Les Unes :

 Tandis que les prix occupent le devant de la scène non plus seulement littéraire mais aussi médiatique l’actualité continue de dérouler son calendrier avec, cette semaine un fort contingent d’auteurs américains.

 

Et ce soir la une du Monde des livres consacrée à Claudio Magris et Les ombres de Trieste (L’arpenteur) ; le dossier s’ouvre sur un hommage de Norman Manea qui rappelle les grandes lignes du livre de Magris : la découverte par un homme à la fois solitaire et obstiné des inscriptions laissés par les détenus du seul camp nazi d’Italie, une ancienne rizerie de Trieste. Il disparaît tragiquement avec ses carnets dans lesquels étaient consignés le nom des bourreaux de ce camp et de ceux qui collaborèrent avec eux.

Comme le dit Florence Noiville à propos de cette découverte qu’on appelle une « invention » mais aussi de l’invention romanesque dont l’auteur fait preuve puisqu’il ne s’agit pas d’un dossier : « Au fond, Magris n’est pas le seul inventeur dans ce récit. Ses personnages aussi sont des « inventeurs ». Sans parler du  lecteur…Chacun bâtit un récit où il trouve « sa » vérité. A ce stade fait remarquer Magris on ne parle plus de vérité objective ou historique, mais de la vérité intime et existentielle d’un individu. »

 

Encore un roman fleuve cette semaine et en une de Livres et Idées, celui de Douglas Kennedy La symphonie du hasard (Belfond). 362p. seulement mais c’est le tome 1 d’une trilogie qui devrait tourner autour de 1300p. « Dans cette symphonie, nous dit Stéphanie Janicot, l’Amérique peine à dépasser son racisme ancestral et à abandonner un sexisme tenace, ses étudiants dominants n’ont aucun problème pour régler leur compte à ceux qui ne leur ressemblent pas. »

Dans l’entretien que l’auteur accorde à la journaliste il reconnaît que le personnage féminin au centre de son œuvre est un double autobiographique, changer de sexe permet de prendre une certaine distance. Cette confidence en amène une autre sur sa mère dont le mari était « un sexiste redoutable » : « C’est sans doute l’expérience de son malheur qui m’a rendu aussi féministe. »

Même atmosphère de lecture tranquille et après le supplément de La Croix, celui du Figaro qui a demandé à Edouard Baer et Philippe Delerm de lire Modiano. Si le second reprend un peu l’idée convenue de la « séduction cotonneuse et presque palpable qu’exerce sur nous les pages de Modiano » le premier se révèle plus incisif qu’on ne l’aurait cru. « L’œuvre de Modiano ressemble un peu à l’enquête d’un détective qui sait qu’il ne résoudra jamais l’énigme et qui en est secrètement soulagé. Il sera toujours trop tard. Heureusement. » dit-il, mais il va plus loin « Modiano vient d’un monde secret d’où l’on voit sans être vu : c’est un enfant des coulisses. »

Après un numéro de week-end consacré à la correspondance amoureuse de Casarès et Camus Libération livres fait sa une sur Jean-Louis Chrétien et sa Fragilité (Minuit).

Son œuvre nous dit Robert Maggiori traite des « questions subtiles de la voix, de la promesse, de la joie, de l’appel ou de la fatigue. » Cette fois donc, c’est la fragilité, part importante de l’humain qu’il interroge, fragilité et non faiblesse, philosophe délicat et chrétien, l’auteur passe par Pline l’Ancien, Pascal, Mallarmé ou Schopenhauer « ses pages sur « la naissance comme miroir de la précarité », ou sur les ruines, « désert humain où les voix se sont tues » sont magnifiques, et illustrent l’idée que « nul ne peut se soustraire à la fragilité ».

La fragilité aussi mais cette fois à la source d’un combat pour regagner le terrain et résister aux forts, c’est celle de James Baldwin en une du Rendez-vous des livres, le cahier de l’Humanité.

Muriel Steinmetz rend hommage à cette « rayonnante figure d’écrivain noir exilé, apte à disséquer, depuis l’Europe, le corps social américain. » dont on publie quatre romans en même temps Si Beale street pouvait parler, Harlem Quartet chez Stock La conversion et La chambre de Giovanni chez Rivages. « En littérature comme en politique il refuse tout repli communautaire. C’est à partir d’une souffrance intime qu’il adopte une position de témoin extralucide sur la société actuelle. » souligne la critique de l’Huma.

