Chronique 25-5
Revue de presse du 15 au 21 février 2025
Tableau des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins par Jean-Marc Vulbeau
corrigée par Cécile Lorgeoux
et mise en ligne par Jacques Chaumet
La semaine continue à « exploiter » les stars de la rentrée, Pierre Michon, Jean Echenoz, des carrières littéraires qui ont débuté dans les années quatre-vingts et qui trouvent aujourd’hui un prolongement qui relève aussi du dénouement au sens propre. Un air de liberté. Annette Wieviorka, pour sa part, ne regrette rien. D’autres commencent leur carrière, comme Sophie Demange.

Pierre Michon
Les Unes
Jean Echenoz, dans l’entretien qu’il accorde à Alain Nicolas fait, comme souvent, contraste avec son roman. Autant celui-ci saute d’un sujet à l’autre, abandonne sans raison apparente un personnage, semble hésiter quant à sa suite, autant son projet est clair : « En général, dans mes romans, j’ai un fil directeur cohérent jusqu’au bout (…) Un scénario, pour aléatoire qu’il soit, vous rattrape toujours. » Il reconnaît par ailleurs ses liens avec le cinéma : « J’ai toujours aimé me servir de la grammaire des procédés du cinéma ». Cette fois, c’est le personnage principal qui est metteur en scène. Bref, le véritable metteur en scène tient le stylo et affirme se sentir plus libre à l’écriture de ce roman.
C’est la même chose pour Pierre Michon dont la production s’est accélérée ; il revient sur une période récente et délicate de sa vie, « Cette expérience de la mort et cet amour m’ont débarrassé de toute inhibition envers l’écriture ». D’où peut-être son idée de récrire L’Iliade et de le déclarer en titre. Une succession d’histoires dont les personnages ont une activité sexuelle assumée par l’auteur ; à la question de Frédérique Roussel de savoir si ce livre a une chance de rencontrer un large public la réponse est lâchée : « Attention, il peut y avoir plus de malentendus : ça baise. » Et il assume « Je ressens un bonheur presque ininterrompu. C’est peut-être une forme de dégénérescence sénile, quand on dit « il retombe en enfance ». Mais si c’est une forme bénigne, je recommande à tout le monde de l’attraper. » Bigre.
A l’opposé, Sophie Demange commence sa carrière d’autrice avec un récit consacré à deux puis trois jeunes femmes qui ouvrent une boucherie et vivent une histoire du type « rise and fall » ou disons « grandeur et décadence» : « Un premier roman très maîtrisé et jubilatoire, mais aussi une comédie grinçante sur les travers de la société contemporaine. » Résumons : succès d’un commerce de boucherie tenu par des femmes, qui tient, comme le souligne Christophe Henning de Livres et Idées, « jusqu’au jour où plusieurs hommes du quartier disparaissent, coup sur coup. » On demandera à Alina Reyes ce qu’elle en pense, elle qui avait troublé le paysage éditorial en publiant un roman de boucherie moite en 1988 (Le Boucher).
Wieviorka Annette propose dans le LibéJ avec Itinérances, un livre sur son travail d’historienne : « – égo-histoire ? interroge Natalie Levissales – Ici c’est plutôt de l’introspection professionnelle. Il s’agit de faire entrer dans mon atelier, d’expliquer comment j’en viens à faire telle ou telle chose et de montrer le hors-champ ». L’historienne est assez contente d’elle, trouve que ses sujets de recherche se sont bien enchaînés tout en reconnaissant que l’intérêt de l’histoire pour la mémoire des camps s’émousse. L’époque réclame d’autres sujets liés à de nouvelles questions pour la société.
Curieuse une du Figaro littéraire avec « Marseille 1940 » ; l’occasion pour le journal de revenir sur la présence des intellectuels dans la ville au moment de la Seconde guerre mondiale. En fait, il n’y a pas tant que cela de Marseille dans ce cahier, plutôt une évocation des artistes qui s’exilèrent plus ou moins durablement à cette époque (mais pas nécessairement au départ de Marseille dans le cargo aménagé le Capitaine-Paul-Lemerle) ; on y retrouve Breton, Man Ray, Lévi-Strauss, Anna Seghers… En revanche Thierry Clermont relève que Benjamin Fondane optera comme Desnos pour la résistance de l’intérieur et connaîtra la même fin dans les camps. Des pans d’histoire apparaissent comme celle de l’organisation de réseaux de « l’élite », la résidence Air-Bel qui accueille les artistes en attendant leur transfert.
