Revue de presse du 4 au 10 janvier 2025
Tableau des parutions en fin de chronique
par Frédéric Palierne
dessins par Jean-Marc Vulbeau
corrigée par Cécile Lorgeoux
et mise en ligne par Jacques Chaumet
Cette semaine, l’actualité de rentrée montre qu’on n’en a pas terminé avec le thème de la famille et surtout des comportements paternels déviants ou, au contraire, tristement banals. La plupart des unes et la majorité des romans en vue traitent de la question. Le spectre de la Seconde guerre mondiale resurgit également dans les récits. Heureusement, il nous reste un Marivaux quasiment féministe
Les Unes
Un nouveau roman de l’emprise ouvre Livres et Idées avec Camille Laurens, dont l’héroïne, Claire, doit se justifier devant un tribunal de ne pas avoir voulu la mort de son compagnon. Ce dernier, marionnettiste (tandis qu’elle est écrivaine) n’a pas respecté leur pacte de liberté de création ; il jalouse la réussite de Claire et décide d’étouffer son talent. Elle va accepter dans un premier temps une domination suicidaire. C’est la première des variantes de la semaine.
Autrice qui a elle aussi connu l’emprise, Vanessa Springora est une des vedettes de la rentrée. Elle tient la une du Rendez-vous des livres et du dossier du Figaro littéraire. Il faut dire que son nouvel ouvrage crée la surprise. On y découvre un père abandonnique et malsain, qui, après avoir prêché l’ordre toute sa vie, meurt en reclus dans la crasse de son appartement. Dans ses affaires, les photos du grand-père de Vanessa… en uniforme nazi. Cet homme qui l’a partiellement élevée, n’est pas le héros fugitif qu’elle croyait, mais un auxiliaire Sudète des nazis et elle ne s’appelle pas Springora mais Springer. Bref, après la pédocriminalité, elle enquête sur le fascisme, qu’elle associe : « même volonté d’hégémonie, d’imposition d’un récit à l’autre, même désir de négation et d’écrasement » nous dit Muriel Steinmetz.
Dans le Figaro littéraire Vanessa Springora tient compagnie à Beigbeder pour ce qui du père surplombant, à Blandine Rinkel et Marie Nimier pour la dimension cruelle et la pression familiale et à Philippe Vilain pour ce qui est de l’alcoolisme en particulier, même si le trait se retrouve chez la plupart de ces auteurs. De tout cela il ressort que les témoignages convergent davantage sur la dimension globalement patriarcale et viriliste des années 60 que sur des histoires singulières même si les déclinaisons des récits possèdent chacune leur originalité. Hommage tardif au père et volonté de laisser une trace à sa place chez Beigbeder, ambiguïtés de la mère chez Nimier, pardon chez Vilain.
Marivaux féministe ? Pas exactement nous dit Elodie Ripoll dans l’entretien qu’elle accorde à Virginie Bloch-Lainé. Mais il donne la parole aux femmes dans ses œuvres et s’arrange pour qu’elles puissent gagner un maximum de liberté. En cela il est représentatif de son siècle : « C’est le moment où apparaissent deux expressions qui ont connu une longue fortune dans la langue française, « tomber amoureux » et « coup de foudre », qui associent la naissance de l’amour au ressenti du corps, ce qui est totalement nouveau. » La codirectrice de Tomber en amour le confirme « les Lumières inventent, pour ainsi dire, le mariage d’amour. » Des autrices de l’époque (négligées) s’expriment sur le sujet et lèguent par exemple aux récits et aux films des siècles suivants la scène du premier regard, devenue depuis un archétype.
Enfin, la dernière femme de la semaine « prétend venir de la quatrième dimension » dans un roman coécrit par Joseph Conrad et Ford Madox Ford. Collaboration étrange, puisque Ford aide Conrad qui compte sur son entregent pour développer sa notoriété tandis que le premier compte sur le talent de Conrad pour connaître un véritable succès. Après la mort de l’écrivain, FMF se présentera comme « son mentor » nous dit Mathieu Lindon. Le roman est-il intéressant ? Il mélange les prophéties « Mais rappelez-vous que depuis des siècles, la vertu de demain a toujours été l’ignominie d’aujourd’hui » et les projets des Dimensionistes qui tentent de mettre la planète en esclavage en traitant les humains comme ceux-ci ont traité les « indigènes. » L’essentiel de leur projet ? « Il s’agit de civiliser le Groenland à coup de voies ferrées et autres modernités. » car les envahisseurs se présentent comme, et c’est le titre du livre, Les Héritiers du monde. Une fiction au parfum de Musk.
