Chronique 21 du 13 septembre 2024

revue de presse du 1er au 5 septembre 2024

(tableau des parutions en fin de chronique)

par Frédéric Palierne

dessins par Jean-Marc Vulbeau

Les écrivains de la rentrée continuent d’occuper unes et pages intérieures cette semaine. Certains répondent aux attentes d’un public qui les connaît déjà bien en tant que personnalités du monde des lettres, d’autres s’imposent de manière plus inopinée à l’image d’Hélène Gaudy qui offre un échange, et non un règlement de compte, avec son père.

 

 

 

Les unes

Kamel Daoud ouvre Livres et idées, avec son héroïne aux cordes vocales sectionnées. « Fresque intime, conte douloureux à l’écriture ciselée » nous dit Christophe Henning. A propos du voyage de cette femme enceinte, égorgée mais non tuée à l’âge de 5 ans, qui revient selon ses propres paroles « d’entre les morts » vers son village pour témoigner, en compagnie d’un libraire itinérant qui sera sa voix.  « La vérité en Algérie n’est pas seulement travestie, elle est aussi interdite » relève de son côté Virginie Bloch-Lainé, dans LibéS cette fois. Gladys Marivat s’entretient avec l’auteur en page Rencontre dans le MDL, il y avoue son rapport intime avec le rôle de témoin et son goût pour la vérité ; « Seule une narratrice sans corde vocale pouvait parler d’une guerre muette » dit-il, on ajoutera et devenir une héroïne de roman.

Hélène Gaudy est très présente également depuis deux ou trois semaines et en une du RVDL cette semaine notamment. Elle détonne dans la rentrée littéraire, non pas parce qu’elle écrit un roman sur son père, mais parce qu’elle tente, avec empathie, de comprendre l’énigme que représente un parent qui, quoiqu’artiste, ou plutôt parce que, ne parle guère. Elle repart de son atelier pour le comprendre : « il a accumulé ces objets qui sont une sorte de poème matériel, un assemblage qui veut dire autre chose que ce qui se dit en parlant. C’est une autre sorte de langage, plus proche de l’écriture. C’est donc avec l’écriture que j’ai pensé pouvoir comprendre où il allait sans moi. » Son père l’a accompagnée de loin dans l’écriture de ce curieux livre qui rend compte entre autres, de cette tentative de s’exprimer à la manière d’un artiste brut à travers l’organisation de son atelier.

Deux unes de suppléments livres consacrées à l’environnement dans Libération du samedi et Le Monde des livres. Pour la première, elle repose sur un entretien avec Stephen Markley, auteur d’un roman qu’il tient à nommer « épopée sur la crise climatique » et non dystopie. 1050 pages donc, peu optimistes même si leur auteur déclare : « je voulais donner au lecteur la sensation qu’en fait, beaucoup de travail vital peut être accompli dès maintenant. » Il évoque d’ailleurs plutôt son engagement que les aspects littéraires de son œuvre en réponses aux questions d’Isabelle Hanne. Le sujet de l’urgence climatique y est davantage présent que celui de la littérature ; ainsi, s’il écrit un roman, c’est pour, dit-il, impliquer les lecteurs d’une manière supérieure à celle du journaliste, « La fiction permet de rendre les enjeux émotionnels du changement climatique plus convaincants, plus réels, plus urgents. »

Faut-il avoir Emmanuel Carrère comme ami critique ? Celui-ci présente Cabane d’Abel Quentin, en une du MDL. Il évoque dans son article au demeurant très intéressant des références qui distraient quelque peu du roman dont il est censé parler. Il relève le changement des noms réels des auteurs du rapport Meadows objet de l’œuvre, pour en faire ainsi des personnages de fiction dont il raconte une vie fictive : « Personnellement, le procédé me gêne un peu, mais une fois formulée cette petite réserve déontologique… ». Ailleurs il souligne une phrase qui ressemble à du Houellebecq, « Mildred avait pas mal morflé », « mais, nous dit Carrère, si je note cette influence manifeste, ce n’est pas un reproche : elle a formé Abel Quentin, il ne cherche pas à s’y soustraire. Son ambition n’est pas d’être un styliste original, mais de dire quelque chose… » Carrère, en corde qui soutient le pendu, même s’il conclut « C’est réussi, il faut le lire. »

