Chronique 2025-19-20
Revue de presse du 30 août au 12 septembre 2025
Tableau des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
correction Cécile Lorgeoux
mise en ligne Jacques Chaumet
dessins Jean-Marc Vulbeau
Un peu en retard mais ce n’est pas grave tant les unes et les noms sont interchangeables en cette quinzaine : Carrère, Minard, Appanah, Vazquez et Mauvignier déjà récompensés même si moins de unes. D’autres noms commencent cependant à occuper l’actualité, ou à confirmer leur présence légèrement en retrait comme Jakuta Alikavazovic, Catherine Millet, Justine Lévy, Anne Berest, autrement dit les auteurs et autrices d’une rentrée axée sur les têtes de séries comme on dit au tennis.
Les Unes
C’est pratiquement devenu un jeu de chaises musicales, Emmanuel Carrère se déplace de une en une (et gagne au jeu), LibéS (06/09), Livres et Idées (04/09) et Le Figaro littéraire (04/09) ces deux dernières semaines à tel point qu’on a l’impression que c’est lui l’ordonnateur du thème de la mère pour la rentrée tout entière. Les critiques multiplient les angles, sans pour autant s’éloigner de la figure d’Hélène Carrère d’Encausse. Frédérique Fanchette fait ainsi de Kolkhoze le match retour d’Un roman russe tandis que Christophe Henning évoque l’amour filial. Et partout les mêmes thèmes, généalogie, aristocratie bornée, et stoïcisme néanmoins au moment de sa disparition.
Avec le Rendez-vous des livres, troisième une pour Laura Vazquez et Muriel Steinmetz de souligner que la poétesse revient avec un roman d’apprentissage. C’est-à-dire qu’elle en épouse les codes en torpillant la narration. Curieux texte en effet qui saute d’un thème à l’autre, quitter ses parents, rencontrer une Pythie obèse, se rendre dans une maison où les gens vont se « dissoudre ». Pas vraiment d’histoire au sens péripéties, mais un dialogue, insiste la critique « avec les structures mêmes du texte ».
Céline Minard n’est pas très éloignée (LibéS 30/08) elle qui revendique l’utilisation absolue de l’imaginaire : « Cette rentrée littéraire, avec tous ces récits familiaux, semble dire : surtout ne vous servez pas de ce muscle car il ouvre à ce qui n’est pas notre présent. Selon moi il y a vraiment une volonté politique intégrée de ne pas bouger de ce monde-là, de rester là avec sa famille, ses ascendants. » Elle qui invente de nouvelles formes de vie gravitant autour d’une rivière, des êtres pas nécessairement déterminés dans l’histoire. Ce qu’elle cherche, être lue ; « Je me suis dit assez vite que si Tovaangar était un film ce serait un dessin animé. Je me suis dit aussi que personne ne pouvait me dire qu’il était difficile à lire ».
Après plusieurs articles en pages internes, Nathacha Appanah décroche la une du Rendez-vous des livres (l’Huma) et un entretien avec Muriel Steinmetz. Elle y développe plus que d’habitude et cite une de ses sources comme Féminicides de Christelle Taraud et insiste sur la volonté de destruction du corps de la femme (sa cousine a été volontairement écrasée par son mari). Elle revient également sur son premier chapitre dans lequel les assassins sont condamnés au silence alors que, d’ordinaire, ils ne cessent de parler tandis que leurs victimes ne peuvent plus le faire. « Au moment du meurtre dit-elle, les maris de Chahinez et d’Emma ne se contentent pas de les tuer, ils les surtuent, les brûlent, les écrasent, les broient ».
Bien présent dans cette rentrée quoiqu’en arrière-plan par rapport aux poids lourds, Antoine Wauters est à la une du Monde des livres (12/09). Il livre lui aussi un roman sur la famille et qui traite essentiellement de la recherche d’identité pour un personnage qui ignore pas mal d’éléments constitutifs de sa propre vie : « Comment trouver sa voie et construire sa vie quand on a été dépossédé de son histoire » s’interroge Amaury da Cunha, le critique. Qui souligne également les tragédies qui parsèment la vie du personnage, mais insiste aussi sur le style : « on s’est d’abord laissé emporter par la force du texte et ses images éblouissantes ».
La semaine précédente (05/09), c’est Laurent Mauvignier qui recevait le prix du Monde des livres pour La Maison vide, et sa ribambelle de personnages familiaux des arrière-grands-parents à lui-même en passant par chaque génération de femmes essentiellement. « J’avais besoin de passer par le présent dit Mauvignier, pour remonter dans l’histoire. Il me fallait quelque chose d’ancré, à partir de quoi je puisse rejoindre les lecteurs. Comment trouver la porte d’entrée d’une période qui vous échappe ? » Il évoque en filigrane le suicide de son père dont il dégage presque l’ascendance inéluctable.
Du coup la palette s’étend un peu, il y certes les mères mais aussi de véritables récits de famille et un père, celui d’Anne Berest qui poursuit la généalogie et le roman familial. Elle part cette fois dans le Léon en Bretagne Nord sur les traces de la lignée paternelle en remontant du père (polytechnicien) au grand-père (maire de Brest, slogan « Berest pour Brest ») et à l’arrière-grand-père (fondateur de la première coopérative agricole).
Tout ceci se trouve repris dans un numéro du Figaro littéraire qui propose cinq autrices et auteurs, les noms de la rentrée : Justine Lévy, Catherine Millet, Jakuta Alikavazovic, Régis Jauffret et Raphaël Enthoven. Pas sûr néanmoins que le titre de une « Des écrivains en mal de mère » et celui du dossier « Allô maman bobo ! » rendent exactement compte des textes proposés ; Lévy, mère toxicomane morte d’un cancer, Millet, mère défenestrée, Alikavazovic, mère poète yougoslave devenue silencieuse en exil, Jauffret mère manipulatrice, etc.
Et, en définitive, on ira du côté de Joanna Russ dont le texte, Comment torpiller l’écriture des femmes est à présent traduit en français (42 ans plus tard), texte qui démontre que l’écriture des femmes, dans le monde anglo-saxon, a systématiquement été freinée à l’aide d’une série d’arguments masculins cités par Frédérique Fanchette dans son article : « Elle ne l’a pas écrit. Elle l’a écrit mais elle n’aurait pas dû. Elle l’a écrit mais regardez sur quoi elle écrit… (…) Elle l’a écrit mais elle n’en a écrit qu’un seul. Elle l’a écrit mais elle fait exception à la règle ».
Cette semaine quelques-unes de nos autrices soulignent une évolution certaine dans ce domaine.
Nathacha Appana
Index des articles parus dans la presse du 30 août au 5 septembre (cliquer pour télécharger)
Index des articles parus dans la presse du 6 au 12 septembre (cliquer pour télécharger)
Tableau de la semaine du 3 août au 5 septembre
Tableau de la semaine du 6 septembre au 12 septembre