Chronique 2025-28-29
Revue de presse du 1er au 14 novembre 2025
Tableaux des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins Jean-Marc Vulbeau
correction Cécile Lorgeoux
mise en ligne Jacques Chaumet
Une quinzaine qui revient sur certains auteurs de la rentrée, manière de boucler celle-ci et qui explore aussi des livres moins connus, des œuvres plus discrètes avant les beaux livres de décembre.
Les Unes
Georges Ibrahim Abdallah, Wahid Gordji, Nathalie Ménigon… les héros du livre de Frédéric Paulin renvoient aux années de plomb à la franco-libanaise. Dernier volet d’une trilogie entamée en 2024 (pour sa publication), ce volume vient compléter l’histoire des guerres fratricides au Liban, dont Sophie Joubert rappelle pour le Rendez-vous des livres que le peuple libanais en sera le grand perdant, même si parfois la tragédie comporte quelques aspects comiques « comme la visite de Guy Béart et Jean d’Ormesson à Beyrouth pour soutenir le général Michel Aoun lancé dans une bataille contre la menace syrienne au Liban ». Les personnages de fiction présents dans l’œuvre, ceux qui mènent l’enquête policière, aident à comprendre la réalité politique des événements. (06/11)
Le Monde des Livres accorde lui aussi sa une à un fait d’actualité, le retour sur les procès du 13 novembre. Jean Birnbaum distribue, en une, les bons (et les mauvais points). Le collectif V13 ne trouve pas grâce à ses yeux. Motif ? Vouloir re-politiser le débat au lieu de s’attaquer au fait religieux. Résultat ? Un micro-lynchage : « Dès lors, les auteurs peuvent expédier en quelques lignes et non sans dédain les rares spécialistes qui ont été auditionnés lors du procès (…) Eux qui n’ont jamais travaillé sur le djihadisme semblent estimer qu’un tel travail n’est pas nécessaire pour comprendre les attentats djihadistes (…) à les lire, on songe qu’ils auraient dû se garder de mettre en avant leur « méthode scientifique ». » Et de préférer le livre que Sylvie Lindeperg consacre à l’analyse des vidéos du procès. Même si elle remercie chaleureusement les auteurs du livre qu’il vient de critiquer si fort. Est-ce bien le moment de se quereller ?
Comme souvent le Libération du samedi déniche des écrivains originaux au sein d’une actualité saturée par les mêmes noms. Ainsi en va-t-il de Gabriel Josipovici, auteur anglais qui s’interroge régulièrement sur la question des rapports entre écriture et création s’il faut en croire Mathieu Lindon. « Ecriture, peinture ou musique : comment s’y prendre ? C’est un élément que les romans de Gabriel Josipovici intègrent à leur narration quel qu’en soit le thème principal ». L’auteur lui-même définit la question comme suit : « L’ennui avec la plupart des œuvres littéraires, dit-il, c’est qu’elles vous abordent frontalement. Ça ne se passe jamais comme ça dans la vraie vie. Les choses se contentent de nous passer devant et nous en avons à peine conscience que déjà elles sont parties. » Le livre raconte comment un artiste envisage des vies alternatives à la sienne. Et à la question du critique qui lui demande si lui a appris à ressentir, Josipovici répond : « absolument pas. Une des raisons pour lesquelles j’écris est de découvrir ce que je ressens vraiment. Et comme ce n’est pas quelque chose qu’on apprend jamais, on n’a jamais fini d’écrire. » (01-02/11)
Petit dossier d’actualité dans le Figlitt, consacré à l’art du canular, et qui rapproche des histoires aussi variées qu’incompatibles, le canular littéraire grinçant de Gary-Ajar, le canular scientifique, première fake news de l’histoire avec la prétendue observation au télescope de la faune et la flore de la Lune par un scientifique de l’époque. Lequel, vivant en Afrique du Sud n’est absolument pas au courant de la découverte qu’on (The Sun) lui impute et qui va se répandre sur l’ensemble de la planète, avant qu’il puisse démentir. Enfin l’histoire de « Charles Fossez, prestidigitateur sans gloire qui se réinventa en « fakir Birman » et devint l’un des personnages les plus omniprésents de la presse des années 1930 », nous dit Jacques de Saint Victor, « qui avait compris avant tout le monde que la croyance, en l’absence de religion, confine vite à la crédulité. » Oui mais cela nous a vraisemblablement donné Pierre Dac et Francis Blanche. (06/11)
Natalie Levisalles a, pour sa part, repéré le roman autobiographique (mais rédigé à la 3ème personne) de Cordelia Edvardson, qui écrit en suédois après avoir eu une mère allemande. Il faut dire que sa mère, à demi juive, écrivaine catholique et admiratrice de Hitler, échange son sort contre celui de sa fille, plus juive qu’elle. C’est donc elle qui partira pour Auschwitz. Le second mari de la mère est aryen : « nous descendons tous de notre père Abraham, en ce sens nous autres chrétiens sommes tous des Juifs », lui explique-t-il. Donc elle ira en camp à la place de sa mère. Elle survivra et deviendra correspondante du Svenska Dagbladet en Israël. Sa mère lui demandera un jour des détails sur sa « vie » à Auschwitz pour écrire un roman. Visiblement, nous n’avons pas fini de faire le tour des possibilités de récits liés à l’histoire du XXe siècle et de ses gouffres.
