Chronique 1 – 20/01/2024

LES UNES

Il veut écrire avec « désinvolture », et il répète ce mot « érotisme désinvolte » dans l’entretien qu’il accorde à Alain Nicolas ; Antoine Volodine récuse l’écriture « « sous contrainte » ça assèche l’inspiration et bloque le développement de l’imaginaire ». Mais il avoue par ailleurs « fondamentalement il y a une contrainte idéologique dont je n’ai jamais dévié, le marxisme révolutionnaire, marqué par le bouddhisme » Cette fidélité se trouve mise en œuvre dans le 47e volume de son travail d’ensemble dont le nombre est présenté d’avance. Il y en aura 49 dit Volodine, qui est l’inventeur du post-exotisme ainsi que des écrivains qui le composent, et sous les pseudonymes ou hétéronymes desquels il poursuit son œuvre. Un chœur de voix, fondé sur des non-héros « Des prisonniers et des prisonnières qui racontent, crient, pleurent des histoires », une forme de dissidence littéraire assumée.

Une dissidence soulignée également par la une du LibéJ et l’article de Frédérique Roussel qui évoque les archives de Ripostes. Ce groupement qui recueille les traces du militantisme des années 70 se distingue par la variété des sujets, avortement, insoumission, dénonciation de la torture en Argentine, etc. Des luttes essentielles dans ces années bruyantes mais aussi déterminantes pour fixer des caps. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, certaines d’entre elles paraîtront d’une actualité criante : dénoncer la réalité du monde carcéral, s’opposer aux violences policières, servir de porte-voix aux peuples opprimés. Le livre illustré est aussi un catalogue d’exposition (jusqu’au 16 mars à la Contemporaine de Paris).

Avant même d’en finir avec l’actualité de janvier, voici que le Figaro Littéraire se tourne vers la nostalgie. Son dossier de la semaine « Quand Paris était une fête » propose une revue de récits consacrés à ou écrits par des figures intellectuelles de l’entre-deux guerres. Un court texte d’Aragon, la rencontre romancée Anaïs Ninn-Artaud, une biographie de la baronne Oettingen… Les mêmes noms se croisent dans la plupart des articles consacrés à cette « actualité » littéraire, et plus singulièrement dans le papier d’ouverture de Thierry Clermont dédié à Robert Mc Almond, sorte de grand ordonnateur des fêtes et de la vie du « Quartier » comme il baptise Montparnasse. Ami d’Hemingway aussi bien que de Joyce, il justifie le cahier tout entier par le titre de son œuvre Bande de génies.

Autre figure du passé, Odette Froyard, grand-mère paternelle d’Isabelle Monin. Mais, cette fois, souligne Juliette Einhorn en une du Monde des livres, c’est d’archéologie dynamique qu’il s’agit : « l’écrivaine envoie la petite fille qu’elle était « en reportage » dans le passé, afin de se remémorer, mais surtout de comprendre. » Comprendre quoi ? Ce qu’il y a derrière les silences d’une vie, ou, du moins, tenter de réinventer les passés possibles à partir de photographies et d’indications biographiques vagues. Une lecture, nous dit la critique, qui s’apparente à « une lecture médiumnique des archives ».

La rencontre entre Column Mc Cann et Diane Foley, mère du journaliste James Foley exécuté par l’Etat islamique en 2014 ouvrait le LibéS. D’un côté, un Irlandais qui connaît les égarements de la violence civile et religieuse, de l’autre la mère du journaliste, excessivement croyante, qui voulait qu’on libère son fils « mais Dieu a pensé qu’il pouvait utile autrement, de telle façon que les autres deviennent meilleurs ». Un 3e protagoniste est là, qui n’a la parole qu’à travers les deux autres, Kotey l’assassin, condamné à vie, rencontré, écouté, presque pardonné. Mais le livre contient également une critique de l’Etat américain et de sa politique vis-à-vis des otages.

Quant au cahier livre de La Croix, il s’ouvre sur le dernier roman d’Olivier Rollin et Fabienne Lemahieux ne boude pas son plaisir ni celui de l’auteur « mû par un pur plaisir romanesque mêlé au désir de mieux saisir ses propres engagements révolutionnaires passés ». L’écrivain saisit deux personnages que tout oppose, milieux, vies, réussites, mais qui se retrouvent sur les barricades de 1848. Elle souligne essentiellement l’aspect historique et hugolien du livre.

Dans le pêle-mêle

Esther-Sarah Bulle est dans l’Huma après La Croix ; Sophie Joubert souligne l’intrication entre vie et catastrophe, morts et revenants, que son roman consacré à l’éruption ratée de la Soufrière évoque. Marie Darrieussecq dans le Figlitt et dans le MDL avec une pleine page consacrée à sa pleine maturité d’écrivaine par Raphaëlle Leyris. En axant son étude sur les outils utilisés par l’autrice la critique veut mettre en exergue la construction d’une œuvre. Il faut dire que le roman de Darrieussecq s’intitule Fabriquer une femme. Bricolage ? Non, jeu, nous dit-on à propose des personnages qu’elle fait revenir : « Surtout, elle a beaucoup de plaisir à faire avec « la boîte de Playmobil » ainsi à sa disposition, et s’amuse à les « ressortir en fonction des besoins ». » Après la chronique de Tiphaine Samoyault la semaine dernière dans le MDL voici que François Jonquet et son initiation artistique séduisent Sébastien Lapaque. Le rapport entre Christian Boltanski et son élève fictif relève d’un rapport idéal entre maître et élève. On pourra rencontrer Laird Hunt en dernière page du MDL et le personnage de Zorrie qui ne le quitte pas plus que celui de sa grand-mère réelle nous dit Florence Noiville ; à l’image du Flaubert d’Un cœur simple, l’écrivain raconte l’histoire d’une femme qui n’est pas pour autant une victime. « C’est fait avec trois bouts de ficelle. La distance de la troisième personne coupe court à toute effusion. Et pourtant on est touché avoue de son côté Christophe Mercier du Figlitt »

Fin pour cette chronique, elle-même faite avec trois bouts de ficelle. A la semaine prochaine !

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