Chronique 27 du 22/11/2024

Les Unes

Engagements…

Le Monde des livres continue sa conversion en monde des idées. Ainsi porte-t-il en une l’ouvrage « somme magistrale » de l’ancien juge de la cour suprême Stephen Brayer, Ce dernier a laissé sa place avant terme (la mort) pour qu’un autre juge, plus jeune, perpétue la vision progressiste de la constitution. Il oppose donc la vision intentionnaliste, qui suit l’évolution des époques et originaliste qui suppose un cadre figé une fois pour toute, y compris – et c’est là l’aberration – sur des sujets impossibles à envisager à l’époque de sa rédaction comme le numérique par exemple. Son choix va vers la première évidemment, mais il n’est pas très suivi ces derniers temps.

La semaine suivante c’est Elisabeth Roudinesco qui tente de sortir Derrida de son purgatoire en en faisant le maître des fantômes, d’Hamlet à Marx à tel point que son invention, « l’hantologie » ou logique de la hantise, est reprise par beaucoup. Explication de l’autrice : « L’Europe doit s’imposer un travail de deuil, donner la parole à tous les spectres, c’est-à-dire la pluralité des langues et des récits, réunir le temps disjoint et le temps de l’avenir, la pensée de la spectralité et celle de l’imprévisible. » L’effet Haloween ?

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Comme La Croix, l’Huma n’offre qu’un seul cahier sur ces deux semaines, mais c’est pour mieux rendre hommage à Madeleine Riffaud, nous citons : « Dans son appartement parisien, la vieille dame, front plissé, traits durs, regard perçant malgré la cécité, dépliait d’elle-même un récit sûr, précis, ponctué du pépiement des oiseaux qui l’entouraient, dans leurs grandes volières. Vêtue de noir, ses longs cheveux toujours nattés de côté, elle fumait, en se remémorant l’intime et l’histoire, et jusqu’à la première blessure, longtemps enfouie dans l’oubli, un viol enduré alors qu’adolescente, elle devait passer la ligne de démarcation pour rejoindre le sanatorium ». (07)

La semaine précédente, Azar Nafisi montrait que cet esprit de résistance est bien vivant et incarné par une figure féminine. Partie d’Iran, l’autrice a dit adieu à l’idée de stabilité, « J’ai donc créé, où que j’aille un « monde portatif » – expression volée à Nabokov – constitué de livres. Je transporte ma bibliothèque où je veux. » Avec Lire dangereusement, elle utilise les œuvres de fiction comme des armes nous dit Muriel Steinmetz pour combattre « la pensée unique, la polarisation imbécile. Car dit Azar Nafisi : « Un livre de fiction est dangereux pour un Khameney ou un Trump. La littérature a toujours à voir avec la vérité. Les tyrans en ont peur. Il leur faut supprimer écrivains et lecteurs pour exister. Le combat à mener dépasse la simple politique. C’est un combat pour la vie ». (2­6)

Engagés, les auteurs qui défendent l’Amazonie le sont dans les colonnes du Figaro littéraire (2) s’y côtoient donc Lévi-Strauss avant l’écriture de Tristes tropiques dont on découvre qu’il rencontre Mario de Andrade à la fois chercheur et activiste promoteur d’une « science nouvelle » mêlant littérature, musique, anthropologie, etc., et proprement brésilienne par-dessus tout. On découvre également que c’est Dina Dreyfus, sa future femme qui l’a guidé vers ce territoire de recherche. Cahier complété par Jean-Christophe Rufin, textes et images (aquarelles) et la somme de Márcio Souza Amazonie soit l’histoire complète de ce milieu qui échappe à la notion de pays.

Avec le monde réel on fait de la bonne littérature nous dit également le Figlitt (07). Comprendre : les sujets empruntés à notre monde, à notre histoire récente permettent l’écriture d’intéressantes « narrative non fiction » comme disent les Américains. Le cahier s’ouvre avec le livre que consacre Monica Potts aux trajectoires divergentes de deux amies nées en Arkansas ; l’une s’échappe pour réussir, l’autre reste sur place et sombre, autrement dit l’amie prodigieuse mais sans issue. Et aussi Conan Doyle en reporter de la guerre des Boers, Sylvain Prudhomme qui raconte son périple le long de la frontière mexicaine sous le premier mandat de Trump ou les ateliers d’écriture de Nicolas Fargues derrière les barreaux, titre intéressant On est le mauvais garçon qu’on peut. Enfin signalons le livre de Patrick Raden Keefe constitué de chapitres consacrés à des personnages aussi différents que le trafiquant El Chapo et le chef suicidé Anthony Bourdain. Le titre est un poil racoleur Voleurs ! Bandits ! Escrocs !

Littérature

En plaçant en une le roman d’Hélène Gaudy, le cahier livres de La Croix ne fait pas un rattrapage de la rentrée mais souligne l’intérêt de cette autrice. Christophe Henning ne dit pas que les prix se sont trompés mais fait la part belle à ce récit qui raconte le père de l’autrice, au gré des objets que celui-ci a accumulé dans son atelier-mémoire : « Mais que peuvent raconter ces masques africains, ces toiles indiennes, les ficelles mélangées, les enclumettes de fer forgé… » Il y a aussi les poèmes, un par jour, 14000 au total qui remplacent d’une certaine manière l’échange direct avec les proches. Une défense critique à souligner parce qu’elle échappe à l’actualité directe pour promouvoir un auteur marquant aux yeux de Christophe Henning.

Deux semaines qui se suivent mais ne se ressemblent pas pour le Libération du samedi soit, le 26 octobre Les Chevaliers et le 2 novembre Joyce Carol Oates et son Boucher. Mathieu Lindon se laisse donc tenter (25) par les beaux chevaliers de la Table ronde rassemblés, armes et généalogie dans une « encyclopédie illustrée où ils sont anatomiquement et psychologiquement décrits » C’est un des premiers beaux livres de l’année et il est vrai qu’on en rencontre beaucoup « d’un des plus beaux chevaliers du monde et des « bien formés » et des « bien bâtis ». Il y en a 174 : les vedettes bien sûr, Lancelot, Galaad, Tristan mais aussi Rousselin du Haut Mont, Lupin des Croix ou Meliadus le Blanc, voire Galehaut qui voudra partager la tombe de Lancelot.

Et hop, semaine suivante (le 7) c’est Joyce Carol Oates interviewée pour Boucher : le cas d’un médecin gynécologue, qui expérimente de nouveaux traitements sur des femmes pour les délivrer de ce qu’il appelle leur folie. Il se concentre sur l’aspect physique, renouvelant sans cesse ses recherches sur des femmes noires ; il est totalement dénué d’humanité dans ses pratiques mais parvient néanmoins à des résultats et l’une de ses victimes reste vivre avec lui : « Je ne dirai donc pas que c’est un roman brutal. Je crois qu’il existe des possibilités romantiques dans la vie et que des relations heureuses peuvent en découler. »

Une quinzaine qui n’oublie pas pour autant les sorties (on en reparlera) mais épouse les goûts des auteurs. A la prochaine quinzaine donc !

Index des articles parus dans la presse de la semaine passée (cliquer pour télécharger)

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Revue de presse du 2 au 8 novembre