 

Le Pêle-mêle du jour

Décidément la correspondance amoureuse de Camus et Casarès est en passe de devenir l’un des événements littéraires de l’automne, Macha Séry ne s’y trompe pas dans le Monde des livres : « Riche de 1312 pages, c’est une œuvre à deux cœurs et quatre mains, une œuvre symbiotique. Et les chants d’amour de Maria Casarès ne sont pas moins beaux et moins déchirants que ceux de son amant. »

Entrée dans l’actualité et la carrière des lettres pour Brit Bennett, avec Le cœur battant de nos mères, « premier roman d’une grande maturité qui marque l’émergence d’une nouvelle voix de la littérature américaine avec laquelle il faudra désormais compter » nous dit Sophie Joubert du RVDL ; ce récit de la vie d’une jeune femme qui part à l’université après avoir avorté et dont la mère s’est suicidée pourrait être sinistre, mais non, Françoise Dargent du Figlitt assure « Un regard qui traîne partout et une voix qui commente sans jamais entraver la fluidité de l’histoire.

Ce chœur (il s’agit des vieilles femmes de la communauté toujours promptes à juger) donne sa tonalité lyrique à un roman qui ausculte la fluctuation des sentiments chez une toute jeune femme bien décidée à s’émanciper. » Mettre d’accord l’Huma et le Figlitt c’est déjà une assez belle performance (Autrement).

C’est la semaine des Américains, après LibéL, le Figlitt souligne l’importance de Joseph Mitchell à l’occasion de la publication de sa biographie par les éditions du Sous-sol et de son texte phare Le fond du port.

Après le Pérou et le fils du général, Cuba et Le fils du héros de Karla Suarez sauf qu’ici il s’agit d’un roman (Métailiè). Stéphanie Janicot souligne « Karla Suarez a une manière singulière de creuser le particulier pour embrasser le général. A travers l’intimité du d’Ernesto, elle explore l’âme du peuple cubain, son endurance face à une certaine absurdité. » Le narrateur, le fils du héros, donc cherche les traces de son père parti et disparu en Angola.

Les romans de Jean-Marie Blas de Roblès et Lydie Salvayre continuent également leur carrière avec leurs titres lyriques Dans l’épaisseur de la chair et Tout homme est une nuit.

 

Le goût des critiques : méli-mélo de douceur et d’acidité.

Souvenirs dormants de Patrick Modiano fait le bonheur de jean-Claude Lebrun Quintessence titre-t-il. « Tout Modiano se trouve rassemblé dans ce mince volume en lequel noms de personnes et de lieux en même temps dessinent une véritable cartographie et agissent telle une masse magnétique pour en attirer « de nouveaux à la surface ». » C’est la semaine Modiano.

Etienne de Montety s’étonne « Pourquoi le cénotaphe de Newton de Dominique Pagnier a-t-il rencontré un si faible écho depuis sa sortie en librairie ? » Il a quand même eu quelques papiers mais rien à la dimension de cette œuvre qu’il défend mais difficile à raconter : « On s’échinerait à résumer ce roman. Les personnages y sont aussi nombreux qu’une mémoire peut en conserver. » Celle de Patrick Modiano par exemple ? Le critique répond de lui-même à cette question « Son récit à des accents de Modiano, mais d’un Modiano devenu proustien. » Tiens donc. Le récit de 592 pages se déroule dans une Europe centrale en quête de modernité au sortir de la guerre.

Pour Claro cette semaine, sorcières, proximité d’Halloween oblige. La dévoration des fées de Catherine Lalonde, un récit fée lui-même tant, à en croire le critique il métamorphose la langue. Mathieu Lindon évoquait quant à lui dès samedi dans LibéL une métamorphose de la langue avec ce curieux recueil de nouvelles de l’écrivaine suisse Régina Ullmann  La route de campagne. « Elle raconte presque en permanence la souffrance et la solitude, d’une manière qu’on pourrait dire abstraite si au contraire ce n’était pas tout à coup comme si la vie et la métaphysique poussaient dans les arbres et q u’il n’y avait qu’à attendre qu’elles soient mûres pour les recueillir. » Style, langue et sujets âpres mais diablement intéressants.

Index des titres parus dans la presse de cette semaine :

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