Chronique 25-16
Revue de presse du 7 juin au 4 juillet 2025
Tableau des unes en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins par Jean-Marc Vulbeau
corrigée par Cécile Lorgeoux
et mise en ligne par Jacques Chaumet
Cette fois c’est la dernière de la saison, et, qui plus est, elle couvre l’actualité d’un mois entier. Un mois où l’on parle davantage de ce qui fait la littérature. La plupart des unes présentent ainsi des auteurs qui ont disparu, récemment ou il y a déjà plus d’une centaine d’années, reconnus ou exhumés, redécouverts ou encore dont le travail continue au-delà de leur décès. Mais, c’est aussi l’annonce de l’été et des lectures qu’on pourra faire dans le cadre des vacances et, malgré tout quelques nouvelles têtes viennent compléter le panel de l’année.
Têtes de unes
Commençons par ces dernières avec Djamila Ribeiro qui porte (en partie) la parole des Noirs du Brésil nous dit Frédérique Roussel, et pour faire wok elle porte également celle des femmes à travers une lettre à sa grand-mère. L’autrice a perdu ses parents à l’âge de 20 ans et a dû changer de cap dans sa vie, travailler pour survivre avec sa famille pour se tourner ensuite vers la philosophie. Elle se livre au récit car elle pense que les idées se diffusent sans doute mieux par ce canal. (LibéS 08/06)
Libar M. Fofana est très gonflé. Le sujet de son nouveau roman est un imam qui se met à la religion sur le tard sans cesser de boire ni de forniquer nous dit Muriel Steinmetz. Jusqu’ici tout va bien, mais à la suite d’une crise cardiaque en plein office, le voilà choisissant une greffe… Un cœur de cochon, lequel le trahira à son tour. « L’inhumation du transplanté devient vite une affaire d’État ! Interdiction est faite de l’enterrer dans le carré musulman. Quant à la femme du mort, enceinte in extremis, mieux vaut lui prodiguer un « aboraman » (avortement) que de la laisser allaiter un porcelet ! » Rabelais et Voltaire pas morts. (RVDL 26/06)
Quant à Olivier Rolin, à force de parcourir les titres de la presse, il finit par accoster à la une du RVDL (12/06) avec son voyage dans les îles perdues au large de Madagascar. Récit doux-amer plein d’auto-dérision de la vie à bord du navire de la marine française sur lequel il est accueilli. Un récit charmant.
Revenants
Adelheid Duvanel est une « jeune posthume » qui écrit des histoires courtes que l’on pourrait (hâtivement) qualifier de contes cruels ; personnages meurtris, dépouillés, instables, comme le souligne Lanwenn Huon du Monde des Livres (13/06 ), héros d’histoires : « où s’entremêlent fils de fer et fils de soie, une certaine manière de divaguer dans cette zone brouillardeuse, à équidistance du réel et du songe ». La critique évoque des âmes meurtries, « des décors vagues » et des paysages « étrangement vivants ». L’un des personnages déclare « mon enfance est un paquet insignifiant qui explose si on l’ouvre. » Les héros sont trahis, spoliés, malades mais toujours avec humour. Son inspiration ? Diagnostiquée schizophrène à 17 ans, A.D. a eu une fille avec son mari, peintre suisse, laquelle, héroïnomane est morte du sida. Sa mère ne verra pas sa fin, elle-même est morte seule, en forêt, vraisemblablement empoisonnée aux barbituriques. D’année en année, sa postérité s’affirme.
Puis vient Romain Gary (Figlitt 19/06) qui concentre toujours autant d’intérêt, quatre livres c’est beaucoup et typique des publications posthumes : une biographie, une réédition illustrée, une lettre écologique à un éléphant sur l’extinction des espèces, lucidité prémonitoire de l’écrivain et une pièce de théâtre.
Tandis que Gaston Leroux (1868-1927) revient de plus loin pour son œuvre fantastique éclipsée par le succès de Rouletabille. Cependant même s’il s’agit d’aventures abracadabrantes au temps de l’opéra de Paris et des catacombes redécouvertes, on demeure dans le registre de l’énigme (LibéS 19/06).
