Chronique 20 du 9 septembre 2024

revue de presse du 17 au 30 août

par Frédéric Palierne

dessins par Jean-Marc Vulbeau

La plupart de nos suppléments livres ont commencé à évoquer la rentrée littéraire. Mais, comme depuis deux ou trois ans, celle-ci devance la rentrée scolaire ; résultat, des débuts de palmarès et quelques paradoxes comme celui qui consiste à souligner l’abondance (voire la pléthore) de romans nouveaux, alors même que l’on retrouve des sélections qui tournent autour d’une douzaine de titres. Parfois les mêmes, tandis que l’on s’est félicité du recul de la production, 488 volumes tout de même.

 

 

 

Les unes

Les œuvres citées ici couvrent la seconde quinzaine du mois d’août et dessinent déjà le paysage éditorial de cette rentrée.

C’est LibéS qui a ouvert la saison, avec un cahier complet ces samedis (et qui dit cahier complet dit écrivains placés en une ; ici Arturo Perez-Reverte et Thomas Clerc).

L’écrivain espagnol, que l’on connaît pour être un maître du roman policier à énigme, possède également un caractère très affirmé lorsqu’il s’agit d’évoquer les tragédies mondiales, héritage de son métier de reporter de guerre. S’il écrit des romans à 72 ans, c’est pour se « battre à coups de poings » et de raconter cette anecdote : « J’avais douze ans quand, un jour, à la plage, mon frère de 10 ans se baignait avec ma sœur de 8 ans ; à un moment, ils ont été emportés par le courant. J’ai compris que je ne pourrais pas sauver les deux, j’ai décidé de sauver mon frère qui était le plus proche de là où j’étais, heureusement une autre personne a réussi à sauver ma sœur. Eh bien c’est pareil pour les romans, je sais que mon temps est limité, il me reste quoi, trois ou quatre romans à écrire et je dois décider lequel je dois sauver et lequel je dois laisser mourir. Non, ce n’est pas terrible, c’est la vie. » Et le roman ? C’est l’histoire d’une femme en Espagne qui décide de sauver un Italien, fût-il fasciste parce que, de son côté, les Anglais ont tué son père à Mers-el Kébir. Un écrivain de la relativité ? Le supplément de La Croix cette semaine traite également de ce roman rédigé par Perez-Reverte : « Ancien correspondant de guerre aux positions conservatrices, l’écrivain espagnol fait de l’action une vertu cardinale et un principe narratif amplement suffisant. » Avec la réserve nous dit Eve Charrin, de n’être pas très surprenant.

Quant à Thomas Clerc, il incarne tout ce que l’on déteste quand on s’en prend à la littérature française contemporaine parisienne. Il récidive en effet avec un livre dont le sujet est la description systématique de son nouvel arrondissement de résidence. Il y gagne une double actualité dans LibéS, rencontre avec l’auteur dans le cahier livre et premières pages du roman dans une autre rubrique d’été. On y retrouve le style et la personnalité de l’écrivain qui a migré du 10e au 18e et de l’appartement ancien au semi-moderne : « Toute la saveur un peu hallucinatoire de sa description déambulatoire tient à l’addition d’événements provoqués ou irruptifs, du registre sérieux au comique. » nous dit Alexandra Schwartzbrod. (L’Italien, Gallimard)

On notera que La Croix avec son supplément Livres et Idées, choisit également un livre dès le jeudi 22 août : Célèbre de Maud Ventura, qui propose une réflexion sur l’accession à la célébrité à travers le récit de la trajectoire d’une jeune femme qui programme sa réussite, « fulgurante » selon ses propres mots. Christophe Henning précise la stratégie du roman : « L’autrice prend le temps de ferrer le spectateur, étrille le monde du spectacle, les réseaux sociaux, la versatilité du public. » On suivra donc sa carrière, envol, apogée et déclin.

Quant au Monde des Livres, il propose en une, Nathan Hill, auteur américain rare (c’est son deuxième livre en 10 ans) qui élabore un récit non chronologique, Bien-être, Gallimard ; c’est le temps kaïros nous précise Raphaëlle Leyris, en citant l’auteur : « l’expérience subjective du temps. Un moment décisif dans la vie, un instant de vérité un changement important ». Ici, un couple se rencontre et c’est cette rencontre qui mène le récit de leur existence de 1990 à 2024, mais attention, sans la lourdeur des flash-backs ! Le narrateur nous dit-elle, « excelle à faire rire le lecteur comme à lui piétiner le cœur et à l’instruire sur le monde dans lequel il vit. » Un entretien avec Nathan Hill réalisé en juin, complète ce dossier et Nathalie Lacube de La Croix précise pour sa part : « Conteur magnifique, Nathan Hill part des détails les plus anodins pour leur donner une portée quasi philosophique. »

Shane Haddad en lice pour le prix du Monde des livres fait l’autre une du MDL de la quinzaine et semble renouveler la question du trio amoureux si l’on en croit Jean Birnbaum. Avec une scène d’ouverture qui raconte l’enterrement de l’un des trois protagonistes du récit. (Aimez Gil, P.O.L) .

Dans le pêle-mêle

Le pêle-mêle de ce début de rentrée est riche dans la mesure l’on nous livre d’emblée l’ensemble des noms qu’il faudra retenir. Comme Maylis de Kerangal, de retour à la veine réaliste qui lui avait réussi avec Réparer les vivants (Jour de ressac) ; on la trouve dans les deux pages du Figaro de la semaine, en photo aux côtés de Carole Martinez et de Gaël Faye (Jacaranda). La première avec Dors ton sommeil de brute est également présente dans La Croix pour un roman fantastique ou merveilleux dans lequel tous les enfants de la planète situés sur une même latitude se mettent à crier en même temps, y compris la fille de l’héroïne qui vit dans une maison de gardian, à l’écart de tout et surtout d’un père violent. Gaël Faye revient vers sa terre natale et déshumanisée, le Rwanda pour, nous dit Muriel Steimetz de L’Huma, prendre « appui sur quatre générations, ce qui lui permet de se plonger, avec une force indéniable, dans l’histoire d’un territoire dévasté par le génocide des Tutsis. » Ce dossier « rentrée » de l’Huma comporte quelques autres noms qui se croisent avec ceux du Figlitt ou encore du MDL comme Ann d’Angleterre de Julia Deck, Archipels d’Hélène Gaudy ou encore Le Bastion des larmes d’Abdellah Taïa. Grégoire Bouillier complète la série de la semaine avec son étrange roman-enquête postulant que derrière les nymphéas ou plutôt dessous, se cache un cadavre, hypothèse qui lui sert de support à une réflexion sur le réel et ce que l’on y cherche. Le syndrome de l’Orangerie.

On ne pourra épuiser les références de cette première semaine pléthorique mais que l’on se rassure, l’ensemble d’entre elles sera distillé dans les cahiers à venir.

Index des articles parus dans la presse de cette semaine (cliquer pour télécharger)

Tableau