Une guerre toujours, mais celle d’Ukraine en une du Monde des Livres. Le journal qui a pris le tournant de l’engagement depuis quelque temps déjà revient dans un article rigoureux de Florent Georgesco sur la tentative d’éradication des bibliothèques en Ukraine au cours des bombardements. Mais cela va plus loin avec les 227 personnalités du monde des lettres tuées depuis 2022. Deux jeunes femmes nous dit FG ont créé des projets visant à maintenir la mémoire des auteurs disparus, voire à développer l’histoire de la tentative d’éradication de la mémoire ukrainienne, y compris à l’époque soviétique. Les avoir accueillis y compris les vivants dans les pages de nos cahiers livres apparaît de plus en plus comme une nécessité de la culture contre la barbarie.
Dans le Pêle-mêle
Ça continue pour Mia Couto à qui le Figlitt consacre un article en forme d’hommage, notamment avec la publication de ses poésies et en raison de sa vision de la guerre civile au Mozambique ; « son besoin de consolation impossible à rassasier, devient universel » souligne Sébastien Lapaque. On le dit nobélisable, en général ça ne porte pas chance. On notera aussi la multiplication des articles consacrés à Lauren Groff pour son roman qui relate la vie d’une jeune fille à la peau foncée contrainte de suivre sa maîtresse dans les nouvelles colonies des futures USA et qui devra fuir vers l’Ouest. « Un cri féministe, une critique du sort fait aux plus faibles ainsi qu’un formidable hommage à leur force cachée, nous dit Marianne Meunier. Gaëlle Josse fait aussi partie des autrices et auteurs de cette rentrée de janvier ; « On se demande nous dit Christophe Henning, s’il n’y a pas un peu de l’existence de l’autrice dans ce périple » ; oui mais pas sous forme autobiographique répond-elle (en substance) « il y a quelque chose qui m’est complètement propre, mais je ne vois pas l’intérêt de me mettre en avant » L’histoire ? Une femme, Agnès, se rend au Musée des relations rompues dans la ville de Zagreb pour y déposer un objet témoin de son amour perdu. Une rentrée riche nous avait-on promis.
On se replonge dans l’actualité dès les prochains jours.
Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)
L’Humanité – Le Rendez-vous des livres | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Bristol | Jean Echenoz | Minuit |
Libération | ||
Titre | Auteur | Editeur |
SAMEDI | ||
J’écris l’Iliade | Pierre Michon | Gallimard |
Carnes | Esther Teillard | Pauvert |
Départs de feu | Olivier Cadiot | P.O.L |
Rien n’est plus grand que la mère des hommes | Diana Filipova | Albin Michel |
Carnet de Londres | Lorenza Mazzetti | La Baconnière |
Vie de Gilles | Marie-Hélène Lafon | Éd du Chemin de fer |
La Naturalisation | Zied Bakir | Grasset |
Nage libre | Jessica Anthony | Le Cherche Midi « Vice caché » |
L’Ours ! L’Ours ! | Julia Philips | Autrement |
Introduction à la philosophie politique | Jonathan Wolff | Eliott Éds « La Part des choses » |
Tout le monde garde son calme | Dimitri Kantcheloff | Finitude |
Le Génie de Beyrouth TI. Rue de la fortune de dieu (BD) | Sélim Nassib & Lena Merhej (ill) | Dargaud |
Tout le monde aime Clara | David Foenkinos | Gallimard « Blanche » |
JEUDI | ||
Itinérances | Annette Wieviorka | Albin Michel |
Premiers cris. Les mystères de la néonatalogie | Clémentine Goldszal | Seuil |
Les Routes de la soif. Voyages aux sources de la mer d’Aral | Cédric Gras | Stock « La Bleue » |
Après la violence. Réflexions d’un fils du Sentier Lumineux | José Carlos Agüero | Terres de feu |
Le Figaro littéraire | ||
Titre | Auteur | Editeur |
