Chronique 2025-25

Les Unes

Après L’Huma, Anne Serre fait la une du LibéS, entretien avec Virginie Bloch-Lainé et propos parfois étonnants pour celle que la critique introduit ainsi : « Son univers et son écriture sont espiègles, proches du conte. Elle est une grande écrivaine contemporaine, et une grande écrivaine de la subtilité. On a l’impression, en la lisant, de discuter avec une personne très intelligemment amusée par ce qu’elle observe. » Celle qui a reçu le Goncourt de la nouvelle et s’est retrouvée en lice pour le International Booker Prize tient en effet des propos peu orthodoxes pour une écrivaine. Question : « Relisez-vous certains de vos livres ? Réponse – « Je déteste me retourner sur le passé. C’est très dangereux, il n’y a qu’à voir Orphée (…) Je déteste les archives. Je bazarde aussi lorsque j’écris ! C’est pour ça que mes livres sont courts ; je coupe beaucoup avant de rendre un texte. » A propos des images que l’on trouve en faisant de la littérature : « L’arrivée de l’image est quand même de l’ordre du miracle – même si je sais que ça ne tient pas du miracle, mais à la façon dont je suis faite. » Et alors là attention ! « C’est comme quelqu’un qui verrait la Vierge apparaître dans la campagne et qui voudrait que ça recommence. »

Guillaume Poix ne fait pas partie des auteurs chevronnés de la rentrée, mais il est cité par plusieurs cahiers et fait la une de deux d’entre eux, le LibéS du 27/09 et aujourd’hui du Monde des Livres. Son option d’écrire un livre sur le monde carcéral en prenant le point de vue des surveillants est à la fois novateur sur le plan du récit et sur celui de l’écriture comme le souligne Clément Ghys : « Mais le roman est, avant tout, une démonstration du pouvoir de la littérature. » Avant tout quoi ? Avant d’être une dénonciation de la réalité honteuse des prisons françaises. » Quant aux surveillants, « ils ont des problèmes de couple, vivent des histoires d’amour ratées, des tragédies personnelles. L’auteur plonge dans le flux de conscience de chacun d’entre eux. » Il a également vécu quelque temps aux côtés de ses sujets au sein d’une prison surpeuplée à 180 %.

Quand il n’y a pas urgence, entendez par là actualité de rentrée, le Figaro littéraire retourne à ses figures tutélaires, parmi lesquelles, cette semaine, Joseph Kessel, au titre du panache lié à une vie aventureuse ? Non plutôt à la figure de sa mère (décidément !). Cette fois c’est elle qui a la parole et, à la demande de son fils, on publie donc les cahiers qu’elle lui a consacrés. Aussi raconte-t-elle comment, enfant chétif, il faillit perdre la vie lorsque ses parents ont joué les aventuriers en partant vers l’Argentine pour y fonder avec leur communauté juive comme un avant-goût des kibboutz. C’est aussi sa mère qui lui donnera le goût du récit en l’initiant aux auteurs russes. Le dossier est complété par deux recensions des ouvrages de Kessel, écrits journalistiques réalisés à Weimar et dans le Reich en ruines. Quant à Robert de Montesquiou il est également convoqué au titre de l’Histoire avec son roman consacré au procès de Nuremberg, aux témoignages des figures de la Résistance que sont Marie-Claude Vaillant-Couturier ou le Lituanien Avrom Sutzkever et que couvriront Kessel mais aussi, Elsa Triolet, Martha Gellhorn, Ilya Ehrenbourg ou Dos Passos… Bref les figures de l’écriture d’après-guerre.

« On gagne toujours à donner aux Blancs ce qu’ils veulent » rapporte Alain Nicolas, citant un passage de James, le roman de Percival Everett. Et ces Blancs veulent que les Nègres restent à leur place, parlant une langue appauvrie et identifiable comme le définit l’auteur : « c’est l’esclave qui prend en charge le récit, qui lui donne son nom. » Et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ce qui importe c’est la langue.

Côté USA, un second roman s’affiche, en une de Livres & Idées cette fois. Un roman d’Adam Rapp, consacré à une famille sur 6 décennies. Soit une famille dirigée par une mère d’un mètre 90 avec « pour seul guide une version on ne peut plus rigide de l’Évangile », et dont certains enfants « dévient du sillage parental au point de contredire tout principe éducatif. » Les personnages semblent évoluer comme dans un jeu de hasard (plus que de rôle) et dans une écriture visuelle : « On dirait un jeu de société, fait-il dire à l’une de ses sœurs au sujet de sa fratrie. On jette les dés, on fait tourner la flèche et on regarde les enfants Larkin sauter à cloche-pied. »

Robert Darnton dans LibéJ évoque le rôle et la place de l’écrivain dans la société française au XVIIIe siècle (et après). Il suit le destin de petits maîtres qui cherchent à réussir dans les milieux des lettres, à l’image de Baculard d’Arnaud qui publie beaucoup de romans sentimentaux sans grand intérêt pour la postérité, mais qui indique une tendance, ceux qui deviendront journalistes sous la Révolution, même si l’un d’entre eux a fini sur l’échafaud. Interrogé sur le climat actuel qui règne aux USA, cet ancien fondateur de la Digital Public Library of America en opposition au siphonnage des données de la bibliothèque d’Harvard par Google, dit – avec toute la retenue qui le caractérise : « je n’aime pas le mot fascisme, mais c’est un peu le début d’un fascisme à l’américaine. Et il faut résister. Je pense que l’Europe ne peut plus faire confiance aux États-Unis et doit se défendre. Je le dis en tant qu’Américain, et j’aime mon pays ». Poor Robert.

Dans le Pêle-Mêle 

Depuis plusieurs semaines, Yanick Lahens hante les pages des cahiers livres. En second rideau, vu la concurrence, mais avec des articles qui soulignent son talent et l’efficacité de son roman. Les principaux cahiers ont traité de ce récit consacré à deux aïeules, l’une descendante d’esclaves en provenance de La Nouvelle-Orléans, l’autre la femme d’un aïeul général, fils de la première. L’autrice écrit « pour être dans la résilience de ces femmes. Elles étaient dans ma tête, je les avais déjà imaginées. » Elle avance un peu à tâtons, puisqu’elle ne dispose pas d’éléments concrets sur leur existence et qu’en Haïti, il est compliqué de mettre la main sur des archives intactes et fiables. Mais elle ne désespère pas : « Je décris des choses horribles, mais je ne veux pas rester dans une noirceur totale précisément parce que j’ai connu et je continue de connaître à Haïti, ce n’est jamais la noirceur totale. »

A la semaine prochaine pour de nouvelles découvertes.

Index des articles parus dans la presse du 11 au 17 octobre, en PDF (cliquer pour télécharger)