Cette semaine les auteurs à la une viennent de loin, parfois même de pays dont il est difficile de s’échapper, voire d’époques rudes mais solidaires envers les émigrés. (écouter le teaser audio).
Les unes.
Kim Thuy, dont le roman a déjà donné lieu à quelques papiers critiques élogieux fait la une de La Croix cette semaine. « Le poids de l’exil et la mémoire du passé » titre le quotidien (Vi, Liana Levy) . Elle partage cependant l’article que lui consacre Jean-Claude Raspiengeas avec Doan Buy (Le silence de mon père, L’Iconoclaste) ; filles d’exilés vietnamiens, les deux femmes ne vivent pas la même histoire. Bien sûr au départ, comme le dit Kim Thuy, « Nous ne fuyions pas un pays, mais la mort ». Accueillie au Canada, elle connaît une vie épanouie. Doan Bui, journaliste, reste pour sa part sur un sentiment mitigé, si elle s’insère dans la culture française elle regrette en même temps d’abandonner sa culture d’origine.
Des portraits aussi en une. « Padura le Cuba du siècle », titre le Libé livres qui s’offre un coup d’œil sur la littérature cubaine avec Leonardo Padura comme témoin historique dans un entretien avec Philippe Lançon, lucide : « de grands événements échappent au roman, par hasard, par nécessité, ils n’ont peut-être pas besoin de lui pour vivre et pour être oubliés ». « Le glamour populaire plante son drapeau dans l’île-où-il-faut-aller » poursuit le critique, qui fait le point sur la carrière de l’auteur et les sujets absents de la littérature cubaine, comme l’Angola et l’évolution de l’île où l’argent commence à arriver tandis que la bureaucratie ne se décide pas à partir. Ce qui désirait arriver chez Métailié, c’est le recueil de Padura.
Le Mexique terre d’avenir poétique pour l’Huma qui, comme à son habitude, présente un portrait en ouverture : celui de Philippe Ollé la Prune qui participe au Marché de la poésie, ce week-end à Paris. « Au XXe siècle il est clair qu’il y a une poésie chilienne qui ne ressemble pas à la poésie argentine, ni à la poésie mexicaine : cette dernière s’est toujours caractérisée par une vaste culture une grande qualité technique et beaucoup de finesse dans l’écriture » dit-il il, préfaçant l’anthologie de Jean-Luc Lacarrière et Joachim Joannie Hoquenguem au Castor astral Mexico 20 la nouvelle poésie mexicaine. Mexico 20 ? parce que 20 poètes différents. Enfin, Roald Dahl fait la une du figaro, il faut dire que c’est un Roald dahl inhabituel, aventurier, pilote d’avion accidenté, un romancier unique (un seul roman…de fornication) et vraisemblablement espion qui nous est présenté dans ce cahier livre.
Ils continuent leur carrière dans la presse, le livre de Velibor Colic Manuel d’exil (Gallimard) est lui aussi consacré à l’exil avec un humour désespéré, typique des pays de l’Est dira-t-on (sans oublier que c’est là le seul recul laissé au réfugié en général) : « Tout réfugié assure-t-il, veut se fondre dans la masse, « faire comme tout le monde » ». On notera qu’il se définit comme PDF (Plusieurs domiciles fixes ; le Figlitt la semaine dernière). Le Goncourt du premier roman dont Antoine Perraud rappelle dans la Croix que son auteur a refusé le prix, De nos frères blessés, continue aussi sa carrière : « Joseph Andras niche son roman dans les anfractuosités des discours dominants qui plombent la part de vérité des êtres », rappelons que le héros Fernand Iveton « qui rêve d’une fraternité bigarrée qui supplanterait le développement séparé » pose des bombes en insistant pour qu’elles ne tuent personne ; drôle de terroriste aurait-on envie de dire aujourd’hui. Sans oublier Jean Ray, pour l’ensemble de son œuvre consacrée à la peur, l’atmosphère inquiétante des villes, mais aussi du golf ou du Whisky. Sous l’influence anglaise fin de siècle nous dit LibéL et Frédérique Roussel.
Côté chroniqueurs : La semaine dernière, François Taillandier dans sa rubrique Ecouter les mots (l’Humanité) traitait du mot désaccord pour dire tout le mal qu’il pensait du chantage CGT vis-à-vis de la presse (si,si, dans l’Huma). Cette semaine il dit tout le mal qu’il pense de l’expression bon déroulement utilisée par François Hollande « unanimation des foules devant le spectacle programmé, sous surveillance policière avec caméras, de grands couillons tapant dans les balles, voilà ce que propose à la France celui qui n’a jamais craint de se poser en héritier Jean Jaurès. Mais quelle trahison ! » Bien, il est toujours en colère. Etienne de Montety prend fait et cause pour Monsieur l’écrivain de Joachim Zelter : « Monsieur l’écrivain est un conte cruel sur la littérature comme sur l’écriture. Sur la vérité, la sincérité, le rapport au succès, autant de sujets qui ne cessent de hanter la Républiquue des lettres depuis la nuit des temps. ». Le roman raconte comment un écrivain inconnu réalise son ascension aux dépends d’un tenant de ladite république, qui constate avec horreur que les vases de la réussite communiquent. A mesure que son poulain vole vers la reconnaissance, ses propres ventes s’effondrent. Une fable dont l’argument donne néanmoins une impression de déjà vu.
C’est la poésie qui inspire Éric Chevillard, plus précisément surréaliste, de 1947 La paupière philosophale de Ghérasim Luca (José Corti inédit), « ne fait pas fi du sens mais il veut le voir mettre naître comme une fleur inattendue dont on n’aurait pas planté la graine » dit le chroniqueur. Et aussi « Sa poésie dégringole sur la page comme une prodigieuse cascade des faits». Bref, un grand écrivain, dont on aimera par dessus tout, la voix.
Mathieu Lindon, samedi, signait une chronique consacrée à la NRF (le numéro de mai 2016) essentiellement pour un article consacré à Bernanos l’écrivain peu argenté est dédaigné dans un premier temps par Gallimard l’aspect financier est au centre de cette chronique et montre aussi comment il n’est pas très par Gallimard en général.
Une semaine profus et originale qui laisse à chacun des critiques l’occasion de montrer l’étendue de ses goûts.