chez Pauvert, préfacé par Emmanuel Carrère. « Pachet plaçait une certaine idée de l’homme, de sa conscience, et cet appel qu’il nommait « le devoir d’être celui que l’on est ». » Un Pachet qui se méfiait de la vieillesse sans chercher à rester jeune pour autant.