Chronique 22 du 20 septembre 2024

Les Unes

Alain Mabanckou l’assure : Angela Davis sera « la rencontre de ma vie ». Elle le poursuit en image depuis le mur de son oncle à Pointe-Noire. « Dans ce livre, il y a deux récits nous dit l’écrivain dans l’entretien qu’il accorde à Muriel Steinmetz celui de ma perception admirative d’Angela Davis et le regard que je porte sur ma propre existence : la naïveté qui était la mienne à cette époque, la présence de mes parents, la situation générale de l’Afrique d’alors pendant que l’Amérique noire était en pleine turbulence. » L’auteur essaie de montrer sa prise de conscience du rôle d’Angela Davis, de tous ses engagements et, à travers elle, du rôle de toutes les femmes : « Elle m’a appris que le pouvoir n’avait pas de sexe. »

Après l’Odyssée des filles de l’Est, l’une des révélations de la rentrée de janvier, voici Femme bleue, un roman qui se propose de retracer l’itinéraire d’une jeune femme tchèque qui cherche à faire sa vie dans Berlin. L’autrice, Antje Rávik Strubel va faire en sorte de la confronter aux chausse-trapes du monde de l’Ouest : « en cause, le regard sur le passé, enterré d’un côté, encore vif, de l’autre. » Des mystères entourent l’héroïne, partie avec ses bottines préférées comme celle d’Elitza Gueorguieva. Ce roman confirme la montée en puissance d’une classe d’écrivains d’Europe centrale, voyageurs, pauvres mais tenant toujours à la littérature. Marianne Meunier souligne l’une des forces du livre : « il prolonge le mystère tout en distillant des indices sur les raisons de ce drame qui rend la jeune femme mutique. Il est question de justice, d’hommes et de violence. »

D’où viennent les écrivains ? de leurs parents, du père entre autres disent une et dossier du Figaro littéraire. Pères sur qui elles et ils écrivent pour des motifs divers mais, contrairement à la tendance majeure depuis deux ou trois rentrées, pour leur rendre hommage. Si Sandrine Roudeix part à la recherche d’un père biologique et Joël Egloff d’un « malgré nous » avec des succès variés, Yves Harté se confronte à la vie du sien d’après les objets qu’il retrouve dans la maison de celui-ci à sa mort. Plus étonnant, Thibaut de Montaigu qui s’inscrit dans une lignée aristocratique oscillant entre réussite et déconvenues et qui voit en Œdipe quelqu’un qui échoue parce qu’il a oublié ses origines. Clémentine Mélois et Hélène Gaudy complètent ce panorama avec leurs pères artistes, taiseux, qu’elles célèbrent l’une par le souvenir, la seconde en visitant son atelier qu’elle déchiffre comme s’il s’agissait d’un texte contenant une vérité.

Louise Chennevière est en une de Libération du samedi 7 septembre pour son roman consacré aux figures de Britney Spears et Nelly Arcan. Interview de la jeune autrice révoltée : « Nelly, sur les plateaux, quand tu la vois, elle est tellement intelligente, tellement sauvage et du coup c’est tellement terrible qu’elle soit réassignée à ça en permanence, à sa beauté plastique. » Elle est en colère contre le système patriarcal de la littérature française qui l’a privée de Nelly Arcan, « La littérature c’est quand même un truc d’espoir profond. » Pour Britney c’est différent elle était fan lorsqu’elle était plus jeune, mais avec de l’espoir : « La fin des temps c’est votre histoire. Nous on n’en est pas là. Nous ça fait cinquante ans qu’on peut avoir un compte en banque. » L’argument laisse muet.

Le Monde des Livres poursuit sa quête de sens et d’idées avec Charles Stépanoff en une. L’anthropologue interroge la place de l’homme dans la nature à la manière de Descola, en proposant de redonner « tout son poids aux discours pratiques (comme la magie) et pensées (mythiques) non occidentales », comme le souligne Nicolas Weill. Il est novateur dans la mesure où il conteste que la naissance de la civilisation moderne soit le seul fait du passage à l’agriculture néolithique mais qu’elle renvoie tout aussi bien aux chasseurs-cueilleurs dont la valeur centrale est l’équité et une relation simple, non anthropocentrée, avec le vivant.

Dans le pêle-mêle

Frédéric Paulin marque cette rentrée avec un roman dont le cadre est le Liban, celui de la guerre civile de 75 à 90, cadre dans lequel il élabore une fiction chorale, personnages de fiction mais très vraisemblables dans ce cadre tourmenté. La brusque remontée des périls dans la région peut motiver encore la lecture. Stéphanie Janicot, du MDL le dit : le livre de Miguel Bonnefoy est à la fois rocambolesque et jubilatoire ; c’est l’histoire de ses grands-parents, très romancée (a minima), enfant abandonné devant une église, réussite, trajectoire typiquement picaresque avec fille écrivaine à Paris à l’arrivée. Ca continue aussi pour Jaenada, portrait en mots-clefs dans le MDL et focalisation sur Modiano, le temps qui passe et, du coup, son goût pour les archives.

On pouvait donc rencontrer cette semaine Claude Stépanoff, Philippe Meirieu et Philippe Nemo en débat et Jaenada en portrait dans le MDL. En dernière page du même, on découvre également grâce à Raphaëlle Leyris, l’étonnante Susie Boyt, autrice anglaise traduite pour la première fois (septième roman), fille de Freud, le peintre et petite-fille de Freud. Elle a suivi une psychanalyse et posé pour son père le tout avec bonheur ; son livre ? « une connaissance du cœur humain admirable. Les authentiques sanglots qu’elle provoque chez le lecteur tiennent à la retenue même du récit. »

Nous sommes à l’orée d’un bilan de rentrée, le mois de septembre s’achève, les gros titres s’essoufflent, une trentaine d’auteurs ont été ramassés dans les mailles du filet.