Chronique 26 du 04/11/2024

Chronique 26 du 04/11 2024

Revue de presse du 12 octobre au 25 octobre 2024

Tableaux des parutions en fin de chronique

par Frédéric Palierne

dessins par Jean-Marc Vulbeau

Les Unes

Deux tendances traversent cette dernière quinzaine ; des unes qui évoquent le mal sous plusieurs formes (approche d’Halloween ? de Trump ?) toutes violentes, des exécutions aux coups mais aussi le mal avec lequel on joue dans la littérature fantastique.

Le Mal c’est, par exemple Odilo Globocnik, « un grand criminel de guerre nazi, rouage essentiel de la destruction des Juifs de Pologne » nous dit Frédérique Fanchette de LibéS. Josef Winkler en parle dans son dernier roman sobrement intitulé Le Champ. Le rapprochement entre les deux n’est pas nécessairement facile sauf à savoir que le cadavre du premier, suicidé au cyanure, est enterré dans le champ du père de l’auteur. Ce père n’a évidemment jamais raconté à sa famille cette fin très étrange. D’où la réflexion de l’auteur : « Sur ce champ, on a cultivé des céréales, depuis ce sol où était enterré ce seul cadavre, il y a eu des tonnes de céréales conduites au moulin qui s’appelle Kunstmühle Zeiler. Le moulin est désaffecté, mais il y a toujours le nom écrit. Et donc en Carinthie, région où le populisme a beaucoup de succès, d’où vient le leader d’extrême droite Jörg Haider, il y avait le cadavre et la farine diffusée dans le pays entier. C’est pourquoi cette extrême droite ne passe pas. » Citation un peu longue certes mais qui met au point ce qui fait farine dans la littérature.

Le Figaro littéraire se fend d’une trinité fantastique commençant avec Poe, mais retient surtout les deux noms de Lovecraft et Bradbury. Le premier accède à la « Pléiade » et le second au plus modeste « Quarto ». On retiendra le rôle essentiel de Lovecraft dans la science-fiction d’horreur et que lui-même a été très influencé par le génial Arthur Machen, un Gallois dont Borges disait qu’il vérifiait l’adage des Celtes.  « Et toujours ils entrèrent dans la bataille et toujours ils succombèrent. » Machen est vraiment l’ascendant de Lovecraft mais pas dans la « Pléiade »

Un retour dans la Chine de Mao avec Tania Branigan dans le LibéJ (24) ; elle raconte les ravages causés par la Révolution culturelle, ce que nous savons déjà par l’excellent Simon Leys ; mais elle ajoute cet intéressant point de vue sur son écriture : « Je ne souhaitais pas écrire un livre de héros et de méchants parce que, d’une certaine manière, l’histoire de la Révolution culturelle est en partie l’histoire de la création d’un mode de pensée dans lequel les gens voient des bons et des méchants » A méditer.

Florent Georgesco évoque en une du Monde des Livres la littérature lituanienne. Pourquoi ? Parce que ce pays est l’invité de l’année aux « saisons culturelles étrangères ». Alexandra Schwartzbrod de Libération s’était rendue sur place, Florent Georgesco quant à lui, attaque par la Vilnius Review dont le titre sobre Littérature contemporaine de Lituanie, devient un bandeau épique à la une du MDL « Les écrivains lituaniens à la conquête du monde. » La présentation des œuvres, dans le dossier commence avec celle d’Oskar Władysław de Lubicz Miłosz, qui a durablement marqué les lettres françaises ; mais comme pour Libé, l’écrivain qui sert de point de repère aujourd’hui est Sigitas Parulskis qui revient sur la Seconde Guerre mondiale et l’exécution des Juifs de Vilnius par les supplétifs locaux des Allemands. On a salué son ouvrage en Lituanie tout en lui reprochant de ne parler que des méchants. « On ne change pas l’histoire. On ne blanchit pas le passé parce qu’on a appris à le regarder en face. On ne répare rien quand on demande pardon. Ce qui est sale dans l’histoire restera sale quoi qu’on fasse. »

Livres et Idées met l’un de ses collaborateurs à l’honneur avec Frédéric Boyer en une. Son dernier récit est consacré au mal. Lequel ? Celui de la mort d’une fillette sous les coups de ses parents : « La part que nous ajoutons dans nos récits, c’est à la fois la part du diable et celle de notre peur, de notre impuissance devant les faits » souligne l’auteur. Il mène une enquête qui met en évidence la maltraitance, approcher la vérité à l’os, qui poisse et ne se décolle pas » nous dit Christophe Henning. De là à parler d’un livre « coup de poing »…

Avec Histoire d’une domestication, l’écrivaine Camila Sosa Villada est en une du Rendez-vous des livres. Elle est également en lice pour le Fémina étranger et engagée : « Mon propos est le déclin du sauvage vers l’hétérosexualité, je parle d’hétérosexualité au sens politique, comme un système produisant un type de famille qui doit accumuler des richesses, laisser des héritiers ». L’héroïne en est une actrice spontanée, transsexuelle, violée par son metteur en scène, mais rien de manichéen ou de simpliste dans ce roman, pas de procès simpliste.

C’est en définitive une grande question de la littérature, celle du Mal qui sert de point de rencontre à nos auteurs de la quinzaine.