Chronique 2025 – 26

Les Unes

Après LibéS, Proust conquiert la une du Figaro Littéraire, et, nous dit Thierry Clermont, « est devenu au fil des ans et de l’exhumation d’inédits, « l’auteur le plus posthume » qui soit. » Cette fois il s’agit de sa correspondance avec ses éditeurs : Gallimard qui le refuse dans un premier temps et Grasset qui finalement tirera les marrons du feu pour le précédent. Édition à compte d’auteur donc et des frais pour l’auteur, notamment liés aux corrections, lesquelles, dans le cas de Proust atteindront des sommets en termes financiers avec l’inflation des innombrables et spectaculaires « paperolles » de Swann. L’article souligne habilement les tourments d’un auteur (par ailleurs insupportable) qui tente de garder le contrôle sur le fait de rendre son œuvre publique. « On le voit, nous sommes là entre l’entomologie, pour l’obsession du détail et l’archéologie pour la plongée dans les arcanes profonds de la genèse de l’œuvre. » Et encore un pas pour la littérature.

Avec Livres & Idées, on s’éloigne également du bruit et de la fureur de notre monde. En choisissant de mettre en une Alice de Lewis Carroll dans sa nouvelle traduction pour la bibliothèque de la Pléiade, on se prépare aux cadeaux de Noël, ou au moins, au monde de l’enfance qui hante un peu celui de l’hiver à partir d’Halloween. Antoine Perraud précise que le travail de traduction de Philippe Jaworski se place dans une édition bilingue et que les illustrations originales du premier volume des aventures d’Alice sont reproduites. Il explore de nouvelles versions des noms comme ce chat de Cheshire qui devient « Le chat d’ailleurs ». « Ce faisant, nous dit Perraud, Jaworski ne trahit pas Carroll précisément au nom du nonsense, notion essentielle et intraduisible touchant à l’absurdité des choses » qui « ne mène pas au passage à l’acte mais s’empêche et se sublime dans l’art.» Sur le conte, parole de Perraud.

Joan Didion demeure une journaliste-écrivaine pleine de ressources et dont on recherche les textes. Cette fois le livre s’intitule Notes à John. Et, nous dit Philippe Lançon dans ce LibéJ : il « est moralement, un livre douteux. Une amie de l’écrivaine a écrit dans The Guardian qu’une personne aussi soucieuse de contrôle et de privauté n’aurait jamais voulu que de tels textes soient mis à jour. » Il s’agit essentiellement d’évoquer sa relation avec son psychanalyste sur fond d’effondrement moral de sa fille, photographe ratée dont la vie sera marquée par l’alcoolisme et la destruction. Et de son mari, avec et pour lequel elle travaille sans relâche. Des parents adoptifs étouffants ?

On voit bien que l’actualité recule puisqu’on commence à parler des écrivains sans œuvre. Éric Loret dans le LibéS nous rappelle que c’était le cas de Barthes. Dionys Mascolo « penseur et militant communiste qui fut longtemps connu comme Monsieur Marguerite Duras et membre nodal du groupe de la rue Saint-Benoît » le rejoint dans ce panthéon. Ce qu’il y a de surprenant, nous dit Éric Loret, c’est que ce journal saute à pieds joints par-dessus bon nombre d’engagements de Mascolo. Il est compliqué à suivre parce qu’il refuse « toutes les -logies » C’est un penseur libre qui se bat contre les démons « individuels ». Un thème « récurrent chez l’auteur : « l’horreur de l’ennui comme estime paisible de soi, comme mort vivante dont ne pourrait nous tirer que la mort réelle. »» Il considère que rien n’aboutit, sans être cependant sur la même longueur d’onde que Cioran, peut-être parce qu’il « révère la musique comme part féminine de sa personnalité » et la danse.

Rosa Parks femme violente ! On garde « l’image de la petite couturière fatiguée » nous dit Latifa Madani. Mais « elle avait aussi une analyse de classe et une conscience de la prégnance d’un racisme structurel qui la rapprochent du Black Power » nous dit l’autrice Caroline Rolland-Diamond, dans l’entretien qu’elle accorde à la critique de sa biographie. « Toute sa vie elle est restée proche des cercles militants les plus radicaux » complète-t-elle. L’ouvrage prend ainsi ses distances avec l’image spontanée de l’icône non-violente pour souligner son cheminement revendicatif sans concession. Il n’est pas question seulement de race chez elle mais aussi d’injustice économique, elle s’est également ouvertement rebellée contre la guerre du Vietnam et la pauvreté.

« L’arène d’Angleterre », ce n’est pas le titre le plus fin de la semaine qui aurait pu figurer en une de Libé mais qui ouvre le Monde des livres. Florence Noiville souligne l’intérêt du dernier livre de Jonathan Coe : « une prose claire, ironique, sans emphase où perce toujours un cocktail de tendresse authentique et de mélancolie souriante. » Le thème ? Un peu confus parfois nous dit la critique : « Notamment lorsque Coe veut tout dire, l’hystérie médiatique, la fatigue morale, la nostalgie d’un pays qui ne se reconnaît plus… » Sur le fond, le récit reste romanesque : « Coe entrelace la satire politique et la comédie universitaire sur fond de polar à l’anglaise. » Entendez par là « un bon vieux meurtre commis dans un manoir en présence d’une foule d’invités. »

Dans le Pêle-mêle

On sent que les prix arrivent et qu’il faut solder la critique de la rentrée. Des rattrapages cette semaine notamment Laura Vazquez dans le Livres et idées et le Fig litt dans lequel Alice Develey souligne la complexité de l’oeuvre : « Si l’on croit comprendre Laura Vazquez, c’est qu’on n’a rien compris. Une page relue deux ou trois fois n’a jamais le même sens. » Leila Guerriero et son personnage de femme qui échappe par miracle aux geôles argentines ont droit à un article du MDL qui précise la part de vérité dans cette œuvre. En revanche Marie Richeux, qui officie l’après-midi sur France Culture dans une émission littéraire a droit à quelques articles d’actualité depuis deux ou trois semaines. Elle y recherche un membre de sa famille (au secours !) qui périt en mer, il était officier radio à bord d’un cargo.

Il n’est pas impossible que les derniers feux de l’actualité ne nous réservent quelques aventures familiales.

Index des articles parus dans la presse du 18 au 24 octobre 2025 (cliquer pour télécharger)