Pratiquement son contemporain, Remy de Gourmont (1858-1915) connaît enfin une biographie, nous dit François Angelier qui nous conseille de redécouvrir cet ancien des cercles symbolistes qui finit reclus, le visage mangé par un lupus : « il évolue vers une exégèse laïque de la vie sociale qui l’amène à un discours analytique violent, celui d’une sentinelle sarcastique postée parmi le monde, et non hors du monde. » (MDL 04/07)
François-Paul Alibert (1873-1953) complète ce trio avec La Couronne de pines. Inconnu qui revient grâce à l’engagement militant d’un éditeur associatif GayKitschCamp, l’auteur explore la révélation de l’homosexualité à travers le désir. C’est un auteur secret dans tous les sens du terme, le titre seul suffit à interdire la publication pour le grand public (LibéS 28/06).
Signalons aussi le nouveau et dernier roman de Vargas Llosa dont Marianne Meunier (L&I 19/06) nous dit qu’il est « ultime et puissant. » Il raconte la passion tardive d’un universitaire pour la musique créole (criolla) du Pérou et comment celle-ci pourrait finalement sauver le pays.
Lire à la plage
Deux suppléments pour l’été dans le Figlitt : une lecture d’été (12/06) qui est assez éclectique et s’ouvre par L’Affaire de la rue Transnonain, reconstitution d’un fait divers doublé d’une machine politique par Jérôme Chantreau et déjà célébré dans d’autres unes, mais aussi du bateau, du polar sarde, etc. Et un second, supplément intégralement consacré à la littérature de poche. On y retrouve quelques perdreaux de l’année précédente comme Veiller sur elle, Goncourt 2023. Et les mémoires de Marcel Guillaume, modèle de Maigret et ami de son auteur qui les avait publiés en… feuilleton. Du même coup, le Monde des Livres (27/06) consacre son dossier aux collections de True Crimes, séries qui surfent sur l’intérêt du public pour les crimes réels, de Dupont de Ligonnès à des affaires oubliées depuis longtemps, le tout complété par les affaires récentes autour du rap.
Ne pas oublier
Restent les guerres dont l’été ne nous débarrassera pas et dont nous ne devons peut-être pas nous débarrasser ; on notera la une et le dossier étonnant du MDL (20/06) consacré aux auteurs pro Poutine qui tiennent salon : « Toute une section, nous dit-on, est réservée aux enfants. Pour attirer les familles, les organisateurs ont invité chanteurs folkloriques et acteurs patriotiques, qui mettent en scène et en musique ce que petits et grands peuvent ensuite retrouver dans les livres. » Les thèmes sont un peu toujours les mêmes, glorification des héros, notamment des époques précédentes pour créer une continuité nationaliste qui sent tout de même un peu la justification a posteriori. A l’opposé, on découvre en une du L&I (12/06) le roman d’Haska Shyyan qui relate les affres d’une femme, l’héroïne, qui n’a pas l’air emballée par la guerre. Elle, nous dit Alain Guillemoles « ne vibre pas à l’idée d’une possible victoire et ne participe pas à l’élan patriotique général. Elle n’a pas le goût du sacrifice. » Elle cumule prix et critiques négatives, ce qui fait contraste avec les auteurs précédents tout de vertu patriotique ceints.
Quant aux poétesses palestiniennes elles représentent une nouvelle génération. Sacrifiées par la barbarie israélienne, elles continuent à faire entendre leurs voix dans des recueils, notamment en une du RVDL et de LibéJ (19/06): « Elles ont le sentiment d’avoir perdu la Palestine en tant qu’État possible, ce n’est même plus un rêve pour elles. Elles veulent juste chercher à comprendre qui elles sont dans ce drôle de monde. » dit Nida Younis (LibéJ 19/06) organisatrice d’un recueil consacré aux poétesses palestiniennes. Car, et c’est le second fait marquant de cette anthologie, on sort du circuit traditionnel de la poésie masculine, avec des autrices dont certaines échappent à la mort de justesse, tandis qu’une autre comme Hiba Abu Nada née en 1991 est « pulvérisée par une frappe israélienne le 20 octobre 2023 » comme le rappelle Alexandra Schwartzbrod.
Nous refermons notre année avec Erri De Luca et ses « Récits de saveurs familières », bonne épaisseur (256 p.), possibilités de mise en pratique, un vrai cahier de vacances !
