Chronique 25-17 du 16 au 22 aout 2025

Emmanuel Carrère

Une rentrée en maternelle

Ce n’est pas vraiment la rentrée mais quand même ; depuis quelques années la rentrée littéraire n’attend plus la rentrée scolaire, L’Humanité et le Monde en font donc leur thème quand La Croix reprend son cahier livres sans vraiment se focaliser sur l’ensemble des publications. Le Figaro littéraire, lui, dédaigne cette précipitation et n’a pas encore repris le cours de ses critiques, Libération du samedi commence, pour sa part le 23 août, en dehors de notre première sélection. Une rentrée toujours placée sous le signe de l’abondance mais avec le retour d’auteurs de poids que l’on s’attendrait plutôt à découvrir en janvier (seconde vague, hors prix littéraires).

En une de l’Huma ce sont donc les choix de romans français qui priment, soit 15 sur 344, gageons qu’il y aura quelques ajustements. Une sélection qui comprend les habitués, Sorj Chalandon, Agnès Desarthe et l’inénarrable Amélie Nothomb. Mais aussi en première ligne la star Emmanuel Carrère qui s’attaque au versant maternel de son histoire familiale quelque peu compliquée. Laurent Mauvignier pour sa part remonte aux figures féminines de ses grand-mère et arrière-grand-mère. On retrouve également Jakuta Alikavazovic qui publie moins mais dont le style est reconnu. Le Rendez-vous des livres insiste également sur les thèmes rémanents de la littérature contemporaine, comme le féminicide, nouveau livre de Nathacha Appanah, la fresque africaine avec David Diop. Restent d’autres noms connus, avec des écrits hors actualité, Céline Minard, Laura Vazquez ou Chloé Delaume.

Le Monde des livres avec son cahier et son dossier de sept feuilles tue le suspens ! La rentrée sera maternelle ou ne sera pas ; soit trois pages pour le seul Carrère qui règle pas mal de comptes avec sa génitrice et, qui plus est avec une mère secrétaire perpétuelle de l’Académie française. Raphaël Enthoven, positif quant à la sienne mais un peu trop plein de références pour la critique de Félix d’Assumçao ; Régis Jauffret, positif lui aussi, tout comme Catherine Millet ou Jakuta Alikavazovic, mais un rapport plus contrasté chez Justine Lévy ou Amélie Nothomb.

La dernière page du cahier est réservée à la fille de Georges Arnaud (Le salaire de la peur) dont on apprend que oui, c’est bien lui qui a tué son père et sa tante. Ils ne voulaient pas donner d’argent à sa mère qui est morte, misérable, de la tuberculose. Et la bonne, alors ? pas de chance, elle était témoin. Ça, c’est un réflexe quand même assez crapuleux, non ? Arnaud a avoué à sa fille de 14 ans le crime et s’est montré un très bon père. Jaenada a écrit un livre (La Serpe) qui tourne tout autour de l’innocence d’Arnaud ; un livre qui justifie à lui tout seul le pouvoir de la littérature et son enthousiasme. 

A noter la forte présence masculine chez les écrivains, tandis qu’à la rentrée dernière (beaucoup de figures de pères), les autrices étaient nettement majoritaires, et sur deux ans, on peut mesurer une ou deux générations, pères absents et mères abusives. Finalement, si l’on cherche à échapper au genre des auteur(e)s, les personnages des générations précédentes nous y ramènent directement !

Mention spéciale dans ce numéro à la recension par Florent Georgesco de la rentrée des idées : 1424 titres. Et pas de protestation alors que tous les ans nous avons droit à des cris d’orfraie pour l’abondance de la rentrée romanesque (484 romans). F.G. relève les sujets majeurs, la guerre en Ukraine (qui fait moins recette, déplore-t-il), celle à Gaza « plus abondante que jamais » mais sans commentaire de sa part, les interrogations sur la démocratie (on peut, en effet). Voici pour l’immédiat, les sujets brûlants ; sur le plus long terme, beaucoup de titres consacrés à l’intelligence artificielle et ce qu’il nomme « premiers et derniers âges », soient la naissance et la mort. Mais aussi des thèmes de la longue durée et de la mémoire comme la dixième année après le Bataclan, « l’écrasement de la révolution Femme, Vie, Liberté de 2022-2023 » en Iran, Chine, femmes, biodiversité, climat, bref, questions pendantes et assez loin d’être résolues. On ira lire l’article impossible à résumer et notamment pour ce qui concerne les livres d’histoire, à moins de le recopier. Une rentrée stimulante en effet.

Et pour revenir à une actualité moins débridée, notons que le LibéJ n’évoque qu’un seul livre, celui des correspondances de Truffaut avec collègues, rivaux et amis, parfois en une seule et même personne. On y redécouvre un homme de conviction, nous dit Philippe Garnier, parfois sévère voire obtus, mais qui cherche toujours à aider des amis, réévaluer ses liens avec les uns et les autres.

Enfin, Livres et Idées provoque un décalage en s’intéressant en une à un livre d’Akira Mizubayashi consacré à Hiroshima. Cet auteur japonais qui écrit en français livre un roman dans lequel trois amis survivent à la guerre grâce à leur amour de l’art, bien que l’un d’entre eux soit mutilé par celle-ci ; Christophe Henning précise, «l’écrivain tisse un roman bouleversant, universel. (…) Un titre à retenir en cette rentrée littéraire, un roman dense, à l’écriture fluide et sobre et splendide tout à la fois. » Le supplément distingue par ailleurs David Diop.

Finalement c’est quand même reparti. Attention à la semaine qui vient.

Index des articles parus dans la presse du 16 au 22 août 2025 (cliquer pour télécharger le tableau en PDF)