Dans le pêle-mêle
Florence Seyvos n’est pas en une, mais, elle aussi, évoque la figure masculine abusive à travers celle de son beau-père. Ce n’est pas le père mais le comportement est le même que celui évoqué plus haut : mainmise sur la famille, parade égocentrique liée aux affaires, et volonté de façonner les enfants tout en les décevant sans cesse (Figlitt, LibéS). Une famille plutôt heureuse dans La Colline qui travaille, roman de Philippe Manevy qui retrace sur plusieurs générations et avec une certaine nostalgie les traces d’une famille « Parce que je me cherche en eux, et dans notre passé disparu. (LibéS, MDL) » Deux beaux articles autour du dernier roman de Michèle Audin qui délègue une narratrice à Strasbourg pour enquêter sur les malgré-nous, sans a priori mais avec la volonté d’aller au fond des choses, ce qui ne semble pas facile. « Michèle Audin signe un roman aux accents modianesques où les silences d’hier font écho aux non-dits d’aujourd’hui » affirme Sophie Joubert (Huma, MDL). Enfin, l’achèvement de la trilogie à la fois policière et en forme de roman urbain de Richard Russo a séduit Figlitt et MDL. Partant de la disparition d’un personnage et de sa ville, absorbée par sa voisine, le romancier réussit à créer une intrigue complexe. Si le lieu central du livre est métaphorique, le tabouret de Sully dans un bar, lieu consacré -au sens propre- il s’agit de démêler une intrigue policière qui repose avant tout sur les relations entre les personnages.
Pour ce qui est des rencontres et portraits, on retiendra outre l’interview Springora/Steinmetz, un double portrait des frères Rolin dans le Figlitt et en dernière page celui de Kamel Daoud, qu’on rencontre également dans le MDL. C’est Orly Castel-Bloom, israélienne « de gauche » qui clôt ce même supplément avec un roman pré 07 octobre. La dernière page du LibéS est pour un hommage à David Lodge, tandis que la Grande Sophie referme Livres et Idées. Ainsi que cette chronique.
A la semaine prochaine pour la suite de cette rentrée.
Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)
L’Humanité – Le Rendez-vous des livres | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Patronyme | Vanessa Springora | Grasset |
La Maison hantée | Michèle Audin | Minuit |
Quatre couleurs | Thomas Terraqué | Le Nouvel Attila |
Terreur | Ariane Jousse | Eds de l’Ogre « Ogresses » |
Moi ce que j’aime c’est les monstres (BD – tome 2 + rééd tome 1) | Emil Ferris | Monsieur Toussaint Louverture |
Pillow Man (BD) | Stéphane Grodet & Théo Calméjane (ill) | Glénat |
Prédation et coopération entre les êtres vivants. État des lieux des relations planétaires | Fred Brûlé | L’Harmattan |
Course infernale | Alain Mila | Eds Les Impliqués |
Bob Marley & The Wailers 1967-1972 – Soul Revolution | Bruno Blum, Roger Steffens, Leroy Jodie Pierson | Frémeaux et associés |
Le Souverain laborieux. Une théorie normative du travail | Axel Honneth | Gallimard « NRF Essais » |
Les Classes sociales en France | Gérard Mauger | La Découverte « Repères » |
Libération | ||
Titre | Auteur | Editeur |
SAMEDI | ||
Les Héritiers du monde | Joseph Conrad & Ford Madox Ford | Arfuyen « Le Rouge & Le N » |
Ecouter les eaux vives | Emmanuelle Favier | Albin Michel |
Bristol | Jean Echenoz | Minuit |
L’Avenue de verre | Clara Breteau | Seuil |
Vies et morts de Sophie Blind | Susan Taubes | Rivages |
Le Boucher des Hurlus | Jean Meckert | Ronces éditions |
Pussy suicide | Rosanna Lerner | Grasset |
La Colline qui travaille | Philippe Manevy | Le Bruit du monde |
Naviguer à l’oreille | Rosie Pinhas-Delpuech | Actes Sud |
Espionner, mentir, détruire. Comment le cyberespace est devenu un champ de bataille | Martin Untersinger | Grasset |
Ô mes ami.es ! | Marielle Macé | Bayard « Les Petites conférences » |
Un Perdant magnifique | Florence Seyvos | L’Olivier |
Atlas inutile de Paris | Vincent Périat | Le Tripode |