Index des articles parus dans la presse du 7 juin au 4 juillet (cliquer pour télécharger)
| L’Humanité – Le Rendez-vous des livres | ||
| Titre | Auteur | Editeur |
| Vers les îles Éparses | Olivier Rolin | Verdier |
| Gaza, y a-t-il une vie avant la mort ? Anthologie de la poésie gazaouie d’aujourd’hui | Dir. Yassin Adnan | Points |
| La Prière du cochon | Libar M. Fofana | Gallimard |
| Le Trésor de Ballantrae | Marie Cosnay | L’Ogre |
| Libération | ||
| Titre | Auteur | Editeur |
| SAMEDI | ||
| Ta Magie m’a menée jusqu’ici. Lettres à ma grand-mère | Djamila Ribeiro | Anacaona |
| L’Envers de la peau | Jeferson Tenório | Mémoire d’Encrier |
| La Double vie de Théophraste Longuet | Gaston Leroux | L’Arbre Vengeur |
| La Couronne de pines (inédit ; 1934) | François-Paul Alibert | GayKitschCamp |
| Un Certain Louis Wolfson | Étienne Fabre | Séguier |
| JEUDI | ||
| Comment atterrir ? Une boussole pour le monde qui vient | Bruno Latour & le coll. »Où atterrir ? » | Les Liens qui libèrent |
| Palestine en éclats. Anthologie de la poésie palestinienne féminine contemporaine | Dir. Nida Younis | Al Manar |
| Gaza, y a-t-il une vie avant la mort ? Anthologie de la poésie gazaouie d’aujourd’hui | Dir. Yassin Adnan | Points |
| Les Désirs guerriers de la modernité | Déborah V. Brosteaux | Seuil |
| Les Voix invisibles. Médiumnité féminine, ou le pouvoir d’écrire | Stéphanie Peel | MagiCité |
| Le Figaro littéraire | ||
| Titre | Auteur | Editeur |
| Histoire de la Mafia. Au-delà des préjugés | Jean-Yves Frétigné | Fayard |
| La Prohibition. Interdire pour une Amérique meilleure ? | Annick Foucrier | Armand Colin |
| Le Gardien des rois. En France avec Victoria, Sissi, le tsar, le shah et autres majestés, par le commissaire chargé de leur sécurité | Xavier Paoli | Payot |
| La Vie devant soi (version illustrée) (1ère éd 1975) | Romain Gary & Manuele Fior (ill.) | Futuropolis |
| Lettre à l’éléphant (1ère éd 1968) | Romain Gary | L’Éclaireur |
| Johnnie Cœur (théâtre ; 1ère éd 1961) | Romain Gary | Folio |
| Romain Gary. De l’humanisme à l’écologie | Igor Krtolica | Gallimard |
| L’été en poches dossier | ||
| La Croix – Livres et Idées | ||
| Titre | Auteur | Editeur |
| Dans leur dos | Haska Shyyan | Robert Laffont |
| Je vous dédie mon silence | Mario Vargas Llosa | Gallimard |
| Deux Hommes en un (1ère éd 1929) | Graham Greene | Flammarion |
| Récits de saveurs familières | Erri De Luca | Gallimard |
| Récolte à la lumière du jour précédé de Œuvre sur l’eau | Erri De Luca | Gallimard |
| Le Monde des livres | ||
| Titre | Auteur | Editeur |
| La Correspondante | Adelheid Duvanel | Corti |
| La Conscience de Staline. Kojève et la philosophie russe | Rambert Nicolas | Gallimard |
| La Disparue du cinéma | Guillaume Tion | 10-18/Libération |
| Une Minute de silence | Sophie Loubière | Dark Side |
| Le Continent des oublié.e.s. Les cold cases des filletttes martyres de 1987 | Thierry Lévêque | Dark Side |
| Murder Muzik. L’histoire sanglante du rap américain | Karim Madani | Dark Side |
| Le Veuf noir du Grand Canyon | Vincent Manilève | 10-18/Society |
| La Trahison de Sunset Park. L’histoire vraie du mort en trop du 11 septembre | Victor Guilbert | Flammarion |
| Remy de Gourmont. Une vie fin-de-siècle (2 tomes) | Thierry Gillyboeuf | La Part Commune |