Une littérature au goût de découverte autant que de surprise occupe les pages littéraires de vos quotidiens cette semaine. La surprise, par exemple, avec le Solomon Gursky de l’auteur juif canadien Mordecaï Richler. Ce dernier fait la une du cahier livre de Libération et de celui du Monde (écouter la suite sur le teaser audio…)

 

Les Unes

 

Une semaine plutôt…française, avec des auteurs parfois éloignés de l’actualité et doublement dans le temps et dans l’espace, comme Pierre Bergounioux qui vit hors de Paris (non loin tout de même) et qui, outre l’écriture de son quotidien, Carnet de notes (Verdier, quatrième volume) suivi par ceux qui s’intéressent à la littérature profondément humaine, sculpte également la ferraille. C’est ce que rapporte Claire Devarrieux de sa lecture qu’elle poursuit de volume en volume comme on suivrait un feuilleton, personnages apparaissant, disparaissant (mère), riant (sa petite fille), quotidien épuré ; « mais les périodes électorales ne le retiennent pas, l’actualité étrangère est absente. Pierre Bergounioux fait entrer peu de personnages politiques dans ses pages. ».

 

Beaucoup plus éloigné  (102 ans, le  Limousin), Georges Emmanuel Clancier donne un texte de mémoires au titre un brin ironique Le temps d’apprendre à vivre (Albin Michel). Mais la période décrite dans ses mémoires , les années 1935 à 1947, est d’abord une période d’affrontement en de lutte pour la liberté de la littérature au sein de revues qui continuent à vivre malgré tout, comme Fontaine  dont Clancier est le collecteur clandestin chargé d’approvisionner en textes d’auteurs eux-mêmes résistants la revue repliée à Alger.

 

Le Figaro consacre pour sa part une et dossier de témoignages à Emmanuel Carrère auteur plus jeune certes, mais qui se retourne déjà sur son passé de chroniqueur et d’écrivain, le passé d’un homme qui a croisé Limonov, Jean-Claude Romand et le tsunami de 2004 notamment, tous matière à littérature. Il est avantageux d’avoir où aller (POL)

 

Pour le Monde des livres l’auteur de la semaine est juif canadien Mordecaï Richler nous dit Nicolas Weil rapporte un siècle de l’histoire familiale à travers les recherches d’un de ses membres (notamment). « De cette dynastie de parvenus et de flamboyants parias, Moses Berger, auteur sans grand succès, s’entête à percer le mystère en s’attachant à Solomon Gursky – le cadet bibliquement préféré à Bernard, l’aîné –, que l’on croit mort dans un accident d’avion. » Pour Johanna Luyssen du LibéL c’est la personnalité du personnage central des débuts de l’oeuvre, un millénariste juif du nom d’Ephraïm Gursky, alternativement vendeur d’armes, gourou, « de tous les mauvais coups » en somme, qui retient notre attention et nous permet d’entrer dans le roman. Ce Canadien anglophone qui dénonça les abus et les ridicules des nationalistes québécois a mis quelque temps à voir son œuvre traduite , ici ce sont les Editions du Sous-sol Le Boréal qui s’en occupent. Mais, nous rapporte Nicolas Weil dans le portrait qu’il consacre à ce curieux auteur parti en Europe, vivant mal à l’aise en Angleterre avec une première femme française, il réserve du reste ses plus vives attaques aux « siens », les juifs de Montréal, avec lesquels il a rompu toutes les attaches communautaires. Ceux qui ne savent pas percevoir la tendresse cachée sous le persiflage les ont bien sûr rapportée à la «haine de soi ».

 

 

Côté chroniqueurs

 

Etienne de Montety rend hommage à Outre-Terre de Jean-Paul Kauffmann et le périple qu’il nous offre à Eylau, bataille napoléonienne dont il sait tout. Est-ce pour le lieu, est-ce pour l’évocation de la découverte qu’il mène, pour une fois, en famille ? Non, c’est pour la figure de Chabert, le colonel perdu auquel Balzac rend sa dignité mais dont la vie a été à jamais laminée par la bataille. Résultat nous dit le critique : « une mélancolie qui nous prend ». (Editions des Equateurs). Le livre fait également l’objet d’un papier de Jean-Claude Raspiengeas qui évoque avec un certain humour « l’escapade frigorifique qui a consisté pour la famille Kauffmann à parcourir une enclave russe à la recherche de traces de la bataille. L’auteur ? Il « se révèle polémologue, stratège, historien, reporter d’hier et d’aujourd’hui, chirurgien qui ausculte les replis de l’âme ». Il apparaît également comme un Chabert qui aurait finalement digéré un peu de sons sort malgré la fracture totale qui nous sépare du passé.

 

Ce sont les Trois jours avec Norman Jail (Gallimard) qui séduisent Bruno Frappat cette semaine ; il s’agit du roman d’un ex-confrère journaliste certes mais, nous dit-il, surtout d’une oeuvre qui traite de la folie de l’écriture. Un vieil écrivain inconnu dans son propre village amasse une forêt de papiers en vue d’une publication sans cesse remise et s’entretient avec une jeune étudiante avec « un rien de cuistrerie exhibitionniste (…) c’est d’une véritable manie au sens psychiatrique qu’il s’agit en apparence jusqu’à ce que l’on s’avise, sur les pas de la jeune enquêtrice qu’il y a des raisons masquées, indicibles, à la férocité de la passion du bonhomme.

 

Eric Chevillard a joué à se perdre avec le roman de Catherine Lacey Personne ne disparaît (Actes Sud). « Quitte à n’être pas de ce monde autant aller voir ailleurs » nous dit le critique qui suit le personnage dans son voyage en auto-stop (qu’il assimile par jeu à l’autofiction). Mathieu Lindon a pour sa part choisi Le frère allemand de Chico Buarque, car le musicien se double en effet d’un romancier, fils d’un intellectuel à la bibliothèque borgésienne, en correspondance avec les auteurs d’Europe centrale. De là à s’imaginer un frère allemand à partir d’une lettre laissée par le père il n’y a qu’un demi pas. Le livre tout entier s’assimile à une réflexion sur la littérature.