Hommage à David Lodge | ||
JEUDI | ||
Tomber en amour. Enquête sur la naissance du sentiment au XVIIIe siècle | Élodie Ripoll & Catherine Gallouët (Dir) | Classiques Garnier |
Michel Foucault. Entretiens radiophoniques 1961-1983 | Henri-Paul Fruchaud | Flammarion/Vrin/INA |
Relations interdites. Prisonniers de guerre français et femmes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale | Gwendoline Cicottini | Maison des Sciences de l’homme |
Les Exilés. Trois destins bouleversés par l’Histoire | William Atkins | Albin Michel |
Le Figaro littéraire | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Prisonnier du rêve écarlate | Andreï Makine | Grasset |
Un Homme seul | Frédéric Beigbeder | Grasset |
La Faille | Blandine Rinkel | Stock |
Patronyme | Vanessa Springora | Grasset |
Le Côté obscur de la reine | Marie Nimier | Mercure de France |
Mauvais rêve | Philippe Vilain | Robert Laffont |
Tous passaient sans effroi | Jean Rolin | P.O.L |
Vers les îles Eparses | Olivier Rolin | Verdier « Jaune » |
Un Perdant magnifique | Florence Seyvos | L’Olivier |
Le Prix de la victoire | Karl Marlantes | Calmann-Levy |
La Maison du magicien | Emanuele Trevi | Philippe Rey |
Le Testament de Sully (3e volet trilogie après Un homme presque parfait et À malin, malin et demi) | Richard Russo | La Table ronde « Quai voltaire » |
Le Prince de Ligne. L’esprit des Lumières | Benoît Florin | Perrin |
Les Incas. XIIIe-XVIe siècle. Croyances, sacrifices, écritures… les dernières découvertes | Peter Eeckhout | Tallandier |
L’Affaire Gustav Wagner. Résolution d’un cold case nazi de 40 ans | Laurent Pfaadt | Fayard |
Malestroit. Vie et mort d’une résistante mystique | Jean de Saint-Cheron | Grasset |
Moi ce que j’aime c’est les monstres (BD – tome 2 + rééd tome 1) | Emil Ferris | Monsieur Toussaint Louverture |
Vieille menteuse | Anne Fine | L’Olivier |
Les Grandes énigmes de l’Histoire | Jean-Christophe Petitfils (Dir) | Perrin |
Actuelles. Vol. 4. Face au tragique de l’histoire | Albert Camus | Gallimard « Blanche » |
La Croix – Livres et Idées | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Ta Promesse | Camille Laurens | Gallimard « Blanche » |
Les Trois femmes de ma vie | Dominique Fernandez | Philippe Rey |
A Contre-jour (Trilogie de Helsinki – tome 2 sur 2) | Pirkko Saisio | Robert Laffont |
Actuelles. Vol. 4. Face au tragique de l’histoire | Albert Camus | Gallimard « Blanche » |
Le Fantôme de l’architecte | Benjamin Leclercq | Parenthèses |
Tous passaient sans effroi | Jean Rolin | P.O.L |
Tous les jours, Suzanne | La Grande Sophie | Phébus |
Le Monde des livres | ||
Titre | Auteur | Editeur |
Safari | Sabri Louatah | Flammarion/Versilio |
Houris | Kamel Daoud | Gallimard « Blanche » |
Le Ciel est mon drapeau | Vidya Narine | Les Avrils |
L’Hospitalité au démon | Constantin Alexandrakis | Verticales |
La Colline qui travaille | Philippe Manevy | Le Bruit du Monde |
La Longe | Sarah Jollien-Fardel | Sabine Wespieser |
Le Testament de Sully (3e volet trilogie après Un homme presque parfait et À malin, malin et demi) | Richard Russo | La Table ronde « Quai voltaire » |
Fracassé | Hanif Kureishi | Christian Bourgois |
En Résidence surveillée | Evgueni Kharitonov | Perspective Cavalière |
Cairns | Martin Baldysz | Paulsen |
Le Lac de la création | Rachel Kushner | Stock « La Cosmopolite » |
Vers la joie | Laurence Tardieu | Robert Laffont |
Francisco | Alison Mills Newman | Zoé |
Mère est-elle morte | Vigdis Hjorth | Actes Sud |
Paris-Babel. Histoire linguistique d’une ville-monde | Gilles Siouffi | Actes Sud |
Servitudes et grandeurs des disciplines | Coll. | Gallimard « NRF Essais » |
Sauver la démocratie dans un monde dangereux (n°spécial 25 ans) | Yves Charles Zarka (Dir) | Revue Cités n°100 – PUF |
Le Perroquet. Entre Orient et Occident | Patricia Victorin | PUR « Epures » |
Biotope | Orly Castel-Bloom | Actes Sud |