Chronique 25-3 du 18 au 31 janvier 2025

Boualem Sansal

Les Unes

Du côté de l’image

C’est la quinzaine de la BD, commencée la semaine dernière avec le Monde des Livres et que poursuivent cette semaine quelques titres, ainsi que le traditionnel N° de Libération entièrement illustré par des auteurs spécialistes du genre. Dans le Monde Jean Birnbaum revenait sur les difficultés du dessin de presse ; citation racontée : un personnage masculin râle « On ne peut plus rien dire ! », sa femme en colère réplique « Tu peux pas dire ça ». On peut dire que Lisa Mandel son autrice souligne ainsi la position quasi intenable pour les dessinateurs aujourd’hui. Le cahier poursuit en passant en revue des albums consacrés à des sujets aussi variés que les super-héros japonais ubérisés, l’alcool en Finlande, les mémoires (délirants) de la femme de Crumb, la fuite de Mussolini ou l’oursonne de Patrick Horvath qui derrière son personnage d’animal débonnaire cache une « serial-killeuse comptant plus de 40 victimes à son actif, toutes choisies au hasard, condition indispensable à son « bien-être. » On notera que l’évènement angoumoisin est maintenant plus présent que le salon du livre jeunesse dans les cahiers littéraires.

Dans le Rendez-vous des livres, l’actualité c’est surtout la contestation du pouvoir de son directeur, lequel a licencié une employée qui signalait le viol dont elle avait été victime en lui conseillant la pilule du lendemain. On imagine les dessins des autrices (et auteurs) et notamment celui de la star Florence Cestac.

Frédéric Pajak n’est pas à Angoulême mais il dessine aussi notamment les biographies de Giacometti et de Malcolm Lowry : « Ce ne sont pas des vies parallèles à la Plutarque mais des vies parallèlement marginales, une double recherche de l’absolu » nous dit l’auteur. Et Philippe Lançon de conclure quant aux recherches de Pajak lui-même : « Entre les deux et à la fin, deux méditations autobiographiques où il fait le point sur sa vie, les changements, le sens de son travail ».

David Olére dessine également mais pour témoigner de ce qu’on hésite à montrer, à savoir le quotidien des Sonderkommandos ; il illustre donc l’article consacré par Livres et Idées à la publication des Cahiers d’Alter Fajnzylberg. L’auteur les a longtemps conservés en les mettant à distance enfermés dans une boîte que son fils unique finira par ouvrir. « Il nous revient à présent de les lire au grand jour » nous dit Béatrice Bouniol. Comme en écho le LibéJ de la même semaine donne à entendre les voix des filles de Birkenau recueillies par David Teboul dont Virginie Bloch-Lainé rend compte « il y a dans le mot « filles » une liberté, une insouciance, une légèreté qui tranchent avec le nom du camp ». Filles parce qu’elles se chamaillent parfois par rapport à leur mémoire ou à leurs positions sociales respectives. Filles également pour leur vitalité et leur jeunesse.

La semaine suivante, si elle traite du festival d’Angoulême en une, La Croix réserve pour son cahier livre une autre forme de culture populaire avec Pierre Lemaitre dont Christophe Henning est « fan ». Il distingue donc entre ceux qui « connaissent déjà » et « les autres » qui s’y retrouveront sans avoir parcouru les deux premiers volumes de la tétralogie. A présent les héros parentaux commencent à mûrir ou fatiguer, les enfants demeurent dans leur posture d’enfant, et, « à l’aube des années 1960 », « le feuilletoniste fait virevolter les petites histoires. » A rapprocher, nous dit le critique, des séries télé et de leurs rebondissements « faits de personnages secondaires qui, d’un coup surgissent, tels un voisin libidineux ou une religieuse à cornette ». Mon Dieu !

Listes

Cette quinzaine le Figaro littéraire offrait deux cahiers que l’on retrouve chaque année, celui des meilleures ventes de romans et celui des primo-romanciers de la nouvelle année. Il y a encore deux ou trois ans, les chiffres des ventes se trouvaient en dernière page ; à présent ils ouvrent le bal ; on notera qu’à l’éternel match Musso/Lévy succède le raz-de-marée de la romance avec 6 autrices dans les dix premiers, Mélissa da Costa première… et Musso deuxième. S’ils reconnaissent que les chiffres reflètent ce que les Français lisent, Mohammed Aïssaoui et Alice Develey commentent ainsi la réactivité des éditeurs français sur ce marché : « certains claironnent qu’ils vont lancer une collection de « romance » ou de « dark romance », comme s’ils avaient enfin compris l’ampleur du phénomène et que la solution était toute trouvée. Sauf qu’ils ont cinq années de retard. Le phénomène est déjà ancien. »

Du côté des primo-romanciers, nous renvoyons au tableau mais nous signalons que certains sont déjà connus à l’image de Rim Battal qui possède une carrière de poétesse et de photographe et qui bifurque vers l’autobiographie ou l’auto – non fiction, avec l’histoire d’une éducation marocaine entre mère et tante, « deux espèces de dictateur domestique » et violentes. Jean Villemin est un primo-romancier de 71 ans qui a déjà écrit des romans graphiques pour la jeunesse et réalisé des commandes publiques pour des sculptures. Il se risque du côté du roman fantastique en imaginant une cité entre utopie et désert des Tartares, cité cernée d’herbes denses dont l’activité n’est jamais clairement définie.

Côté actualité

Tout est dit par Sophie Joubert (le RVDL) qui évoque une « figure paternelle de substitution » qui a commis des « agressions pédocriminelles ». Constantin Alexandrakis l’interroge dans sa propre existence mais interroge également la figure du père de manière systématique : « Le père a toujours besoin de se questionner comme agresseur, d’assumer ce danger intérieur, dans son corps d’homme, dans ses érections ». Disons donc un écrivain sans concession.

« Que dire alors – demande François Angelier – quel air entonner pour un empire dont le César est un punk syrien de seize ans, fastueux et incandescent, diva queer et pontife païen » (MDL) Ce sera le livre de Guillaume Lebrun qui le dira, décrivant le déluge de sacrilèges et d’orgies qui s’abat sur la Rome impériale. Un empereur qui se veut impératrice, épousant la grande vestale en principe vouée au célibat absolu et qui choisit ses amants parmi les centurions aussi bien que les gladiateurs. Le style ? « Une forme qui marie fluidement puissance des monologues et visions descriptives, sacralité et pornographie » Le résultat ? « L’uppercut le plus tonique de cette rentrée littéraire hivernale » Rappelons que François Angelier est le spécialiste des mauvais genres artistiques pour France Culture.

Rachel Kushner se rapproche du terroir français dans une fiction inspirée de l’affaire de Tarnac ; elle pense que la campagne française est le véritable lieu de la révolution en France, mais elle insiste auprès de Thomas Stélandre sur le fait qu’il s’agit avant tout d’une fiction. « Pourquoi écrire des romans ? Le roman, c’est comme un univers parallèle. Je cherche toujours dans la fiction l’image qui reflète la réalité mais avec une enveloppe hallucinogène. » Une agente du FBI, condamnée pour avoir incité un jeune homme à commettre des attentats, se trouve au centre de l’intrigue qui la voit infiltrer une communauté du type de celle de Tarnac. (LibéS)

Une quinzaine rudement dense qui semble confirmer la richesse de la rentrée de janvier. A la quinzaine prochaine en attendant le retour de notre rythme hebdomadaire.

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Index des articles parus dans la presse semaine du 24 au 31 janvier (cliquer pour télécharger)

Semaine du 18 au 24 janvier 2025

Semaine du 25 au 31 janvier 2025