Chronique 2025-21
Revue de presse du 13 au 19 septembre 2025
Tableau des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins Jean-Marc Vulbeau
correction Cécile Lorgeoux
mise en ligne Jacques Chaumet
Les Unes
L’actualité commence à s’effacer pour ce qui concerne ses têtes de liste. Des écrivains « étrangers » apparaissent et marquent à leur tour ce mois de septembre, comme Alan Hollinghurst ou Percival Everett. Restent néanmoins quelques pages pour les auteurs de la rentrée moins en premier plan mais promus par les critiques.
« Cent soixante ans après l’abolition de l’esclavage et à l’heure de la réécriture de l’histoire raciale aux Etats-Unis, James, le véritable nom de ce Jim qui mérite plus qu’un diminutif, fait œuvre de réparation » nous dit Marianne Meunier à la une de Livres et Idées. L’auteur, Percival Everett reprend le personnage de Jim qui parle petit nègre pour dissimuler le fait qu’il a appris à s’exprimer dans la langue des blancs… et à lire Voltaire. Roman du retournement par rapport à son original Huckleberry Finn, puisqu’il s’appuie sur le personnage de l’esclave, le roman constitue aussi une réussite sur le plan de sa mise en oeuvre : « La course de Jim vers les Etats anti esclavagistes donne sa trame haletante à ce fabuleux livre ». Il se pourrait que ce soit le livre américain de la rentrée.
Le livre anglais, pour sa part et pour la semaine qui nous intéresse, pourrait bien sûr s’intituler Nos soirées et avoir pour auteur Alan Hollinghurst : « Capturer l’insaisissable, attraper dans sa multiplicité fugitive ce qui fait la texture des jours, mesurer l’infinité de mots que peut recouvrir un mot ou un geste… Ce sont là quelques-uns des indépassables pouvoirs de la littérature, dont chaque page ou presque de nos soirées semble à la fois une démonstration et une célébration » Fermez le ban. Et tout cela pour un roman qui retrace la vie d’un personnage, métis et homosexuel, comédien et qui se livre pratiquement à l’âge de son auteur à un retour sur son existence. L’homosexualité et notamment celle du monde anglo-saxon est une des bases du roman d’Hollinghurst qui sert de support à des analyses comme le déni de la mère : « C’est assez caractéristique de la classe moyenne britannique, du moins à l’époque à laquelle j’ai grandi. » confie-t-il à Thomas Stélandre dans l’entretien qu’il accorde cette fois en une de LibéS. Mais d’où vient cette histoire ? De la mort de sa mère : « L’écriture de ce livre a donc été très imprégnée de sentiments liés au deuil. Quand j’ai vidé sa maison, beaucoup de sentiments ont ressurgi. » La maison vide, décidément, une tendance de la rentrée.
« Une certaine misanthropie, un dégoût pour la modernité et une profonde mélancolie », c’est Huysmans lequel serait peut-être satisfait de savoir que la modernité honnie l’accueille dans le dossier du Figaro littéraire (la une étant maigre : Cercas vs François). Agnès Michaux, nous dit Sébastien Lapaque, a su restituer son personnage, pas toujours facile à suivre. Entre mystique et symbolisme, Lapaque est inspiré : « Persuadé que le beau mène à Dieu, Huysmans s’est mis en route et n’a pas pu s’arrêter de marcher ». On aura aussi Irène Némirovsky par Dominique Missika, le court Dickens de Delerm et le toujours énigmatique Yann Andréa qui titille, cette fois, Julie Brafman. Et ce joli et juste titre, L’ami Louis, écrit par Sylvie Le Bihan sur l’amitié entre Camus et Guilloux, une amitié de pauvres et d’écrivains engagés même s’ils ne semblent pas d’accord sur tout. « Une grande réussite » s’il faut en croire Mohammed Aïssaoui qui argumente : « L’entourage, les faits marquants, les anecdotes sont très bien décrits. A aucun moment on ne sent le poids de la documentation, des archives ou de l’enquête. »
Changement d’actualité, pas tout à fait puisque la une du Rendez-vous des livres accueille cette semaine Laurent Mauvignier qui possède aussi une maison vide, pour un entretien en profondeur sur son projet d’écriture et un résumé du roman. Passons sur ce dernier pour relever ses thématiques ; le temps ? « Le temps est d’abord un affect. Je voulais qu’on pense la Première et la Seconde guerre mondiale comme les deux faces d’un même événement ». Le réel ? il se situe dans la continuité de la fiction et l’on découvre que beaucoup d’éléments vraisemblables dans le livre vivent de cette dernière : « L’écriture me sert à retrouver ce lien à lui donner une réalité dont j’ai besoin, à relier des mondes séparés ». Il s’agit donc davantage d’un discours de la méthode que d’un passage en revue des références contenues dans le livre. Attention à la lecture cependant, comme dans le MDL il livre un peu trop d’éléments relatifs aux surprises et mystères de son œuvre.
Dans le pêle-mêle
Des auteurs avancent discrètement mais sûrement ; c’est le cas d’Elif Shafak et de son roman salué par l’ensemble de nos cahiers livres. Qu’on le prenne dans sa chronologie, 630 av J.C, 1840, 2014, 2018 ou par sa continuité, une goutte d’eau tombe du ciel puis y retourne avant de revenir, flocon puis encore goutte et finalement larme, Les Fleuves du ciel porte bien son titre, une histoire quelque peu fantastique et très romanesque qui s’incarne en autant de héros que d’époques et participe du cycle infini de l’eau. L’espace suit, de la Mésopotamie aux bas-fonds de Londres, en passant par la communauté Yézidi avant de revenir dans les beaux quartiers de Londres. Christian Authier du Figlitt souligne la « fluidité de sa narration. Elle tisse un envoûtant écheveau de signes et de correspondances, brasse les milieux et les époques avec une maestria sans ostentation. »
L’autre figure, c’est Cédric Sapin-Defour qui, après avoir fait un succès avec Son odeur après la pluie, livre consacré à son chien, revient avec un livre centré sur sa compagne. Ou plutôt, un livre relatant l’avant et l’après d’un accident de parapente. Et l’on découvre que l’un et l’autre s’alimentent puisqu’il écrit sur Ubac alors que Mathilde est en reconstruction physique et cérébrale. Cette clef de l’écriture explique peut-être la tension et la gravité de l’écriture dans son premier récit. Style ici reconnaissable et saisi par Juliette Einhorn dans la page Rencontre du MDL : « Un écrivain classique aussi, qui aurait fait des bonds jusqu’à nous pour déconstruire ses phrases saisissantes, périodes vagabondes hachées au piolet. »
Une semaine assez riche en surprises, vivement la prochaine, à partager avec vous !
Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)