Chronique 2025-18
Revue de presse du 23 au 29 août 2025
Tableau des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins Jean-Marc Vulbeau
correction Cécile Lorgeoux
mise en ligne Jacques Chaumet
La rentrée, cette année, est très resserrée autour de quelques grands noms des lettres de ces dix dernières années (voire plus) ; on y retrouve donc, chaque semaine, Carrère, Mauvignier, Appanah, Minard, mais aussi Laura Vazquez la nouvelle venue. L’actualité est donc riche et dense et elle n’empêche pas certaines découvertes.
Les Unes
La star de la rentrée fait la une du Figaro littéraire après celle du Monde des livres. Emmanuel Carrère y est présenté cette fois comme l’écrivain tout-terrain : critique de son livre par Patrick Grainville et entretien avec Bruno Corty, dossier pour soi seul. Le premier reprend les principaux thèmes de l’œuvre avant de développer à son tour les vertus de la mère autour du lit de laquelle on se couchait pour « faire kolkhoze ». Il y écrit ses propres souvenirs, ceux d’une femme au retour du Covid « au pas de charge, cosaque en diable, nonagénaire en robe rose ». Emmanuel Carrère propose dans l’entretien qui lui est consacré quelques ajustements, comme son ancienne incapacité à écrire régulièrement de la fiction tout en développant ses autres chantiers/métiers : scénariste, journaliste, avant de se livrer en priorité au roman. Il revient également sur l’apaisement de ses relations conflictuelles avec sa mère et livre quelques scoops « c’était une très bonne conteuse dans un registre d’épopée comique. » Lui-même revendique écrire de la « narration avant tout. Ma forme n’est pas, ou très secondairement l’essai ».
Mais l’événement de la semaine ce sont les deux unes accordées à Laura Vazquez, avec entretien là aussi, dans le LibéS et le Monde des livres. Écrivaine de caractère, allure sportive, casquette et anneaux d’or, elle reçoit chez elle Lanwenn Huon du MDL ou Thomas Stélandre, LibéS. Son roman s’intitule Les Forces, et ce sont les forces de l’écriture dont elle parle. Elle a décidé d’interroger l’existence, ou, plus précisément, ce qui fait l’existence. Elle se définit : « Il y a des écrivains hypersociaux qui sont géniaux. D’autres qui ont besoin de s’isoler et ne voient presque personne. J’appartiens très clairement à la deuxième catégorie, mais cela peut fonctionner dans les deux cas. » Elle prend des notes durant ses lectures, tellement qu’elle bénéficie de l’aide d’un assistant chargé de les trier. Et de ces lectures, Rimbaud par exemple, elle tire des leçons : « Dans l’enfance, et l’adolescence aussi, on ressent une sorte de vertige, de déchirure, une colère, un dégoût, ou, en tout cas un écart entre ce qu’on voudrait vivre et ce que la vie nous donne de possibilités. De cet écart naît un sentiment de révolte qui est le socle de l’écriture poétique. »
Céline Minard et son univers étrange ouvrent le Rendez-vous des livres. Cette fois elle jette son dévolu sur une rivière Tovaangar, héros du roman et par qui le voyage arrive (et dont le nom est réel, elle coule en Californie). Comme nous sommes dans une œuvre de SF les personnages s’appellent Amaryllis et Atlal et appartiennent à des peuples comme les Arcadeans et les Gros-Cerveaux qui sont « Sout » entendez souterrains. Les prémices d’un roman qui ne tourne pas à l’affrontement ; le monde a changé, il s’est réparti en biotopes autonomes, que le lecteur découvre grâce à « l’expé », le voyage de découverte que mènent les personnages centraux. « Cet inventaire du monde se fait tableau après tableau, souligne Alain Nicolas, sans dramaturgie envahissante, un peu à la manière du tour de France par deux enfants. » Du pur Céline Minard, donc.
On insiste sur la qualité du roman de Laurent Mauvignier. « On », c’est cette semaine Christophe Henning en une de Livres et Idées qui salue ce poids lourd de la rentrée : « faire d’une maison vide un monument. C’est le défi réussi par Laurent Mauvignier. » Le critique retrace le fonctionnement de l’œuvre, objets cherchés, histoires découvertes, caractères bien assis, écriture précise : « Les longues phrases de Laurent Mauvignier, ses descriptions minutieuses et une éclatante sobriété font de ce livre un grand roman dans lequel on se blottit pour pérégriner sur un chemin vicinal. » (on peut s’arrêter à se blottit)
Dans le pêle-mêle
Nathacha Appanah fait partie de cette rentrée des poids lourds même si pas encore une. Mais son livre sur les violences faites aux femmes, dont elle-même attire l’attention en dehors de tout opportunisme retrace à la fois deux faits divers et sa propre expérience, ce qui est assez original : « elle affirme que la littérature est la seule issue « le seul chemin éclairé qui s’offrait à elle »» pour raconter ces histoires, alternative à « l’impossibilité de la vérité entière à chaque page » souligne Mohammed Aïssaoui.
Si elle fait partie de la rentrée littéraire « programmée », le sort d’Isabela Figueiredo est plus surprenant. L’autrice portugaise se livre à « un grand ménage sentimental, nous dit le MDL, en nous racontant comment deux héros se rapprochent ». Plus précisément elle « explore le chemin escarpé au bout duquel deux âmes réapprennent à s’ouvrir l’une à l’autre et à croire en la possibilité d’être aimées. » La formule est de Gladys Marivat. Frédérique Fanchette dans le LibéS commence par le personnage masculin, chineur de poubelles, grand ami des chiens (le titre) et une grande femme, « un escabeau humain « habillée avec des jupes de religieuses en civil »». Elle est surnommée « la tueuse » depuis la mort violente de son amant. Les personnages et l’intrigue sont là qui impressionnent la critique Marianne Meunier dans Livres et Idées qui nous dit dans son article, sous le joli titre Adieu les cœurs étriqués que c’est « un immense bonheur de la retrouver avec ses personnages désarmants de sincérité, sillon magnifique et rare sur les terres du roman étranger ».
Une semaine qui confirme cette rentrée placée sous le signe des auteurs importants du moment dans notre littérature, à suivre pour qui pourra s’immiscer entre ces éléphants.
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