Entre sciences humaines et découvertes littéraire la semaine fait la promotion de sujets et d’écrivains moins en prise directe avec  ce qu’il est convenu d’appeler la rentrée littéraire. A notre tour de les découvrir.

La chronique audio…

Cette semaine l’actualité des idées se fait plus centrale dans les  suppléments littéraires de nos quotidiens. Qu’on en juge d’emblée à travers les une !  j’écoute la suite.

 

Les Unes.

Pour la Croix  c’est L’Histoire à fleur de peau, à propos de la parution des deux tomes de l’Histoire des émotions au Seuil. Alain Corbin et son équipe continuent d’occuper le devant de scène avec un travail dont Elodie Maurot retrace la lente mise en œuvre, de Lucien Fèvre à Jean Delumeau ; elle y relève les manifestations de deuil et le travail sur les émotions à la Révolution ou face à Dieu dont Alain Corbin note qu’il « s’affaisse ». Les émotions, il en est également question en Une du MDL, avec l’article enthousiaste que consacre Jean Birnbaum au livre de Marielle Macé Styles (Gallimard). Qu’est-ce la vie et ses différentes incarnations en chacun de nous ; voici peu ou prou le champ de l’auteur qui propose d’aller chercher dans la littérature les styles de chacun en évitant soigneusement l’idée d’un modèle universel comme on pourrait le faire pour les civilisations par exemple. La seule subversion aujourd’hui est de ne rien acheter, c’est Le rendez-vous des livres qui nous le dit (l’Huma) : pas sûr que les  libraires tombent d’accord avec Emmanuel Adely. Son nouveau livre, Je paie dit la mémoire des tickets de caisse, la litanie des achats qui déroulent comme un journal à la Perec. Un entretien avec l’auteur met en relief sa démarche : « je paie est une forme  d’épopée qui dit à la fois l’intime et tout le bruit autour. » quitte à frôler l’obsession : « Je paie est devenue une autobiographie à vie, je n’arrêterais jamais ». (Inculte)

Deux unes comme d’habitude pour LibéL ; ce jeudi Charlotte Delbo retrouve le chemin de la postérité grâce au travail de Ghislaine Dunant qui lui consacre une biographie chez Grasset, Charlotte Delbo. La vie retrouvée. (le sous-titre est toujours important dans une biographie) ; Claire Devarrieux retrace le destin de cette résistante déportée à Auschwitz et qui a écrit le premier récit consacré à cette odyssée de l’innommable. L’autre une est pour David Weber pour En vie (Piranha). Pour le Figlitt, la grande question de la semaine est pour savoir si la littérature est misogyne. Alors quoi ? Débat entre Françoise Chandernagor qui pencherait pour l’affirmative et Suzanne Julliard qui ne dénonce pas cet état de fait et qui va même plus loin en tant qu’ancienne professeure de lettres : « jusqu’aux dernières années du lycée, les filles avaient plus de mots que les garçons. Mais si nous admettons que cette précocité peut engendrer une supériorité dans le maniement de la langue, elle n’engage en rien l’avenir littéraire des filles. J’ai eu des élèves filles très douées en poésie comme en littérature mais après elles s’effacent. » conclusion pour réussir en littérature il faut être tétu(e).

Les auteurs de la rentrée…

Il y en a toujours, on notera les derniers articles en faveur de l’une ou de l’autre, Véronique Ovaldé dans L&I pour souligner qu’elle poursuit dans sa voie de femme et de conteuse, mais aussi Laurent Gaudé dans le Figaro, « un bon livre ne se laisse pas enfermer dans une catégorie » nous dit Mohammed Aïssaoui. Là encore ce sont les sciences humaines qui requièrent notre attention et avant tout l’Histoire  avec L’Europe en enfer de Ian Kershaw (Seuil). Frédéric Mounier pour La Croix trace le plan d’un livre assez noir qui résonne avec notre époque pour expliquer l’effondrement moral de l’Europe des années 20 tout en notant que des progrès ont été accomplis. Tandis qu’Olivier Wieviorka retient un aspect critique : si le livre de Kershaw couvre avec érudition l’objet de son étude « il manque surtout une vision puissante ». Fatigue d’historien ?

Portraits et débats. En dehors du débat à la une du figlitt et du portrait d’Emmanuel Adely dans l’Huma, signalons celui de Tom  Nissley bibliothécaire à Seattle là encore dans le Figlitt (Almanach en dernière page, coédition Vuibert le Figaro).Et surtout le portrait d’Elfriede Jelinek, portait évoqué puisqu’elle ne veut aucun contact depuis son Nobel (on notera, par jeu, que la photographie du MDL pourrait suggérer que sa vie soit un jour incarnée par Emmanuelle Devos à l’écran.) « Conformément à sa volonté d’effacement, les propos que nous avons pu échanger avec Elfriede Jelinek ne seront pas cités, mais disséminés et incorporés au texte de cet article. » Ce qui demeure intact nous dit Christine Lecerf c’est sa colère contre « la violence faite aux femmes, les structures inviolables de leur domination sociale, politique et artistique, l’asservissement du corps, le mépris de la pensée, l’interdit de la création, rien ne change sur ce terrain-là et ça rend dingue. » En plus c’est une réponse assez claire au débat sur littérature et misogynie. A noter, toujours dans le MDL, le portrait du libraire Tonnet, de Pau, depuis 1797, attachant.

 

Du côté des chroniqueurs

Bruno Frappat  range cette semaine Sylvain Tesson dans la catégorie des grands arpenteurs contemporains  Flaubert et Lacarrière en tête « il est lyrique Tesson, quand il ressent le bucolique, profond quand il brode en chemin sur la condition humaine et sur le passé du pays, il est sarcastique quand il s’amuse ou s’énerve de la pseudo-obligation de modernité. » Bref une promenade littéraire d’une paire d’heures «  Loin de tout, près de l’essentiel qui est le simple fait d’exister. »  Pour Mathieu Lindon, samedi c’était bande dessinée ; d’un côté Tardi et Le dernier assaut (Casterman), de l’autre Vuillemin qui parodie le premier dans Lemonde magique de la bande dessinée (Hugo Dessinge). Recueil de chroniques dans lesquelles il redessine l’ensemble de la production BD… un travail critique en somme. Pour Eric Chevillard, l’écrivain de la semaine c’est Ben Lerner dont le nouveau roman 10 :04 explore les incidence de la réalité sur la création littéraire il a « cela de fascinant que tout ce qui arrive au narrateur  trouve immédiatement sa place dans l’organisation du livre. (L’Olivier) Le dernier Quignard intéresse Etienne de Montety, pourquoi ? « Il nous fait assister à la naissance d’une entité nouvelle, la France, et surtout du dialecte qui lui est rattaché : appelons-le le français. » Les serments de Strasbourg, et les premiers pas hésitant de cette langue en seront donc le centre. Une phrase frappe particulièrement notre critique et il y a de quoi « une étrange brume se lève sur leurs lèvres, on appelle ça le français. » Il ne faut jamais oublier Quignard. (Les larmes, Grasset)