Comme tous les ans, le Figaro littéraire nous offre un cahier dominé par les premiers romans prometteurs de la rentrée. On expliquera, une fois pour toutes, que primo romancier ne signifie pas miracle du livre envoyé par la Poste. Celle qui ouvre cette sélection de huit noms, Alice Develey est, par ailleurs… critique au Figaro littéraire. Si ce supplément prend le risque de présenter l’une de ses collaboratrices (qui écrit une critique dans le même n°) ce n’est pas par naïveté mais plutôt par confiance en Alice Develey qui nous livre une autobiographie dont le parcours psychiatrique affiché souligne les difficultés de l’adolescence. La parité est respectée et l’on pourrait dire que la variété des sujets aussi au regard de la production contemporaine : une famille roumaine assez agitée (Marie Khazrai), une autre éclatée, en souffrance, mais talentueuse (Anatole Edouard Nicolo), les affres d’un père plus seul que célibataire (Damien Lacamp) ; une critique des petits jeunes gens amoureux Alice Hendschel), une autre des milieux de l’art (Charlotte Augusta), une troisième plus radicale du regard que l’on portait sur les nouveaux pauvres (Martial Cavatz). Pour finir le livre de Michel Bezbakh écrit à haute voix et dont le titre est tout un programme : Le gars qui allait quelque part.

Dans le pêle-mêle.

Yves Ravey bénéficie d’articles dans l’ensemble des cahiers de la rentrée qu’il vient comme compléter ; on insiste sur l’écheveau rigoureux d’intrigues cependant dérisoires de ses oeuvres, ses personnages de demi-sel et son obsession pour le détail précis mais inutile. Séguier n’est pas un éditeur très prolifique, mais cette semaine deux articles sont consacrés à l’un de ses poulains, Jean-Pierre Montal pour l’un de ses romans. Enthousiasme de Corinne Renou-Nativel qui voit dans cette exploitation romanesque d’un film déjà repris (Elle et lui), une histoire de cinéphiles aspirés par les fictions auxquelles ils assistent. « Dépouillé, La Face nord ne manque ni de beauté, ni de vérité, ni de finesse, ni d’émotion. » nous dit Alice Ferney qui souligne les qualités d’écriture de l’œuvre, Chardonne, Bove, Sagan. On appréciera.

Une semaine riche encore, même si ce sont encore les mêmes noms depuis septembre qui dominent l’actualité.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)

