Saison 2015-2016 Numéro 18


C’est à nouveau la rentrée littéraire ! Celle de janvier, bien sûr qui voit des auteurs souvent confirmés lancer leur roman dans des eaux plus calmes que celles de septembre. Elle n’est cependant pas toujours de tout repos, au moins deux auteurs le découvrent, cette semaine.

Le TRI dans les TITRES

En abrégé Figlitt : le Figaro littéraire, LibéL le cahier livres de Libération, MDL Le Monde des livres.

Les Vedettes

Edouard Louis relate dans Histoire de la violence (Seuil), une agression qui le conduit à faire une déposition mais plus celle-ci avance, moins il reconnaît les faits qu’il décrit, il la doublera donc de son roman. Et, une fois n’est pas coutume, la Une du Monde des livres et la chronique d’Etienne de Montety en première page du Figaro littéraire se répondent ; se répondent comme un mur peut répondre à la balle lancée très fort contre lui. Ainsi Raphaëlle Leyris évoque ce récit, du « transfuge de classe » comme « une construction obsessionnelle, d’une grande subtilité et voilà pourquoi le récit « dans l’ordre » ne saurait faire advenir la vérité, voilà pourquoi celle-ci exige la plasticité du roman.» Noël aux marrons pour Eddy Bellegueule titre de son côté (très) méchamment Etienne de Montety : et de développer férocement comme à son habitude… Édouard Louis est aimé du petit milieu parisien (« boboland »), or l’argument de son livre est mince et le style vide ; lorsque la sœur du héros raconte sa part d’histoire par exemple, le critique n’aime pas : « Chez cet esprit simple, on ne raconte pas, on ne se confie pas, on ne répond pas, on « dit », jusqu’à dix fois dans une seule page.» Conclusion sans équivoque, *« Les zones de silence c’est ce qu’on a préféré dans ce livre plein de désordre et de jargon.» A quoi Raphaëlle Leyris répond «Edouard Louis esquive les positions désignées par d’autres, mais confirme celle, centrale qu’il est en train de créer sur la scène littéraire française.» Au lecteur donc de se faire un avis.

Ça continue…

L’exercice de dézingage critique, Eric Chevillard le pratique également, de temps à autre, en période de rentrée ; cette fois c’est au tour d’Olivier Adam d’en faire les frais. Avec son nouvel opus, La renverse, celui-ci annonce mélanger franchement réel et fiction, contrairement à l’usage qui proclame leur disjonction.

Eric Chevillard n’est pas d’accord avec cette renverse promise mais non acquittée « le fantasme et l’invention revendiqués en ouverture n’accouchent que de quelques scènes à charge contre la famille castratrice, la comédie sociale et le cynisme politiquer. La contribution de l’auteur sur ces questions reste assez mince », et l’écriture direz-vous ? « extrêmement maladroite », par exemple (c’est pire quand il y a un exemple) « il faut endurer des musiques de ce genre « Ce qui déjà n’existait qu’en tant qu’orée.» Cantancoré ? Quel est le toucan qui fait tout ce boucan ? Le critique ne parviendra jamais à sortir de ce « brouillard qui gagne peu à peu et recouvre finalement le roman de part en part. » Il y a bien longtemps qu’en politique on ne se fait plus aussi mal les zunzozautres. Des Unes plus sages.

Celle du Figlitt, par exemple, qui s’intéresse à Miterrand écrivain sans lui en contester le titre. Bien entendu Eric Roussel souligne les failles et les facilités de style dont il abusa en politique tandis que Sébastien Lapaque ne peut s’empêcher d’établir une comparaison stylistique négative en défaveur de Mazarine. Le cahier livres de Libé samedi a fixé l’autre tendance de la semaine, la présence des sociologues. En affichant Bourdieu à la Une et le premier volume de sa Sociologie générale (Raison d’agir/Seuil), Robert Maggiori présentait la mise en perspective du sociologue sans le réduire à sa seule discipline et en soulignant comment celui-ci a, au contraire, sans cesse ouvert le champ. Champ qu’il a également contribué à modifier radicalement en s’interrogeant sur « l’économie générale des pratiques ». La sociologie sert en effet d’abord à comprendre comment marchent les sociétés, non? Certains perdent ce rôle de vue , les politiques notamment qui crient haro sur le sociologisme qui, à les écouter ne serait qu’une variante du droitdel’hommisme ; dans le MDL, Bernard Lahire, l’une des figures centrales de la sociologie contemporaine leur répond et remet quelques pendules à l’heure : « refuser les explications (de la sociologie) constitue une incroyable régression obscurantiste par rapport aux valeurs fondamentales que porte l’école ».

Enfin, pas de rentrée sans découvertes même si celles-ci demeurent timides. Sont ainsi apparus les mémoires de Frédéricic Tristan (Une vie au péril de l’écriture, L’esprit du temps) qui enthousiasment jean-Didier Wagneur (LibéL) ; Sylvie Germain, « originalité merveilleuse » pour Alice Ferney réussit un roman A la table des hommes, dans lequel l’animal tient le premier rôle, un étrange animal qui se convertit à la communauté humaine (Albin Michel) ; l’article tout entier est un hommage qui n’entame en rien le capital surprise du roman (Figlitt). Du côté de la littérature «étrangère», on relèvera que Raphaëlle Leyris pour le MDL attire notre attention sur le roman intitulé Tous les vivants (L’Olivier), de l’écrivaine américaine Jayne Anne-Phillips, « atmosphère de conte » pour ce texte qui fait revivre des meurtres en séries. Ceux-ci sont plus l’oeuvre d’un Landru que d’un Hannibal Lecter puisqu’ils visent des femmes seules dans la petite ville de Quiet Dell. On lirait ce livre sur la seule promesse que ce fait divers a servi de support au chef-d’œuvre de La nuit du chasseur, mais aussi parce que ce n’est absolument pas le champ habituel de l’auteur.

Enfin Figlitt et MDL signalent un possible grand livre de la rentrée avec La route étroite vers le nord lointain (Actes Sud) ; ce roman de Richard Flanagan qui obtint le Booker Prize 2014 évoque le pont de la rivière Kwaï. Il décrit en effet les camps de prisonniers anglo-saxons qui édifièrent pour les japonais une ligne de chemin de fer dans la jungle entre le Siam et la Birmanie. Mais il va bien au-delà de l’évocation et de l’héroïsme hollywoodien, en interrogeant l’humanité et toutes les variantes de son absence chez les bourreaux comme chez les victimes