L’Accident | Jean-Paul Kauffmann | Équateurs |
Marseille 1940. Quand la littérature s’évade | Uwe Wittstock | Grasset |
Jeux de lumière | Daniel Kehlmann | Actes Sud |
Un Exil combattant. Les artistes et la France 1939-1945 | Catalogue expo (coll) | Gallimard/Musée de l’armée |
Mon vrai nom est Elisabeth | Adèle Yon | Éds du Sous-sol |
Riens | Régis Debray | Gallimard |
L’Avenir | Stéphane Audeguy | Seuil |
Terre somnambule | Mia Couto | Métailié |
Traducteur de pluies | Mia Couto | Chandeigne & Lima |
Rappel à la vie | David Park | Table Ronde/Quai Voltaire |
Un Été à soi | Ann Patchett | Actes Sud |
L’Honneur perdu de François Ier. Pavie, 1525 (2e éd) | Jean-Marie Le Gall | PUF |
Domat. Le précurseur du Code civil – 1625-1696 | Jean-Luc A. Chartier | LexisNexis |
Albert Schweitzer | Matthieu Arnold | Fayard |
Le Lit clos | Sophie Brocas | Mialet Barrault |
Ariel dans l’orage | André Suarès | Le Condottiere |
Commissaire Kouamé T3. On ne fait pas de feu sous un arbre en fleur (BD) | Marguerite Abouet & Donatien Mary (ill) | Gallimard BD |
Correspondance 1973-2016 | Michel Déon-Pierre Joannon | La Thébaïde |
Cahiers Christine de Rivoyre n°5. Correspondance | De Rivoyre- François Nourrissier | Les Amis de Christine de Rivoyre |
La Croix – Livres et Idées | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Les Bouchères | Sophie Demange | L’Iconoclaste |
Un Homme seul | Frédéric Beigbeder | Grasset |
Les Terres indomptées | Lauren Groff | L’Olivier |
Notre-Dame de l’univers. L’univers de Notre-Dame | Philippe Le Guillou | Gallimard |
Les Lieux de Napoléon | Charles-Éloi Vial | Perrin |
De nos blessures un royaume | Gaëlle Josse | Buchet Chastel |
Le Monde des livres | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Regarder les femmes regarder la guerre. Ukraine. Journal interrompu | Victoria Amelina | Flammarion |
Une Lettre de l’Est. Voix plurielles de femmes ukrainiennes | Inna Shevchenko | Des Femmes-Antoinette Fouque |
Notre Guerre quotidienne | Andreï Kourkov | Noir sur Blanc |
Carnets d’Ukraine | Michel Hazanavicius | Allary |
The Ukraine | Artem Chapeye | Bleu et Jaune |
L’Avenir | Stéphane Audeguy | Seuil |
Des Milliers de ronds dans l’eau | Claro | Actes Sud |
L’Affaire Charlotte Anslo | Claire Delannoy | Albin Michel |
L’Étrangeté de Mathilde T. et autres nouvelles | Gaël Octavia | Gallimard « Continents noirs » |
Un Jeu sans fin | Richard Powers | Actes Sud |
Contrechamp | Edith Bruck | Seuil |
L’Âge fragile | Donatella Di Pietrantonio | Albin Michel |
Journal d’adieu | John McGahern | Sabine Wespieser |
Un Seul œil. Les enquêtes de Diou Boccanera tome 5 | Michelle Pedinielli | L’Aube « Noire » |
Je veux regarder longtemps leurs visages | Thomas Vinau | La Fosse aux Ours |
La Main qui guérit | Lina María Parra Ochoa | Les Escales |
La Mère des palmiers | Nasim Marashi | Zulma |
Grandir en cité. La socialisation résidentielle de « jeunes de cité » | Mickaël Chelal | Le Bord de l’eau « Documents » |
Une Affaire de style | Denis Grozdanovitch | Grasset |
Spinoza : substance et pensée | Yitzhak Y.Melamed | PUF « Epimethée » |
J’écris l’Iliade | Pierre Michon | Gallimard |
Histoire globale des techniques | Dir : Guillaume Carnino, Liliane Hilaire-Pérez, Jérôme Lamy | CNRS Éditions |
La Maison aux mille étages | Jan Weiss | Le Livre de poche |
Le Golem (1ère éd 1915) | Gustav Meyrink | Points |
Les Drames de Paris II. L’Héritage mystérieux T2 | Pierre Alexis de Ponson du Terrail | Dix/Dix-huit |
Heidegger. Pensée de l’être et origine de la subjectivité | Maxence Caron | Les Belles Lettres |
Textes de soutien à Boualem Sansal |