L’Humanité Le Rendez-vous des livres
Titre Auteur Éditeur
Archipels Hélène Gaudy L’Olivier
Palais de verre Mariette Navarro Quidam éditeur
Que du vent Yves Ravey Minuit
Nord sentinelle Jérôme Ferrari Actes Sud
Quelle France en 2050 ? Patrick Art, Marie-Paule Virard Odile Jacob
Antipodes (BD) David B & Eric Lambé Casterman
En Territoire ennemi Carol Lobel L’Association
Grandir sa vie durant Gérard Le Puill Editions du Croquant
Georges Politzer revue La Pensée n°418  
La mort du roi Olivier Bétourné Seuil
Libération LibéS
Titre Auteur Éditeur
SAMEDI
Le déluge Stephen Markley Albin Michel « Terres d’Amérique »
Mille images de Jérémie Clément Ribes Verticales
Mesopotamia Olivier Guez Grasset
Houris Kamel Daoud Gallimard
La famille Ruck Katja Schönherr Zoé
A la recherche du vivant Lida Turpeinen Autrement « Littérature »
La fille verticale Félicia Viti Gallimard
Tombée du ciel Alice Develey L’Iconoclaste
Les sœurs et autres espèces du vivant Elisabeth Barillé Arléa « La Rencontre »
Je remercie la nuit Véronique Tadjo Mémoire d’encrier
Chère Simone de Beauvoir. Vies et voix de femmes « ordinaires ». Correspondances croisées 1958-1986 Marine Rouch (Ed.) Flammarion
Human Target (BD) Tom King, Greg Smallwood Urban Comics
Le dernier rêve Pedro Almodóvar Flammarion
Bienvenue à la librairie Hyunam Hwang Bo-Reum Editions Picquier
JEUDI
Beyrouth, 13 avril 1975. Autopsie d’une étincelle Marwan Chahine Belfond
Nul ennemi comme un frère Frédéric Paulin Agullo
Elèves et maîtresses. Apprendre et transmettre l’art (1849-1928) Marion Lagrange, Adriana Sotropa P.U Bordeaux
Enfants, enfance et ethnologie. Autour de l’œuvre de Suzanne Lallemand Marie Daugey, Marie-Luce Gélard, Luc Pecquet, Maria Teixeira Journal des Africanistes n°93
Le voleur d’art Michael Finkel Marchialy
Le Figaro littéraire
Titre Auteur Éditeur
Houris Kamel Daoud Gallimard
Jour de ressac Maylis de Kerangal Verticales
Bande de héros Philippe Ridet Les Equateurs
Il neige sur le pianiste Claudie Hunzinger Grasset
Le courage des innocents Véronique Olmi Albin Michel
La face nord Jean-Pierre Montal Séguier
Tombée du ciel Alice Develey L’Iconoclaste
Un père sur le banc Damien Lecamp Léo Scheer
Le gars qui allait quelque part Michel Bezbackh Buchet-Chastel
Iris et Octave ou les mésaventures de deux jeunes amants qui se croyaient cosmiques Alice Hendschel Belfond
Les Caractériels Martial Cavatz Alma Editeur
Les oeuvres intérieures Charlotte Augusta Denoël
Poupées roumaines Marie Khazrai Les Avrils
A l’ombre des choses Anatole Edouard Nicolo Calmann-Lévy
Long Island Colm Tóibín Grasset
Aesthetica Allie Rowbottom Fayard
Bien-être Nathan Hill Gallimard
Imperator. Une histoire des empereurs de Rome Mary Beard Seuil
Platon. Le philosophe-roi Olivier Battistini Editions Ellipses
Echec et mat au paradis Sébastien Lapaque Actes Sud
Le sentiment des crépuscules Clémence Boulouque Robert Laffont
Propre Alia Trabucco Zerán Robert Laffont
Naufrage au Mont-Blanc. L’affaire Vincendon et Henry Yves Ballu Glénat
Sa Majesté des mouches (BD) Aimée de Jongh d’après William Golding Dargaud
Un jour d’avril Michel Cunningham Seuil
La Croix Livres et idées
Titre Auteur Éditeur
Houris Kamel Daoud Gallimard
Comment écrire Pierre Assouline Albin Michel
Ann d’Angleterre Julia Deck Seuil
La face nord Jean-Pierre Montal Séguier
Que du vent Yves Ravey Minuit
Le Parlement, temple de la République. De 1789 à nos jours Benjamin Morel Passés composés
Noces de cendres. Un voyage dans les ruines de la Grande Guerre Clémentine Vidal-Naquet La Découverte « A la source »
Le Monde
Titre Auteur Éditeur
Cabane Abel Quentin L’Observatoire
L’Agrafe Maryline Desbiolles Sabine Wespieser
Le rêve du jaguar Miguel Bonnefoy Rivages
Ann d’Angleterre Julia Deck Seuil
Mille images de Jérémie Clément Ribes Verticales
Le Tube de Coolidge Sonia Hanihina JC Lattès
Les derniers sur la liste Grégory Cingal Grasset
La première histoire Frédéric Gros Albin Michel
Absolution Alice McDermott Quai Voltaire
Récits de certains faits Yasmina Reza Flammarion
Madeleine avant l’aube Sandrine Collette JC Lattès
Un furieux silence Charlotte Dordor Julliard
Si les forêts nous quittent Francesco Micieli Hélice Hélas
Saison toxique pour les fœtus Vera Bogdanova Actes Sud
Peut-on encore être galant ? Jennifer Tamas Seuil « Libelle »
Ouvriers, artisans du beau selon Caillebotte Dominique Auzel Ateliers Henry Dougier
L’Histoire de Diana.Trafic de drogue et politique dans le Nord mexicain Sabine Guez Anacharsis « Les ethnographiques »
Le corps des femmes. Mille ans de fantasmes et de violences. XIe-XXIe siècles Stanis Perez Perrin
Paris, musée du XXIe siècle. Le 18e arrondissement. Thomas Clerc Minuit
Les deux visages de la résilience Boris Cyrulnik (dir) Odile Jacob
Tous ceux qui tombent. Visages du massacre de la Saint-Barthélemy Jérémie Foa La Découverte « Poche »
Paris dans les jours d’insurrection Alexandre Dumas Rivage poche
La Maison du Chat-qui-pelote. Le Bal de Sceaux. La Bourse Honoré de Balzac Folio « Classique »
Mille saisons. L’éveil du Palazzo Léo Henry Le Bélial’
Wallace Colin Niel Rouergue
Magritte en 400 images JulieWaseige Hazan
La solitude du corbeau. Le gang du CDI tome 3 Vincent Mondiot Actes Sud Jeunesse
Mignons mais mortels. Le gang du CDI tome 4 Vincent Mondiot Actes Sud Jeunesse
Idéal (BD) Baptiste Chaubard, Thomas Hayman Sarbacane
L’incendie de l’Alcazar David Bosc Héros-Limite
Houris Kamel Daoud Gallimard