Chronique 23 du 25 septembre 2024

Justine Augier et sa lutte contre Lafarge en une du Rendez-vous des Livres. Le cahier livre de l’Huma revient sur cette affaire en compagnie de l’autrice qui insiste sur le choix de l’écriture fictionnelle en réaction au temps long du procès, sans cesse freiné par les avocats : « La littérature a quelque chose à voir avec la justice, on y travaille la temporalité, l’idée de conséquence, de responsabilité. » En lien avec l’équipe de juristes qui travaillent pour les associations de victimes, l’autrice montre comment la rédaction précise des plaintes permet de s’opposer à la novlangue criminelle des entreprises. Sophie Joubert confirme : « Elle rééquilibre par la littérature un rapport de force pourtant violemment inégal. » Aujourd’hui, Lafarge reste mis en examen pour « financement d’entreprise terroriste, complicité de crime contre l’humanité et violation d’un embargo ».

Grégory Delaplace est anthropologue et spécialiste du dialogue avec les morts lié aux rituels funéraires. Il évoque donc, dans l’entretien qu’il accorde à Frédérique Roussel dans le LibéJ, la place des morts et surtout ce qu’il nomme leurs débordements. Ils ont beau être contrôlés par les rites et les personnes, chamanes par exemple, ils s’échappent et envahissent l’espace : « Les premiers signes dans la croyance à l’existence posthume des morts, ce sont les rituels funéraires. » Il en cite plusieurs comme celui, rencontré au Vietnam qui consiste à donner de la main droite des offrandes pour les morts de son propre camp et de l’autre pour le camp adverse. Les morts débordent dans nos existences, on peut essayer de les contrôler, via les intermédiaires prévus dans ces rôles.

Pour le Figaro littéraire, le thème de la semaine est la destruction du monde, ou, du moins, les romans qui la proposent : Abel Quentin et sa Cabane, déjà en une du MDL récemment, propose une fiction sur le Rapport Meadows qui, du coup, change de nom dans son récit. Le rapport demeure néanmoins dans son livre, celui du déclenchement de la prise de conscience mondiale d’un malaise lié au réchauffement climatique. Mathieu Larnaudie présente une approche différente puisqu’il s’agit de présenter dans son roman un projet imaginaire de nettoyage des « trash vortex, ces tourbillons créés par la dynamique des courants marins et charriant tous les déchets qui dérivant sur les océans » nous dit Christian Authier. Moralité, les descendants de pollueurs vont continuer de s’accaparer le pouvoir sous couvert de philanthropie. Enfin Malville, raconte comment Superphénix explose, entraînant un nouveau confinement dans un pays gouverné par l’extrême droite ; le narrateur, fils d’un ouvrier de la centrale décrit de sa cave des bords de Loire les prodromes de la catastrophe.

La BD n’est pas épargnée par le thème du danger écologique dans la mesure où Livres et idées met en une un roman graphique écologico-inquiétant : Craig Thompson passe de la panne d’inspiration d’auteur de romans graphiques à son passé de cueilleur de ginseng – c’est le sujet du livre. Aucun rapport ? Eh bien si, car comme le souligne Stéphane Dreyfus « Transfuge de classe, Craig Thompson est mal à l’aise avec son statut d’auteur à succès. C’est avec l’argent de poche gagné à la sueur de son front dans les champs de ginseng qu’il s’achète des bandes dessinées » On notera que ces champs étaient « copieusement arrosés de pesticides… »

On pourrait croire qu’après toutes ces sinistres nouvelles, America, le salon bisannuel du livre américain allait nous remonter le moral. Las, les relations entre Europe et USA sont complètement asymétriques nous dit Florence Noiville : « s’il est difficile de ne pas trouver un Européen passionné de littérature américaine, l’inverse est loin d’être vrai. » Benedicte Lombardo renchérit : « Les Etats-Unis sont auto-suffisants ; leur offre est si importante que les lecteurs ne cherchent pas autre chose.  On est loin du temps où, pour reprendre les propos de Bill Cloonan (professeur à l’Université d’Etat de Floride, « un écrivain américain devait, « pour avoir l’air sérieux », soit « écrire à l’européenne (quoi que cela veuille dire !), soit faire allusion à la culture ou aux techniques littéraires du Vieux Continent. » Cela a bien changé, beaucoup d’écrivains s’intéressent aujourd’hui à l’Asie. Cependant, nous dit le même article, les auteurs reviennent à l’Europe parce que le marché américain repose sur de strictes considérations de rentabilité et surtout à cause des sensitivity readers qui sont là pour couper les scènes susceptibles de choquer certains publics ; donc censurer. Et Florence Noiville de conclure sur ce point « Si les Européens sont peu lus outre-Atlantique, ils sont enviés pour le contexte dans lequel ils écrivent. »

Après autant de messages de l’apocalypse ou de désespoir, on aura du plaisir à retrouver la littérature, fût-elle cruelle, dans le livre que Mariana Enriquez consacre à la figure un peu négligée de Silvina Ocampo. Cette sœur de Victoria Ocampo, la mythique fondatrice de la revue Sur, cette inspiratrice de Borges et de Bioy Casares, par ailleurs son mari, est la moins connue de la bande. L’autrice souligne son originalité : « Aucun de ses amis ne l’a décrite généreuse ou tendre, plutôt extravagante, perverse, brillante ». Des nouvelles. Pourquoi pas de roman ? « Elle ne voulait pas compromettre ce qu’elle faisait, ses nouvelles un peu tordues. » Silvina est un objet important pour Mariana Enriquez dans la mesure où elle écrit des nouvelles elle-même, comme Les dangers de fumer au lit, dont on souligne la cruauté et qui reparaît en poche.

Dans le pêle-mêle

L’auteur de la semaine c’est Abdellah Taïa (LibéS, Figlitt) qui revient par narrateur interposé au Maroc, retrouve les filles de sa famille, devenues femmes « rangées » et se confronte au déni de l’homosexualité, pourtant présente dans les mœurs y compris sous toutes les formes de l’abus sexuel. Sébastien Lapaque est également présent (L&I) avec la rencontre brésilienne, reconstituée autant que réinventée « du juif mélancolique privé de foi et du prophète chrétien de l’espérance » dixit Jean de Saint–Chéron.

Une semaine assez riche qui renouvelle assez largement les titres de la rentrée.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)