LES UNES

« Yapou bétail humain » est un titre ambigu, à la fois enfantin et vaguement inquiétant. Le roman de Shozo Numa valide ces deux aspects, surtout le second, à moins de considérer la scatologie d’une bonne partie de l’œuvre comme enfantine après tout. Mathieu Lindon nous dit tout le bien qu’il pense de cette expérience d’écriture qui mélange SF et SM et transforme les Japonais en un bétail humain, corps que l’on peut modifier à loisir : « ils sont utile comme ressorts à sofa ou capuchon d’anorak, skis ou sièges baladeurs. On leur coupe la langue ou on la leur rend plus volumineuse pour qu’ils puissent laver mais plus parler, ils se révèlent d’utiles sacs à main dès qu’on a décalé leur dentition afin que les dents du haut fassent fermoir avec celles du bas. » Comme on le voit, pas de limite dans une certaine forme de décadence mais le talent de l’auteur a été reconnu en son temps par Mishima, notamment pour ce qui concerne la sublimation du masochisme.

« Au fond, les gens du pouvoir et les militants activistes se ressemblent par un même mépris du citoyen ». La formule est de François Sureau qui ouvre le Monde des livres par un texte personnel qu’on retrouvera sans doute au forum philo le Mans. C’est lui qui l’ouvrira également et qui poursuit : « Le ministre de la police qui ânonne les formules imaginées par ses bureaux et les ahuris qui se collent aux œuvres d’art, que pensent-ils de nous pour agir de la sorte ? » Lui en tout cas refuse de choisir et propose à l’instar de Gide, une voie fondée sur le dialogue entre ceux qui veulent « la soumission aux autorités reconnues » et ceux qui choisissent « la libre pensée ». Un dilemme spinozien ?

Dans un article rondement mené, Robert Maggiori remet justement Spinoza à sa place, centrale, ce jeudi dans LibéL. On suit à travers la biographie de cet homme discret, l’émergence du philosophe qui remet à ce point en question la pensée qu’il ne peut échapper à l’anathème de l’époque ni à celui de sa communauté lorsqu’il soutient : « Que la bible n’est qu’un livre ? Que la prophétie est la connaissance de premier genre, vague et confuse ? Que la foi religieuse se résout dans l’obéissance ? Que la théologie et la philosophie doivent divorcer ? Que chacun est libre de penser ce qu’il veut sans qu’aucune autorité politique ne se mêle d’entraver ce droit ? » Un peu trop de questions pour un XVIIe siècle hollandais qui, s’il semble libéral n’est pas prêt pour le plein exercice des théories de Descartes. Cette réédition de ses œuvres dans « La Pléiade » souligne l’aspect « radical » de sa pensée qui a pris possession de lui comme s’il n’y pouvait rien.

Emmanuelle Giuliani nous introduit à l’univers d’Eduardo Halfon en une de Livres et idées (La Croix). En 18 nouvelles, l’auteur interroge sans cesse la relation aux enfants sans pour autant se limiter à ce seul thème. D’où des récits qui empruntent plusieurs voies et conduisent dans plusieurs époques et lieux, au sein desquels l’auteur « se moque brillamment de sa propre hypocondrie, même si celle-ci, nous dit la critique, peut le conduire à écrire un récit aux allures de ceux de Modiano ».

A l’Huma de tirer à son tour le bouquet final de l’année Proust. Alain Nicolas et Sophie Joubert font le tour des parutions les plus intéressantes de cette année Proust, les plus intéressantes et parfois les plus originales. L’article de une évoque les essais de Proust qui, nous dit Alain Nicolas, a tout fait pour « NE PAS écrire le roman » mais s’y trouve contraint en quelque sorte pour mêler théorie et pratique. Tout viendrait notamment de son antagonisme avec Saint-Beuve et sa « méthode critique (…) absurde. », qui entend expliquer les œuvres par la connaissance de . » Mais souligne Alain Nicolas, « son projet à lui est étonnant. Le travail critique ne peut se passer d’un récit qui le cadre, qui l’insère dans la vie de l’auteur, et la narration autobiographique ne peut se mettre en marche que si des questions théoriques en sont le point de départ. » D’où peut-être les récits étranges eux-mêmes conseillés par l’Huma, Proust à la métaphore du train, à la correspondance fictive entre Félicien Marboeuf, artiste sans œuvre inventé de toutes pièces par J-Y Jouannais en passant par une coiffeuse dont la vie est changée par la lecture de Proust. Ce qui a vrai dire n’est pas si étrange.

La une du Figaro littéraire pour une confrontation ou un échange, Pastoureau Tesson puisque l’un comme l’autre publie un livre dont le titre est Blanc. Tessson, « c’est ce qui m’a intéressé : voir cette universalité du paysage de neige » Pastureau « d’après moi, il n’y a absolument rien d’universel dans le domaine de la couleur. » Assez vite l’aventurier rend les armes « J’ai été passionné par le lien que vous faites entre la mutation de l’inconscient collectif et l’invention de l’imprimerie », confirmé par l’historien, « Le procédé de la couleur était possible assez tôt. Mais pour des raisons morales, on a prolongé le noir et le blanc ».

Portraits/Entretiens

Portrait de Margaret Atwood à travers quelques Mots de passe, comme les appelle le MDL et en dernière page Amor Towles étudiant en lettres et en écriture, avant d’entrer dans une société de Wall Street et, dix ans plus tard revenir avec succès vers l’écriture. Entretien croisé, donc dans le Figlitt entre Pastoureau et Tesson et quelques livres pour dresser une portrait de Pasteur. Proust sous toutes les coutures dans L’Huma, donc et Spinoza, une vie, dans LibéL jeudi.

A la semaine prochaine !

Index des auteurs cités dans les suppléments littéraires de cette semaine (cliquer ici pour télécharger)