Les autres Unes en bref
En une du Rendez-vous des livres, c’est la libération de Boualem Sansal qui est mise en exergue, tandis qu’elle fait la une du journal pour le Figaro et La Croix. Une occasion pour le supplément de l’Huma de rappeler que c’est un écrivain qu’on libère : « un homme de 81 ans à la santé gravement atteinte, au demeurant un écrivain, qui a droit comme tout un chacun à sa liberté d’opinion. » (13/11)
Une de Livres & Idées consacrée au roman de Yanick Lahens que plusieurs journaux ont déjà évoqué et qui a reçu le Grand prix de l’Académie française. Pour son roman traitant de la permanence de l’oppression liée à la couleur de la peau et au sexe auquel on appartient, et de la résistance nocturne des femmes, « Car c’est de nuit que luttent les âmes volontaires de cette longue lignée de femmes », nous dit Christophe Henning. (06/11)
Alice dans sa version Pléiade en une du Monde des livres, après d’autres. Xavier Houssin en dehors de sa précision quant aux traductions antérieures donne son sentiment : « À tout prendre cette histoire est assez effrayante. Alice grandit, rapetisse, manque de se noyer dans ses larmes, doit s’expliquer avec tout un bestiaire, parlemente avec une reine tyrannique, se retrouve mêlée à un procès. De l’autre côté du miroir, les choses ne se passent pas plus simplement. » (06/11)
Percival Everett accorde un entretien à LibéS en la personne de Frédérique Roussel. Comme ailleurs, il souligne la nécessité de l’alphabétisation pour les descendants d’esclaves et d’un point de vue politique : « James (son héros) comprend ce qui lui est arrivé, mais pas pourquoi. Sa quête d’alphabétisation, et pas tant l’acquisition de connaissances le rend conscient de lui-même dans le monde. Il veut en savoir plus, ce qui rend la situation de plus en plus dangereuse pour les Blancs. Non seulement parce qu’il en sait plus qu’ils ne le pensent mais aussi parce qu’il désire en savoir plus. » Pas mieux.
Dans Livres & Idées, Béatrice Bouniol présente l’essai sur Déprise et emprise proposé par la psychanalyste Clotilde Leguil. Selon elle, la relation amoureuse passe par un contrat : « s’éprendre (de l’autre) c’est se déprendre (de soi) », et évidemment le risque est de céder à la soumission, à l’emprise. Il faut donc accepter l’idée de l’imperfection de la relation amoureuse. Il faut donc accepter l’imperfection de la relation : « un amour qui se conjugue avec un art de la désobéissance, avec «l’impossibilité de faire l’Un à deux ». » Du même coup, Don Juan n’est pas un maître de son désir mais un esclave de ses pulsions.
Sous le titre « Les derniers secrets de Le Carré », Bruno Corty fait la recension de la correspondance de l’espion-écrivain. Si dans les lettres qu’il adresse à sa famille, « il sait se montrer prévenant, gentil et tendre », dans celles où il traite de la vie publique, il est souvent révolté ou méprisant, vitupérant Tony Blair ou l’Amérique : « L’accès de folie que connaît l’Amérique est, à mes yeux, le pire de tous ceux qui jalonnent son histoire », il va même jusqu’à évoquer « une junte néoconservatrice ». Il est mort Irlandais et l’un de ses fils a publié un roman qui exploite une parenthèse biographique de la vie de Smiley, le héros de son père.
Beaucoup de thèmes éprouvants, vivement le salon du livre jeunesse de Montreuil (26 novembre au 1er décembre). Son site nous le dit : le thème est l’empathie sous le titre « L’Art de l’autre ».
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